En août 2024, le break, avec le battle comme forme emblématique, fait son entrée aux Jeux Olympiques de Paris. Pour beaucoup, c’est une consécration pour la culture Hip Hop, après des décennies d’internationalisation de ces compétitions. Mais saviez-vous que dès les années 80, un B-boy toulousain rêvait déjà d’organiser un battle à portée internationale ?
B.girls are you ready ? B.boys are you ready ? Ce serait les phrases que lançait DJ Kool Herc pendant ses soirées pour annoncer aux danseurs qu’il allait passer des breakbeats. Dès la fin 1973, sur les dancefloors de ses parties, les premiers B.boys et B.girls dansent les uns contre les autres juste pour le plaisir d’être les stars du moment, juste pour le plaisir de dire « nous sommes là », juste pour le plaisir de se faire une réputation. En 1979, les choses prennent une autre tournure avec le premier battle organisé dans le gymnase du presbytère de Saint-Martin of Tours dans le Bronx. Aussi étonnant que cela puisse paraître, cette confrontation, qui opposa les Rockwell Association de Willie Will à une équipe de mercenaires constituée des membres du groupe The Disco Kids, de Spy des Crazy Commanders et de Jojo, un des futurs fondateurs du Rock Steady Crew, fût organisée par trois prêtres.
La compétition, remportée par les Rockwell, avait été impeccablement gérée, les religieux s’étaient transformés en jury pour départager les deux clans afin qu’il n’y ait pas de débordements comme à l’accoutumé quand les B.boys s’affrontaient. Normalement l’entourage des danseurs était chargé de donner le verdict ; une décision qui tournait souvent à l’avantage de ceux qui avaient le plus gros public. En plus d’être jury, les prêtres avaient pris le soin de préparer un trophée qui serait remis aux vainqueurs, comme dans les compétitions sportives. Du jamais vu. Cette manière de faire, allait évoluer avec le temps pour donner naissance aux battles tels que nous les connaissons aujourd’hui avec des titres de champion, des coupes, des médailles et surtout un money price. Pendant très longtemps, peu de gens connaissaient l’existence de cette première compétition, dans le reste des Etats-Unis et encore moins en France.
Au début des années 90, les battles de danses qui n’étaient encore qu’un phénomène occasionnel, servaient en réalité de grands rassemblements Hip Hop au sens large. Les années 2010 ont annoncé la multiplication de ces événements à tel point qu’aujourd’hui, il n’existe pas un week-end sans qu’un battle ne soit organisé aux quatre coins de la France.
Les battles poussent comme des fleurs au printemps, c’est un raz-de-marée. Une véritable économie s’est mise en place autour de ces batailles de danse qui, pour sûr, génèrent de l’argent, au point que même les enseignes de la grande distribution et une grosse marque de cosmétiques sont devenues organisatrices de battles. Fini les danseurs ou danseuses qui se produisaient juste pour épater les gens en soirées ou pour leur simple réputation. Les B.boys et B.girls sont devenus des athlètes qui s’entraînent sans relâche, sillonnant toutes les villes de France et du Monde pour gagner des money prices de plus en plus conséquents. D’ailleurs, il n’est pas rare d’en croiser très tôt ou très tard dans une gare, le sac de voyage en bandoulière, en partance ou de retour de compétition. Certains danseurs étant capables d’enchaîner plusieurs battles dans le même week-end, toujours dans le but d’empocher des gains et le titre de champion qui va avec. Rien d’étonnant que la suite logique de cette abondance de compétitions soit l’inscription du breakin aux Jeux Olympiques de Paris en 2024.
Mais bon, peu importe, là n’est pas le sujet de cet article, essayons plutôt de répondre à la question :
Qui était ce B.Boy Toulousain qui rêvait de battle international ?
Il serait très prétentieux de nommer tel ou tel battle comme étant le premier battle organisé par un activiste Hip Hop dans notre pays, mais l’un des plus influent, avec une organisation bien structurée, est le Trophée Zulu Funk de Toulouse. Et oui, pour le coup Paris n’a pas le monopole.
En 1988, le B.boy Toulousain Jumbo J, passionné de rollers et de tennis entre autres, vient d’assister sur sa télévision à la finale du tournoi de Roland Garros. En voyant la remise du trophée au vainqueur, une idée folle va germer dans sa tête. Pourquoi ne pas monter une compétition de break où l’on remettrait une coupe comme aux champions de tennis ?
Jumbo J est en pleine ébullition, très vite un concept bien précis se dessine dans son cerveau : l’organisation d’un battle de break international. Pour ça, il doit trouver une salle, attirer des danseurs, faire une communication et surtout réfléchir à la manière de juger cette danse, un challenge difficile à réaliser quand on n’a pas vraiment d’exemple.
La salle Unesco qui accueille le battle, il l’obtient assez facilement. Le deuxième obstacle, qui pouvait paraître simple, était de recruter des danseurs qui ne soient pas que toulousains. Son idée est de monter un battle international qui réunit la crème des danseurs européens. Rappelez-vous, à l’époque, nous sommes encore à l’ère de la cabine téléphonique, pas de portable, ni d’ordinateur, communiquer avec des gens hors de sa région pouvait prendre des allures de grande expédition, alors imaginez le calvaire pour contacter des inconnus à l’étranger. Jumbo J, qui ne roulait pas sur l’or, entreprends des déplacements à la recherche de danseurs dans des villes où il n’avait que très peu de connaissances pouvant l’héberger. Une situation délicate qui l’oblige parfois à dormir dehors.
Les différentes étapes
Première étape : la Belgique, pays qui comporte un bon vivier de breakeurs. En essayant de recruter Big Daddy K, le futur danseur et DJ de Benny B qui à l’époque était un B.boy hors pair, il pensait ainsi pouvoir toucher un maximum de belges. Sa requête ne sera pas prise au sérieux, même s’il est bien reçu.
L’étape suivante : Paris, le gros réservoir Hip Hop où Jumbo J reçoit un accueil similaire de la part des parisiens qui ne comprennent pas sa démarche. Danser pour un trophée, et bien qu’il y ait une somme de 200 dollars destinée au vainqueur, cela ne parle pas trop aux gars de la capitale, même si certains ont déjà vécu cette expérience en 1984 avec le battle Fêtes et Fort à Aubervilliers. Quant à joindre les danseurs italiens qui faisaient beaucoup parler d’eux , ça aussi c’était très compliqué.
Un autre obstacle que Jumbo J réussit à franchir en se creusant les méninges fut de décortiquer le break afin de le codifier et de permettre au futur jury d’appliquer une grille de notes. Le pass pass, les phases, les combinaisons, la présence, le flow, tout ça allait être scruté pour faciliter la notation. Après toutes ces déconvenues, Jumbo J se résigne à revoir son objectif à la baisse, bye bye la dimension internationale.
Les Battles Trophée Zulu Funk
La première édition du Trophée Zulu Funk s’est finalement déroulée entre toulousains, avec des jeunes venus massivement assister au sacre de Jazzy Pop aka Tayeb Benamara. C’est une réussite.
La deuxième version du battle Trophée Zulu Funk fut organisée avec l’aide de l’association Pêch’ et David qui gérait une salle. Côté danse, Jumbo J avait cette fois-ci réussi à recruter des B.boys d’autres régions comme les New Force de Clermont-Ferrand, quelques danseurs de Troyes et un seul parisien.
La ville de Paris était aussi représentée par quelques personnalités dont Queen Candy et Faz (le gars que l’on voit partout) pour le fanzine The Zulu’s Letter, ainsi que par DJ Dee Nasty et Lionel D pour animer le battle. Bien qu’il n’ait pas pu en faire un événement international, Jumbo J avait honoré son challenge, faisant de Toulouse une place importante pour le break et pour la culture Hip Hop. La finale oppose Ned de Troyes, considéré à l’époque comme l’un des meilleurs B.boy français, à Fly (Impérial Breakers/ Aktuel Force), lui aussi une sommité. Après des passages très difficiles à départager, le jury désigna Fly comme vainqueur. Le parisien souleva le trophée et empocha les 200 dollars. À la remise de sa récompense, Fly fit le geste le plus important de la soirée du Trophée Zulu Funk, il partage son money price avec son adversaire Ned arrivé second. Combien de danseurs aujourd’hui seraient capables d’un tel geste ?
De retour à la capitale avec son trophée, Fly fit des envieux qui n’attendaient qu’une chose désormais, la prochaine session pour rafler le titre.
Sans le savoir, Jumbo J et son Trophée Zulu Funk ont été précurseurs en ouvrant le chemin pour d’autres battles avec de véritables organisations, notamment le premier battle international qui a eu lieu les 24 et 25 août 1989 à la discothèque La Locomotive de Troyes. Une autre histoire qui mériterait aussi d’être racontée.
Avis à tous les organisateurs de battle, si vous voyez Jumbo J à l’entrée de votre événement, notez son nom sur la liste !
Interview de Jumbo J en avril 2023 par DJ Fab pour Underground Explorer Radio Show
Article écrit par Somy DUC – retrouvez le sur instagram