La rubrique MOOD permet à un•e activiste Hip Hop de s’exprimer sur le thème de son choix. Somy DUC, conférencier et professeur spécialiste de l’histoire de la culture Hip Hop, vous donne sept bonnes raisons de ne pas écouter la série de 4 podcasts de France Inter intitulée « Naissance du Hip Hop à New-York»
Raison 1
Le podcast, Very Good Trip est présenté sur le site internet de France Inter comme le podcast rock de Michka Assayas.
D’entrée de jeu, dans le 1er épisode de la série Naissance du Hip Hop à New-York intitulé : « Naissance du Hip Hop : le Bronx et les racines new-yorkaises » le journaliste annonce que : « C’est sûr, le rap n’est pas ma musique, je ne pense pas faire une révélation fracassante en le déclarant à l’antenne de France Inter. Cependant c’est un style, un mouvement dont j’ai connu la naissance. J’en ai capté l’importance. »
Dans le 3ème épisode intitulé Avec De la Soul, le Hip Hop cool des années 1990 , Michka Assayas essaie de s’excuser maladroitement, d’une chronique dans le magazine Les Inrocks datant de 1989 où il avait descendu le groupe De La Soul en flèche, disant aujourd’hui « Je n’avais rien compris à De La Soul. »
Sachant qui est ce journaliste et ce qu’il a comme réticence vis à vis du rap, on se demande où on va aller…
Raison 2
Pour ce journaliste, les rappeurs étaient une communauté secrète.
C’est faux !
C’étaient juste des jeunes du ghetto auxquels personne ne prêtait attention.
Raison 3
Le premier rappeur à avoir introduit de la politique dans ses rap, selon le journaliste, serait Grandmaster Flash accompagné de ses Furious 5.
C’est Faux!
Grandmaster est un DJ et non un rappeur. Généralement, les textes étaient écrits par les membres des Furious 5, sauf pour The Message qui est écrit par un musicien du label Sugar Hill Records, il y a juste un couplet qui est écrit par le rappeur Melle Mel.
On voit que ce journaliste ne maîtrise pas son sujet, il cite les Furious 5 comme si c’était un petit groupe vite fait. Raconter l’histoire du rap sans mentionner les membres de ce groupe, c’est comme parler de funk sans nommer James Brown.
Raison 4
Le journaliste reprend cette fausse légende qui dit que Kool Herc est l’inventeur des soirées en plein air en 1973, alors que les premières parties en extérieur se faisaient déjà à Brooklyn dans les années 60, par exemple avec le DJ disco Grandmaster Flowers. Dans le Bronx, d’autres DJ’s comme DJ Tex ou DJ Disco King Mario animaient aussi leurs fêtes dehors en 1971, bien avant Kool Herc.
Raison 5
Selon le podcast, les premiers rappeurs se produisaient gratuitement au coin des rues ?
C’est faux !
Pourquoi Big Hank était-il le manager de Grandmaster Caz ? Parce qu’il lui trouvait des plans pour rapper dans les clubs. Que ce soit, les Furious 5, Kurtis Blow, ou les Funky 4, tous tournaient dans les boîtes de nuit où ils touchaient des cachets pour leurs performances, ceci bien avant qu’ils n’enregistrent des disques. Une partie des rappeurs et des DJ’s du Bronx de cette époque avaient créé, sous l’influence de Mr Magic (célèbre DJ radio et mentor de Marley Marl, ndlr), la première version du Juice Crew. Juice étant un mot d’argot pour dire argent, car ils se faisaient pas mal de tunes. Parmi eux Melle Mel, Flash, Kurtis Blow et bien d’autres.
Encore une fois, le journaliste est à côté de la plaque.
Raisons 6
Schoolly D se serait mis dans la tête les délires des jeunes voyous du Bronx pour écrire les textes qui ont fait de lui le père du gangsta rap ?
C’est faux !
Schoolly D était affilié au gang des Park Side Killers de Philadelphie, d’où son premier titre PSK, What does it mean qui raconte le quotidien des membres de ce gang. Ce n’est que trois ans après son premier album qu’il commence à faire des textes politiques et afro-centristes.
En 1989, il sort un album pro-black Am I Black Enough For You?, un classique, avec le titre Livin’ in the Jungle.
Raison 7
Les membres du groupe Run DMC se faisaient passer pour des voyous et faisaient l’apologie des belles voitures et du style de vie des jeunes de rue ?
C’est faux !
Leur titre Sucker MC’s est une histoire, un storytelling où ils racontent leurs déboires lors de leur première tournée dans les clubs. La Cadillac dont ils parlent est celle de leur beatmaker Larry Smith qui les conduisait partout en tournée. Donc rien à voir avec l’apologie des voitures. A noter que sur ce titre, c’est également la première fois qu’on entend un rappeur faire référence à son lycée et à son cursus scolaire.
Sur le deuxième morceau It’s like That, on est, aussi, très loin des gangs. C’est un titre à caractère socio-politique. Ce texte parle du coût de la vie qui augmente sans que les salaires ne bougent mais aussi du fait que les jeunes du ghetto devraient étudier pour s’en sortir. Il y a même un passage qui fait référence à la religion.
À l’époque Run DMC avait tourné le clip du titre Mary, Mary pour justement dénoncer l’image de rappeurs violents que les mauvais journalistes essayaient de leurs coller.
Conclusion
Jusqu’au 4ème épisode de cette série de podcast sur la naissance de la culture Hip Hop à New York, j’ai relevé des tonnes d’erreurs, tellement il y en a. De plus dans le dernier épisode qui parle de l’influence de l’électro dans le rap via le précurseur Afrika Bambaataa dès 1982, le journaliste déroule toute la vie de Bambaataa sans jamais citer une seule fois le fait qu’il a été accusé d’atteinte sexuelle sur mineurs, ce qui a eu un impact très fort dans la communauté Hip Hop du monde entier.
Nous sommes en 2024 et je trouve déplorable que l’on ne puisse pas raconter correctement l’histoire de cette culture, surtout sur une radio publique à grande écoute. Il existe pourtant de nombreux spécialistes sur l’histoire du rap et sur la culture Hip Hop qui ne demandent pas mieux que l’on fasse appel à leurs compétences.
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