« Assurance + persévérance = récompense » , c’est motivé par cette devise que Tito Prince s’est lancé dans la musique. Véritable autodidacte, le rappeur a dû batailler pour voir le jour de sa percée. Aujourd’hui, il s’impose dans le rap game par son authenticité et la profondeur de ses textes. Neuf mois après la sortie de son dernier album « Un roi dans un HLM » le poète à la plume bien aiguisée se livre à nous pour raconter son parcours semé d’embûches.

Pendant longtemps tu te destinais à une carrière dans le foot, tu as même failli passer pro, mais finalement tu t’es lancé dans la musique. Comment ta vie a-t-elle basculé ?
À  l’époque j’avais 16 ans. L’ AJ Auxerre m’avait repéré et souhaitait me faire passer les tests pour intégrer le centre de formation. La sélection se déroulait en plusieurs étapes mais ils m’ont invité directement à la dernière car ils pensaient que j’avais un fort potentiel. Malheureusement, les choses ne sont pas déroulées comme prévu. Je n’ai pas pu assister à la rencontre. Les galères se sont ensuite enchaînées. Quelques temps après je me blesse gravement au genou. Quand je reviens sur les terrains, je ne retrouve pas mon niveau. À partir de ce moment-là, je me pose des questions sur mon avenir. Les choses basculent du mauvais côté. Je commence à traîner dehors avec les gars du quartier. Je tombe dans les travers de la rue et la délinquance. Pendant cette période, je regardais beaucoup de films de gangsters sur le thème du ghetto, style Paid in Full (Damon Dash), La Haine (Matthieu Kassovitz), ou encore Boyz in The Hood (John Singleton).
Ces films nourrissaient ma mentalité ghetto. Ils me faisaient croire que je pouvais bâtir une véritable carrière dans le business de rue. Dans la réalité, les choses ne se passent pas de la même façon… Ça finit souvent mal ! Croire que l’on peut assurer son avenir dans ce milieu c’est se bercer d’illusions et perdre beaucoup de temps. Je ne voulais pas m’enliser dans cet environnement néfaste. Plus jeune, j’écoutais beaucoup le morceau Trouve-moi un job d’Afrodisiac. J’aimais tellement le flow de LS, la poésie qu’il mettait dans sa façon de raconter le quotidien. C’est de là qu’est venu mon amour pour les textes travaillés. J’étais alors convaincu que je devais bosser dur dans un domaine qui me correspondait. Le rap est devenu mon ticket de sortie et je me suis lancé.

« Quand tu fais une chanson, il faut faire les calculs justes. La créativité c’est savoir additionner les bons éléments. »

Pourrais-tu faire une comparaison entre la musique et le foot ?
Sur le terrain comme en musique, il faut laisser sa créativité s’exprimer. Les deux marchent à l’instinct. Pour l’anecdote, quand j’étais au collège, ma prof de mathématiques était venue me voir lors d’un tournoi de foot. Après la rencontre, elle me dit qu’avant même de venir, elle savait que j’étais bon dans mon sport parce que j’étais fort en maths. Ma réflexion est rapide et juste, presque intuitive. Mes trajectoires sur le terrain ressemblent à de la géométrie. Dans un match, il faut effectuer le bon geste au bon moment. Quand tu fais une chanson, il faut faire les calculs justes. La créativité c’est savoir additionner les bons éléments : les bonnes paroles avec le bon flow, les bons instruments avec le bon rythme. Pour moi musique et foot sont liés. Je suis toujours dans le foot parce que mon fils y joue, donc je vis cette passion à travers lui. J’ai également beaucoup d’amis dans le monde pro. Ils écoutent mes sons avant les matchs pour se motiver.

Tito Prince Destin d'un roi.
© One Body Music

Tes parents viennent de la République Démocratique du Congo. Comment tes origines  influencent-elles ta vie d’artiste ?
Quand tu nais Congolais, tu es forcément plongé dans l’univers de la musique, c’est un héritage culturel incontournable. Cette réalité est d’autant plus vraie pour moi car mon père est musicien. Il a d’ailleurs travaillé avec Papa Wemba et Koffi Olomidé. Très tôt, j’ai baigné dans cet environnement-là. Le gospel a également joué un rôle capital dans ce que je suis en tant qu’artiste. Chez les Congolais l’église fait partie du quotidien. J’ai appris la batterie là-bas, je me suis essayé au chant et j’ai même pu y rapper. Ma famille et mon entourage m’ont apporté une culture musicale très riche. Mon répertoire est varié, allant de Tracy Chapman à Véronique Sanson, en passant par Bob Marley, Michael Jackson, et bien d’autres encore. En termes de fond, je ne m’inspire pas des messages que l’on peut entendre dans les musiques congolaises, mais c’est clair que je pioche énormément dans ma culture pour les sonorités !

Mis à part ton entourage, d’autres rappeurs ont également été des sources d’inspiration pour toi. Très tôt dans ta carrière tu as collaboré avec des grands noms du milieu. Qui t’a le plus inspiré ? Quels sont les collaborateurs qui t’ont le plus marqué durant ta carrière ?
La liste est longue : IAM, Dontcha, Kamelancien, Ali de Lunatic, Nessbeal, et j’en oublie sûrement… Mais je décerne une mention spéciale à trois rappeurs en particulier. D’abord Ol Kainry. J’ai beaucoup de respect pour lui. Présent depuis mes débuts, il a été le premier à faire un feat. avec moi. On avait les mêmes influences des States. Il m’a invité sur quatre de ses albums ! Ensuite il y a Disiz. Au moment de son retour dans le rap en 2012, il a fait un gros travail de mentorat avec moi. Il m’a invité à son Planète Rap en 2013. Il a produit mon EP Un prince dans un HLM. Il est venu poser spontanément sur mon morceau Grosse touffe bénie. Le plus beau cadeau qu’il m’ait fait, c’est de me demander de faire sa première partie à l’Olympia ! C’était tellement énorme que je suis resté bouche bée sur le coup. Bien sûr, j’ai accepté. C’est un souvenir exceptionnel. Enfin il y a Youssoupha, un véritable frère pour moi. Il a été présent dans les moments les plus compliqués de ma carrière.

Bien que tu aies collaboré avec beaucoup de rappeurs, très tôt tu as fait le choix de rester indépendant, pourquoi ?
J’ai choisi de travailler en indépendant pour conserver ma liberté artistique et maîtriser mon image. J’ai très vite pris conscience que j’étais différent de par mon message et mes idéaux. Certes j’ai une réelle expérience du ghetto, mais ma musique ne fait pas l’apologie du gangsta rap. Aux yeux de l’industrie, je ne rentrais pas dans les codes. Plusieurs maisons de disques m’ont fait des propositions. Au niveau marketing, elles voulaient toujours me vendre comme un rappeur street. L’image que je souhaite véhiculer n’est pas celle-là. Je veux faire ressortir ma personnalité et mon côté artistique. J’ai donc bossé avec des petit labels ou en indépendant. J’ai avancé en autodidacte et j’ai pu énormément apprendre. Je suis très fier d’avoir emprunté ce chemin et d’être resté fidèle à mes valeurs. Finalement, ce choix a payé. Sur ma route, j’ai pu faire un Olympia et rencontrer le succès dans mes ventes !

En tant qu’auditeurs, nous sommes toujours marqués par la profondeur de tes textes. Comment est-ce tu décrirais ta musique ? Quel regard tu poses sur toi-même en tant qu’artiste ?
L’écriture est mon point fort. Mon kiff c’est la poésie, les textes bien travaillés. Savoir écrire est un talent que l’on peut posséder mais pour vraiment devenir bon, il faut bosser dur et persévérer. Au niveau technique, je m’efforce d’être polyvalent. Je jongle entre différents types d’instrus, je varie mes débits et je diversifie mon flow, mais le plus important pour moi c’est mon message. Ma musique est universelle et l’essentiel se trouve dans les idées transmises par mes chansons.

« Parfois, sur un même album tu vas entendre une chanson qui respecte la femme puis dans le morceau suivant, elle est complètement dévalorisée. Moi j’ai choisi de toujours faire des sons qui encouragent mes auditeurs à l’estime de soi. »

Plusieurs de tes fans témoignent d’un changement de mentalité grâce à ta musique. Il y a une connexion spéciale entre toi et ton public, on le voit notamment avec ce mouvement de la Totination. Quel regard portes-tu sur ta relation avec ton public ?
J’ai toujours voulu créer un lien de proximité avec mon  public. Je suis comme le boulanger du coin. Il est indépendant, il gagne sa vie en vendant à ses clients leur pain quotidien et il entretient une relation avec eux. C’est exactement comme ça que je vois mon rapport avec le public. J’ai noué un lien très fort avec ceux qui m’écoutent et je peux dire que je connais mes followers. Je discute avec certains d’entre eux que j’ai rencontré sur les réseaux sociaux. Le bouche à oreille a énormément fonctionné pour moi. De là est née la Totination. Ce sont les personnes qui se sont identifiés à mon message et qui l’ont répandu autour d’eux.
Dès le départ le public m’a montré un engouement fort. En mai 2012, j’avais mis ma mixtape Avant d’exister en accès gratuit sur le web. Résultats : 15 000 téléchargements, dont 5000 dès la première semaine, alors que c’était mon premier projet solo depuis Le Prince du ghetto en 2008 ! Les gens avaient besoin d’un MC qui vient avec un discours d’espoir et des valeurs de paix. D’autres rappeurs font aussi des chansons avec des messages positifs mais ce n’est pas ce qui va caractériser leur fond musical. Parfois sur un même album tu vas entendre une chanson qui respecte la femme puis dans le morceau suivant, elle est complètement dévalorisée. Moi j’ai choisi de toujours faire des sons qui encouragent mes auditeurs à l’estime de soi.
On a tenté de me dissuader de porter ce message. L’industrie m’a souvent dit que ce n’était pas vendeur mais mon expérience m’a prouvé le contraire. C’est le cas avec mon album Toti Nation 1. Je l’ai sorti hors période médiatique, le 14 Août 2015 et l’ayant produit en indépendant, je n’ai pas bénéficié des soutiens de l’industrie, ni d’une médiatisation sur les grands canaux. Pourtant dès la première semaine, je suis numéro 2 des ventes en digital. Ma musique vit grâce à mon public.

Tito Prince Destin d'un roi.
© One Body Music

Après Toti Nation 1, la justice t’a envoyé un courrier pour t’interdire à vie de faire de la musique. Que s’est-il exactement passé et comment as-tu vécu cette période ?
Après l’album, les maisons de disque sont venues vers moi grâce aux bonnes ventes et l’engouement du public. Une d’entre elles m’a proposé une licence. Un contrat où je reste producteur mais où elle détient les droits de distribution et de promotion. On a sorti Toti Nation 2 mais la collaboration s’est mal terminée. Suite aux désaccords autour de la séparation, je reçois ce fameux courrier de la justice m’empêchant de faire de la musique. C’est un coup dur pour moi car je sais que cette sanction est infondée. J’ai défendu mon dossier en faisant appel auprès de la justice, mais ils ne me calculaient pas. J’ai pris un gros temps de recul dans la réflexion et la méditation. J’ai compris qu’ils n’étaient pas dans leur droit. Malgré l’injonction, rien ne m’empêchait de continuer ma carrière. Il n’y avait aucune raison valable pour me freiner. J’étais convaincu que je ne devais pas abandonner.
Je me suis remis au boulot. Fin 2017, je me suis replongé dans l’histoire de la musique. J’ai étudié les albums à succès, les clips ayant le plus marché. En 2018, je fais un freestyle avec Youssoupha et je reviens sur le devant de la scène. Youss m’a énormément aidé. Les finances n’étaient pas au beau fixe avec tous ces soucis mais lui et le label Bomayé Musik ont mis leur studio à disposition pour moi. Le public m’a également soutenu. J’ai mis mon album en vente et beaucoup l’ont acheté en précommande. La solidarité de tous m’a permis de m’en sortir. Je ne regrette pas la collaboration avec la maison de disque, ça fait partie de mon parcours. Tout cela m’a confirmé que le chemin de l’indépendance était le meilleur pour moi. Aujourd’hui grâce à mon expérience, je suis libre d’imposer mes conditions aux personnes qui souhaitent travailler avec moi.

« Bien que tu partes d’en bas, tu peux arriver en haut et bâtir un empire en réalisant le rêve que tu as en toi. »

Après la pluie vient le beau temps. 6 ans après ton EP Un prince dans un HLM, tu sortais en juin dernier ton nouvel album Un roi dans un HLM. Le titre n’est pas un hasard. Est-ce une manière de dire que tu es arrivé à maturité en tant qu’homme et artiste ?
Effectivement, je suis à la maturité d’un processus. Grâce à ma période de méditation, j’avais cette assurance d’entrer dans une nouvelle étape de ma vie. J’ai eu la persévérance pour sortir l’album malgré les difficultés. Ma récompense c’est mon indépendance et mon héritage. Le plus important c’est ce que j’ai construit sur le chemin. C’est ça ma royauté. Le HLM symbolise souvent le bas de la société. Bien que tu partes d’en bas, tu peux arriver en haut et bâtir un empire en réalisant le rêve que tu as en toi. Même dans un contexte social difficile, tu peux être le roi dans ton environnement par ta manière d’agir.

Derrière les rois, il y a souvent des reines. Comment ton couple influence-t-il ta vie d’artiste ?
Devenir un mari et un père responsabilise un homme. Ta première entreprise c’est ta maison ! Tu dois savoir tout gérer sans avoir la possibilité de te planter. Si tu es bon époux et un bon papa, tu es forcément un bon gestionnaire.  Non seulement au niveau matériel mais également dans le domaine humain et émotionnel. Mon couple et ma vie familiale me permettent d’affronter mes challenges d’artiste avec confiance.

Aime-toi France, c’est le morceau phare de ton dernier album. C’est d’ailleurs la chanson avec le plus de ventes digitales dans le projet. Pourquoi ce titre ? Que penses-tu de la situation de la France aujourd’hui ?
Ce morceau reflète parfaitement ce pourquoi j’ai bossé durant deux ans ! J’aime beaucoup la poésie dans le morceau et le message universel qu’il transmet : quand tu t’aimes suffisamment, tu peux aimer les autres. La chanson vise tout le monde, j’aurais pu l’intituler Aime-toi Monde, mais je commence d’abord par mon pays. En France il y a un véritable problème d’estime de soi. Il y a beaucoup de personnes en dépression et un nombre important de suicides. Malheureusement, les gens n’ont pas toujours une bonne vision d’eux-mêmes.
« Le changement d’un homme peut changer le monde », c’est la punchline du morceau. Comme l’a dit Michael Jackson dans l’une de ses chansons, si tu veux améliorer le monde, améliore d’abord la personne que tu vois devant le miroir. Je ne cherche pas à faire le donneur de leçon et à mettre tout le monde d’accord, d’ailleurs même Dieu ne le fait pas, mais je suis convaincu que la France a besoin de ce message. On est dans un pays où on se plaint beaucoup. On a cette tendance à tenir les autres pour responsables de nos échecs. Les mauvaises questions amènent de mauvaises réponses. Il faut d’abord nous regarder nous-mêmes. En travaillant sur soi, on a un meilleur rapport aux autres et au monde.

Tu fais de la musique pour éveiller les consciences, ce qui est de plus en plus rare chez les artistes. À ton avis, va-t-on vers la fin du rap conscient ?
Le rap conscient existe toujours. Les choses sont devenues différentes au fil du temps. Avant on éveillait les consciences seulement sur des instrus classiques. Aujourd’hui il y a du rap conscient sur des instrus dansantes ! La forme a changé. Mais je dois tout de même avouer que ça se vend moins car ce n’est pas la demande de l’industrie. On est dans un monde où le mal attire plus que le bien. Ce qui fait rire attire plus que ce qui fait réfléchir ! On cherche plutôt ce qui fait bouger sans se prendre la tête. On est dans une mouvance de divertissement où l’immoral est devenu séduisant. On peut conscientiser vers des bonnes choses, mais également vers le danger. En tant que rappeur, vouloir apporter des messages positifs est difficile. Le chemin est long et complexe pour réussir dans cette voie.

« Pour moi le Hip Hop c’est un moyen simple et authentique d’exprimer ce que l’on a au fond de nous par l’art. »

On a beaucoup parlé de rap mais le Hip Hop regroupe plusieurs disciplines (danse, graffiti, rap). Si tu devais donner une définition du Hip Hop, que dirais-tu ?
Pour moi le Hip Hop c’est un moyen simple et authentique d’exprimer ce que l’on a au fond de nous par l’art. C’est une plateforme d’expression qui révèle facilement les intentions d’un artiste !

Si tu devais conseiller un danseur, un DJ, un graffeur et un rappeur, qui choisirais-tu ? 
Danseur : Junior as Dance, j’apprécie beaucoup son univers.
DJ : DJ Land-K, il est capable de mettre une bonne ambiance dans toutes les circonstances.
Graffeur : Tige, je le trouve particulièrement talentueux.
Rappeur : Gawvi, il a d’ailleurs sorti mon clip favori du moment, Fight for me.

Le rap reste quand même ton domaine de prédilection. Si tu devais faire ton Top 5 de tes rappeurs favoris, quel serait le classement ?
Kanye West : musicalement c’est un phénomène.
Lecrae : on partage les mêmes convictions. Profondeur des textes et originalité, il possède toutes les qualités que j’aime chez un rappeur. Son feat. sur Fight for me est un exemple parfait de ce qu’il sait faire.
D Smoke : un rappeur très fort artistiquement.
Youssoupha : ses textes sont authentiques et humainement, c’est un frère.
LS d’Afrodisiac : ce n’est pas vraiment un rappeur à la base, mais j’aime beaucoup la poésie de ses textes, son flow à mi-chemin entre rap et chant.

À part la musique, quels-sont tes hobbies ?
Le foot. En dehors de la musique je passe mon temps dans l’univers du ballon rond. Mis à part ça, je suis très casanier et famille. J’étais confiné avant le confinement (rires). Mes premiers hobbies ce sont les activités familiales.  

Ton mot de la fin ?
Assurance + persévérance = récompense. Ne lâchez pas vos objectifs et battez-vous pour vos rêves ! Ne vous sous-estimez pas, et ne négligez pas les débuts difficiles dans la vie.


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