Deadi
Tout Va
Année : 2021
Format : album 13 titres
Localisation : France (Poissy)
Production : Nizi, One Drop Beats, DJ Blaiz, Beus Bengal, Banane, Shaolin, Mathieu Seignez, Fred Killah, Kartoon, Loko
Featurings : Kacem Wapalek, Virus

Deadi c’est 37 ans au compteur dont au moins 20 ans de rap et pourtant peu de gens en ont entendu parler. Tout prend forme en 2020 durant ce confinement qui a poussé beaucoup d’artistes à créer de la musique. Deadi s’est fait repérer sur les réseaux sociaux avec des freestyles vidéo. Originaire de Poissy, dans les Yvelines, il participe logiquement au #PanamAllStarzChallenge lancé par le groupe Sniper. DJ Weedim ne restera pas insensible à tout ce buzz et l’invitera sur sa mixtape Boulangerie Française Vol.4.

Le rap c’était un délire pour lui, il partageait avec ses potes mais jamais rien de sérieux ni exposé à l’extérieur de son cercle. Mais après tous ses freestyles et deux mixtapes, il se lance dans le grand bain en mars 2021 avec son premier album Tout Va qui a été enregistré avec une légende du Hip Hop français : Loko, l’un des fondateurs du label Neochrome.

La particularité du projet, c’est qu’il est totalement dans l’air du temps puisqu’il a été financé via une cagnotte Leetchi lancée par ses potes. Deadi lui, souhaitait satisfaire les fans via un EP qui comportait 3 ou 4 morceaux plus le fameux freestyle FDP mais ils en ont décidé autrement. Au final c’est 13 titres en référence aux treize étages de sa tour et le freestyle qui seront le corps du disque. Dans cette chronique, je vais d’abord revenir sur les singles par ordre de parution en commençant avec Le voisin du 4ème.

« L’histoire du voisin du 4ème est un storytelling bête et méchant mais tout est vrai dedans ! Tous les soirs, quand il craquait, j’écrivais. Il était fou ! » (Extrait d’une interview de Deadi pour 16 Mesures).

Le morceau parle de son voisin qui habite au 4ème étage de sa tour qu’il décrit comme bien plus que fou. Si la première partie du morceau, de par le couplet apporte la puissance infusée au morceau, c’est moins le cas du second couplet. On en attend un peu plus en matière de contenu et je trouve qu’au contraire, il y a des répétitions. La technique du MC est quant à elle au point, ses accélérations et son flow sont très bien ajustés. La prod signée DJ Blaiz & Beus Bengal est par contre de toute beauté, un petit sample bien calibré qui laisse toute la place de s’exprimer.

Le second single est Banzaï et c’est avec ce morceau que j’ai vraiment considéré Deadi comme un artiste à suivre. Il m’a de suite mis d’accord ici. La prod de Nizi est au-dessus des radars, il a d’ailleurs sorti un excellent EP avec ce beatmaker nommé Calcium. Le clip est très bien réalisé (tout comme pour le précédent d’ailleurs), on y voit Deadi maquillé comme le Joker, armé d’une tronçonneuse et se lançant à la poursuite d’un éventuel malfrat. Ce rappeur, c’est celui qui va piquer la vedette au méchant mais avec un humour bien à lui, et forcément on adhère. Le morceau est très bien construit, il se veut court et efficace. Entre assonances, allitérations et jeux de mots variés, on ne sait jamais quand il est sérieux.

Une équipe gagnante, on ne la change pas et c’est logiquement que Nizi et Deadi remettent le couvert pour le troisième single, Comme Si. Contrairement aux autres, ce dernier n’a pas bénéficié de clip, il aurait pourtant également mérité. L’univers se tord un peu et adopte un grain plus sombre et froid. Moins de gimmick, moins d’humour palpable à la première écoute, on fait plutôt face à un flow boom bap et un égotrip bien mesuré. Je trouve le rappeur plus vénèr et plus déterminé dans un certain sens. Ce qui est vraiment remarquable, c’est que sur les 3 singles présentés, aucun n’est identique.

Concernant le dernier single, c’est l’inévitable “FDP” que je n’ai pas besoin de traduire.

« C’était un client au magasin qui m’avait traité de fils de pute donc, moi, je me suis trituré la tête en me disant : « mais non, c’est toi le plus grand fils de pute », et les premières lignes sont venues comme ça. J’ai fait le freestyle au quartier, ils étaient morts de rire ! Et on m’a demandé de le continuer ! Alors je me suis dit que j’irai le plus loin possible avec tous les mots que je pouvais trouver, et le deuxième couplet est né ! » (Extrait de l’interview de Deadi pour 16 Mesures). C’est le même freestyle mais enregistré avec une meilleure qualité pour le bonheur de ses nombreux fans. Autant dire que je ne trouve clairement aucun intérêt au morceau, malgré une bonne prod. Le fait de répéter une cinquantaine de fois « fils de pute » n’a pas l’effet escompté sur moi, mais le public apprécie clairement cela puisque c’est le clip qui cumule le plus de vues. Pour le sample, il faut regarder du coté de Gisèle Pascal et son Un oiseau chante de 1945. Chacun confrontera ce morceau à ses ressentis comme il le souhaite.

Que contient l’album hormis son lot de singles ? Il s’ouvre sur Galère qui est composé de 32 mesures, elles-mêmes divisées en deux couplets de 16 mesures issues de : Freestyle – Au quartier et Freestyle – Ils se prennent pour des fous, tous deux publiés en janvier 2020. Banane, le beatmaker, a fait un excellent travail ici et il se fera également remarquer sur d’autres morceaux. On est, comme indiqué, dans un univers de freestyle comme souvent dans cet album, avec une ambiance boom bap. C’est une très bonne introduction au style du personnage. On retrouve le même son de cloche sur le morceau suivant Folie puisqu’il reprend en grande partie les textes de son Freestyle bégaiement. L’instrumentale est la même que celle du freestyle, produite en l’occurrence par Nizi. Ce morceau fait bouger la tête à tous les niveaux, Deadi est complètement à l’aise et relâché. Toujours avec ce côté old school, revendicateur de l’ancien temps, dans ses textes : « J’devais déjà être à l’ancienne dans une ancienne vie ».

Dans le morceau Par humain, il reprend Freestyle bonne année mais l’autre morceau assez marquant c’est J’hésite, produit par One Drop Beats qui a notamment collaboré avec Demi Portion et Kacem Wapalek. Et c’est d’ailleurs ce dernier qui est en feat. sur ce morceau. Il faut savoir que des producteurs ont envoyé des prods à Deadi, ce dernier étant un grand fan de Kacem a fait le lien avec ODP. Il s’est naturellement dit qu’il fallait proposer au rappeur de la région lyonnaise de venir poser. Sur une bonne prod. à l’ancienne comme dirait notre rappeur parisien, deux architectes des mots se tiennent ici en respect. Le morceau ne part pas dans tous les sens, il est assez structuré mais toujours dans l’esprit de l’album. Une vraie collaboration facilite les choses et créer inévitablement une véritable réussite.

Le point culminant est atteint avec Avatar sur une excellente de prod de Nizi (encore une fois !). Le piano est tout de suite hypnotisant, on sort du côté décalé du personnage (en principe) et on rentre dans quelque chose de plus profond. On ne dirait plus un mec qui écrit pour le kiff, pour ses potes ou pour faire délirer les gens. C’est un texte mature, honnête et qui sans vraiment mettre la technique de côté, se concentre sur le récit. Le titre fait directement référence au film de James Cameron où tous les personnages sont bleus. Sauf que chez lui, les bleus, c’est les coups que la vie lui a infligés. C’est introspectif et touchant. Un domaine où on réalise qu’il est également à l’aise et qu’il peut faire autre chose que du « divertissement ».

Dans la continuité, je place aussi en très haute estime RER D qui nous dit ceci : « RER Déprime, c’est une histoire choquante qu’on m’avait racontée que j’ai mélangée avec une autre. J’ai brodé autour des deux. » (Extrait d’une interview pour Le Bon Son). Il écrit D’ (D Prime) comme en mathématiques pour dire Déprime. Ce qui est fort, c’est que malgré ce drame et la magnifique prod. signée Fred Killah (assurément l’une des meilleurs de l’année 2021), il use grandement d’humour noir.

« Et j’gole-ri’ à l’idée d’recroiser ceux qui disaient
Qu’y’avait qu’le train qu’était pas passé d’ssus car, maint’nant, c’est fait […]
Mais l’conducteur du train, lui, au moins, est pas près d’l’oublier »

La morosité du violon et l’ambiance envoutante couplées à l’ingéniosité des producteurs qui intègrent le fameux slogan musical de la SNCF, le délire est assumé, revendiqué et poussé jusqu’au bout. Quand Deadi dit qu’il est fou, il ne blague pas.


Le deuxième et dernier feat. de l’album, c’est avec Vîrus sur le morceau Avec des.
« À un moment, je reçois le message d’un pote qui me dit : « Est-ce que tu connais un mec qui s’appelle Vîrus ? Parce qu’il a partagé le freestyle FDP sur sa page et il l’a commenté ». J’étais sur le cul. On s’est ensuite rencontré à l’Open Paradise par le biais de DJ Blaiz, qui est aussi devenu un pote. ! J’ai eu un peu peur quand il m’a proposé de faire un truc ensemble, je me suis dit : « Il va falloir casser le crayon ». (Extrait d’une interview pour Le Bon Son).

Banane qui avait déjà dégainé plutôt dans cet album fait encore parler la poudre avec une prod. qui colle parfaitement à l’ambiance de ces deux sinistres personnages. Cela apporte à la fois de la fraîcheur et de la nouveauté à ce projet. Le plus bluffant dans ce morceau sont les couplets de Vîrus qui ne joue pas sur les Si mais les Di en référence à Deadi. Ces deux couplets explosifs se composent en partie de syllabes en -di. La performance est énorme bien que son compère fasse aussi clairement le taff. J’y vois ici un trio gagnant et une façon de découvrir ces deux autres artistes de l’ombre. Kartoon en tant que beatmaker n’a pas non plus à rougir car il livre une belle galette avec Possédé où notre rappeur est aussi très bon.
L’album se conclut sur le morceau Zelda produit par l’inimitable Loko. Il est dédié aux mecs de son quartier, à son entourage et aux siens, les plus proches.

Si on additionne le tout, on a un très bel album. Chacun le prend comme il veut, parfois on a l’impression d’entendre une mitraillette qui mise tout sur la technique et les pistes d’ambiance. À un autre moment, on entend un rappeur plus introspectif, qui dissimule une souffrance avec sa bonne humeur et son maquillage de clown. On se demande parfois s’il faut le prendre au sérieux, à quel moment il l’est réellement ?! Deadi a cette capacité à fédérer malgré un album qui part un peu dans tous les sens, mais toujours en atterrissage contrôlé. Un vrai travail de production a était fait derrière, du beatmaking au mastering, c’est maîtrisé. Un peu plus long, ça aurait été peut-être de trop car il aurait fallu renouveler pour ne pas trop se répéter.

Finalement la formule est bonne, l’alchimie entre talent, passion et réalisme est bien dosée. Il est facile de s’y perdre pourtant entre ses multiples références à des inconnus (généralement ses potes de quartier) et les icônes de la pop culture, du jeu vidéo, des mangas, des dessins animés… Il faut dire que lui-même n’y croyait pas à cette popularité, il ne pensait pas arriver si loin. Il faut voir en lui un homme ordinaire qui rappe pour ses potes et son quartier et qui du jour au lendemain est propulsé sur le devant de la scène. Il n’avait pas de réelles connaissances musicales et n’avait enregistré que dans une MJC. L’underground aura toujours son mot à dire et si beaucoup brillent dans l’ombre, peu se mettent en lumière. Il faudra voir comment il s’inscrira sur le long terme et jusqu’où il peut puiser dans son imagination afin de se représenter.

Chronique écrite par Fathis


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