La rubrique MOOD permet à un•e activiste Hip Hop de s’exprimer sur le thème de son choix.
Madizm, beatmaker depuis les années 90, s’exprime sur le rap.


Je vois souvent des oppositions entre jeunes et vieux sur les réseaux sociaux, en mode : « le rap c’était mieux avant ». Parlons-en. 

logo le rap c'était mieux avant

Avant quoi ? Avant ton père ? Avant Pompidou ? Cassez-vous avec vos slogans de t-shirt La Boutique Officielle ! Le rap n’a jamais eu besoin de personne.

La seule différence qu’on peut faire, sur une période de 50 ans, c’est qu’il y a eu des génies et des bouffons. Comme dans toutes les musiques. Des leaders et des suiveurs. Comme partout. Prenons un sport de cons comme le foot, même si tu aimes Pelé et Zizou, t’as eu Ronaldo et Messi.

On a eu des Rakim, des Nas, puis des Nipsey et des Kendrick. Chaque époque compte et aucune n’est meilleure en soi. Souvent c’est parce que vous êtes devenus des vieux cons que cela ne vous parle pas. La seule chose qui était mieux avant, ça je peux en témoigner, c’est le public.

J’ai vécu une époque où dans la cour d’école on était 10 sur 1000 à écouter du rap. Quelle que soit l’origine du mec, on nous disait que c’était de la musique de zoulous, de singes, que c’était pas de la vraie musique. Mais on s’en battait les couilles. C’était vous les singes !

De nos jours, en partie à cause d’internet, c’est différent. Les gamins ont peur d’être à la ramasse et d’écouter autre chose que du rap, sous peine de passer pour un mec chelou. Et ce qui devait arriver arriva. Le public ressemble à une boîte de bonbons Haribo.

Alors tout le monde s’est, ensuite, mis à croire que le rap c’était fait pour eux. Des gens qui auraient dû rester simples auditeurs se sont mis à croire qu’ils pouvaient en faire aussi. Des geeks se sont mis à croire qu’avec un drumkit rincé et Fruity Loop, ils pouvaient faire du son comme 9th Wonder.

Sauf que non. À un moment, la Nature reprend ses droits. L’élément essentiel qu’est la passion n’étant pas présent, on voit vite les fraudes. Et Internet aidant, les fraudes se sont multipliées : achat de streams, photos avec des habits de marques, voitures de luxe en location… LE GRAND BLUFF !

Et comme le public est bête, il achète ce bluff. C’est pour ça que les charts, ont été de tout temps dominés par de la merde. Depuis la Danse des Canards jusqu’à nos jours. C’est aussi pour ça qu’on avait nos propres charts, nos propres sources d’infos, nos propres classements.

L’idée de se démarquer des autres était essentielle aussi. En plus d’être passionné·e. Mais aujourd’hui c’est le conformisme qui règne. Vous voulez la même paire de sneakers, les mêmes playlists, etc. et vous acceptez le fait d’être influencé vu que vous écoutez des « influenceurs ».

Des influenceurs plus que des journalistes d’ailleurs, à qui j’ai arrêté de donner quelque importance que ce soit. Parler du rap, écrire sur le rap, à la base c’est sympa mais c’est devenu du narcissisme. Les mecs essayent juste de devenir aussi connus que les artistes qu’ils chroniquent.

Ma mère m’a appris qu’il ne fallait pas se laisser influencer. C’est la marque des faibles. Le rap n’était pas mieux avant. C’est nous qui étions mieux. Mieux éduqués, mieux préparés. On respectait des règles qui ont sautées. Des codes qui ne se discutaient pas. Il n’y a plus de codes ou en tout cas plus les mêmes. 

citation de madizm on a le rap qu'on mérite

Donc on a le rap qu’on mérite. Rien de plus, rien de moins. Les gens qui font ça bien sont encore là. Jeunes ou vieux. Mais vous ne les respectez pas (en termes de ventes, de streaming ou de simple soutien). La culture du chiffre introduite par Sarkozy chez les flics fait autant de ravages chez nous.

On ne reviendra pas en arrière. Mais on n’évolue pas non plus. On recycle. Le dernier Niska est un recyclage de mauvaise drill. Le dernier Bande Organisée ?  Un recyclage de ce qu’on faisait en mieux il y a 20 ans. C’est pas le rap le problème, c’est ceux qui le font.

Des ingé-sons autoproclamés qui ne savent pas enregistrer des voix, des gens de maisons de disques qui sont disqualifiés mais ne veulent pas lâcher le morceau, des rappeurs qui cherchent toujours à signer alors qu’Internet existe et les beats, que vous ne voulez jamais payer, sont rincés.

Si vous voulez de meilleurs albums et de meilleurs artistes, il faut changer de méthode et arrêter de vouloir plaire à la Terre entière. Le rap c’est pas la musique des parents ou des profs. C’est un truc qui est fait pour emmerder les autres. Les voisins en premier lieu.

Alors faites des sons qui font boom-boom. Faites des textes qui ne plaisent pas à tout le monde.
Et peut-être qu’on dira que le rap c’est mieux maintenant. Un jour. 


Jeru The Damaja – One Day

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