Véritable passionné aussi bien de Hip Hop que de ragga, qui produit, booke et promotionne des concerts en France et à l’international, Antoine Missir aka Globe manage également des artistes dans le monde entier. Pour T-Rex Magazine, il évoque avec enthousiasme son parcours, ce qui fait le sel de ses différents métiers, ses relations avec les artistes ainsi que son amour de la musique et du live.

Bonjour Antoine, est-ce que tu peux te présenter en quelques mots ?
Salut T.Rex ! Mes parents m’ont nommé Antoine, mais la plupart des gens m’appelle Globe. Je suis passionné de musique, d’art, de voyages, épris de liberté et agent d’artistes dans la vie active.

Quand et comment s’est faite ta rencontre avec la culture Hip Hop ?
En 91, lorsqu’un certain Zephyr ( plus tard connu sous le nom du C.Sen ) a débarqué de sa banlieue dans mon petit bahut propret et l’a défoncé de tags, engrainant au passage mon meilleur pote d’alors . Aimant le dessin, j’ai suivi par mimétisme et de là, à nous les expéditions rue et metro chaque week-end avec dans les oreilles Rapattitude 1, Little MC, Das Efx, Public Enemy, et autres Naughty By Nature, House Of Pain… Je ne m’en suis jamais remis !

Qu’est-ce que la culture Hip Hop t’a apporté à l’époque ? Et qu’est-ce qu’elle représente pour toi aujourd’hui ?
Pour moi qui était plutôt tranquille et timide, la culture Hip Hop m’a aidé à m’affirmer et à trouver ma place dans la ville, et dans la vie !
Aujourd’hui elle signifie pour moi avant tout l’art de canaliser la tension et de la transformer créativement mais aussi la débrouillardise, faire de grandes choses avec rien, s’autogérer, proposer des alternatives aux schémas dominants.

Il y a une citation de KRS-One qui dit « le Hip Hop ce n’est pas quelque chose que tu fais, c’est quelque chose que tu vis », est-ce tu es en accord avec ça ? Et pourquoi ?
Complètement d’accord. Ça dépasse les disciplines, c’est plus une manière d’appréhender la vie positivement malgré la brutalité de la société. Mais cet état d’esprit se perd de plus en plus malheureusement ! La plupart des rappeurs actuels ne sont pas du tout connectés à ces valeurs de Peace, Unity, Love & Havin Fun.

« La culture Hip Hop m’a aidé à m’affirmer et à trouver ma place dans la ville, et dans la vie ! »

Ton pseudo, Globe, ça vient d’où ?
C’est venu il y a 25 ans de mon goût pour les motifs sphériques, mais aussi de ces cinq lettres qui sont très cool à taguer ! À croire que ce nom m’était prédestiné car j’ai eu la chance de parcourir la planète toute ma vie.

Tu continues de taguer/graffer ?
Autant que possible ! Je fais ça sans aucune prétention, en simple amoureux de la lettre, ça me défoule, me calme et c’est aussi une formidable façon de connecter les gens entre eux et découvrir des endroits.

Qu’est-ce que tu penses des tensions entre street art et graffiti actuellement ?
J’aime l’art libre, les couleurs dans la rue, mais je déteste ce concept fourre-tout de street art, beaucoup trop lisse et politiquement correct à mon goût !

GLOBE – photo instagram

Tu as été animateur radio pendant des années, comment on passe d’animateur à organisateur d’événements, puis tourneur/booker, manager et agent d’artistes ?
Ça ne s’est pas passé exactement dans cet ordre. Dans mon lycée, beaucoup de gens commençaient à rapper ou à mixer mais on ne pouvait pas rentrer dans les soirées des grands !
Alors à 16 ans j’ai commencé à organiser mes propres fêtes où forcément tous les potes de potes venaient performer (ATK, Dispositif, 1suivi du 8, Abalone, Kalash…) et rapidement dans le coin j’ai eu le rôle de l’organisateur/apprenti manager. J’ai secondé Loko sur la promo de ses tous premiers projets et ensemble on allait taper à la porte des émissions radios , type Kool & Radikal sur FPP 106.3, LBR sur Libertaire et forcément chez Mark sur Generations, qui recherchait à ce moment là des nouvelles têtes pour l’antenne, une opportunité de malade à 18 ans !
S’ensuivront douze saisons de radio avec 9-Zedou puis l’émission Lokalize Show, chaque semaine à passer du son et recevoir des artistes, essentiellement rap français mais aussi reggae/dancehall, soul, et bien plus par la suite.
Ça m’a beaucoup appris et apporté pas mal de connexions avec les artistes de mon âge mais aussi toutes les légendes que j’avais pu écouter !
C’était aussi l’époque des grosses mixtapes rap français comme Opération Coup De Poing, Poska 25, Dontcha, Cut Killer, et bien sur la Neochrome. Alors avec mes potes on a lancé Quality Streetz, selon notre vision ragga hip hop : on a sorti deux albums de 25 tracks chacun, sur cassette, plus 2 maxis vinyls et une compilation best of, plus un album mixé par Ewone et Tarzan sous le nom Chief Rockers.
Ces projets ont bien marché et se sont déclinés sur scène lors de soirées anthologiques à Paris dans des squats, puis au Batofar et dans des sound systems en province. C’est devenu évident à cette époque que c’est l’organisation d’événements qui nous motivait le plus !
À force d’accueillir des artistes , et que ça se passe bien, certains nous ont proposé de gérer leur représentation pour la France et l’Europe : Alchemist, Just Blaze, puis Gangrene, Barrington Levy, et par la suite de plus en plus de rappeurs français comme Flynt, Lino, Rocca, Vicelow, 2Bal, Eklips, Kenyon, A2H, Deen Burbigo, mais aussi Taïro, Admiral T… la liste est très longue !

Lokalize Show - Générations FM
Pendant Lokalize Show sur Générations FM – photo © MarOne

Quand as-tu créé ta première société CO2Activity et qu’est-ce qui t’a motivé à te lancer dans cette carrière professionnelle ? Pourquoi ce nom CO2 ?
Moi ce qui m’a toujours fait vibrer, c’est ces moments de rencontres entre artistes et entre les artistes et le public, l’énergie de la foule qui danse et chante ensemble je trouve ça beau, puissant et assez magique. C’est ce que j’ai toujours cherché à obtenir sur disque, en radio, et particulièrement dans le spectacle vivant. J’avais juste envie d’organiser les événements où je voudrais moi même aller, puis ce sont ces rencontres et ces opportunités successives qui m’ont naturellement fait glisser de la passion d’amateur à un vrai job.
Quand à CO2Activity, c’était le nom de notre trio de kiffeurs à l’époque avec Lonzer et Para One. Ça signifiait Chill Out Corp ou encore la créativité issue de la pollution urbaine !

Avec CO2activity vous étiez un élément important et fédérateur du monde de la nuit, comment avez vous vécu cette période très dense et cette notoriété ?
Avec bonheur ! On dormait peu, on ne gagnait pas beaucoup d’argent, mais que de bons souvenirs, de sourires, d’anecdotes tragicomiques ! Toutes ces nuits étaient lumineuses finalement.

Beat & Juice N°25 avec 25 des meilleurs DJs de Paris. – 2009

Au début des années 2000 la nuit parisienne semblait beaucoup plus festive, sans prendre en compte la conjoncture actuelle avec le coronavirus, penses-tu qu’on pourrait retrouver la même ambiance et la même dynamique que pendant vos fameuses soirées Beat & Juice ?
Je suis nostalgique de ces soirées Beat & Juice car effectivement le cocktail prenait particulièrement bien, il y avait un côté pointu dans le son, mais aussi une mixité totale des tribus et des classes sociales ! Je crois qu’on a eu un mélange de flair et de chance à l’époque : une capitale encore assez agréable à vivre, une période prolifique en bonne musique, une scène DJ ultra-qualitative, des bons lieux à tarifs raisonnables qui nous faisaient confiance.
Aujourd’hui les choses ont évolué, elles se sont peut-être aussi durcies, mais je suis persuadé qu’il y a encore des endroits et des orgas créatifs, à la surface ou dans l’underground !

Quels étaient tes lieux préférés à l’époque ? Et maintenant ?
À l’époque c’était clairement le Nouveau Casino, le Cabaret Sauvage, l’Elysée Montmartre, le Divan du Monde, le Triptyque
Maintenant que je suis plus vieux et moins fêtard, je privilégie les spots d’extérieur. Quoi de mieux que de danser sur une plage ?

soirée au Nouveau Casino – photo © MarOne

Tu as vécu en Amérique du sud, en Colombie plus précisément, comment est la culture Hip Hop là-bas ? C’est le rap, la danse ou le graffiti qui prédomine ?
La Colombie a une belle scène ultra-créative, concentrée avant tout dans les villes comme Bogota, Medellin et Cali. Il y a encore là-bas cette notion de culture, avec un vrai respect de la tradition et une dimension sociale et militante forte. On trouve dans la plupart des quartiers des écoles où les jeunes peuvent sortir de la rue via l’apprentissage des disciplines du Hip Hop. Après il y a aussi tout le côté sale et gangsta rap, et aussi la trap qui se mélange au reggaeton !

Tu peux nous citer des noms d’artistes Hip Hop latinos que tu kiffes? (danse, rap, DJ, graffiti)
Il y en a un nombre incalculable, car on parle d’un continent entier ! Mais je citerais en vrac :
En rap : Gabylonia, Alkolyrikoz, Canserbero, Apache, Naty Peluso, Tres Coronas, N.Hardem, Marcelo D2, Criollo, Emblema, Calle 13.
En danse : Crew Peligrosos.
En DJing : Dmoe, Rat Race, Astral Bass, Johnny Crow.
En graffiti : Saga Uno, Error, les Pgs, les Vsk, Apc, Alm, Caribes, CMS.

En 2016 et 2019 tu as fait tourner en Amérique Latine Vicelow, Sir Samuel, Specta et DJ Nelson, c’était ton idée ou une demande du public sud-américain ?
C’était une demande du public ! Angela a été un hit mondial mine de rien, tout le monde a zouké dessus ! Et la réputation scénique du Saïan a aussi traversé les frontières grâce aux chaînes câblées, donc le public les connaissait et les réclamait !
On a pu ainsi monter deux tournées en Colombie, Argentine et Chili… Inoubliable !

Peux-tu nous expliquer quel est le travail d’un tourneur au quotidien? Les avantages et les inconvénients ? Ton exemple pourrait susciter des vocations !
Le tourneur est le chaînon entre les artistes et les organisateurs, salles ou promoteurs. Il aide l’artiste à la création de son show live, puis il va le proposer à un réseau d’organisateurs, allant du café-concert au festival. Ensuite il gère la partie administrative (contrats de vente, emploi, visas, etc…), et enfin il s’occupe de toute la logistique : transports, hébergements, horaires…jusqu’à déposer la bouteille d’eau sur la scène !
Avantage : C’est un métier magnifique pour qui aime la musique, la foule et les voyages.
Inconvénient : c’est un marché très concurrentiel et encombré, la compétition peut être rude et il ne faut pas compter ses heures, tant au téléphone et sur l’ordi que sur la route.

Vicelow, Sir Samuel & Specta à Bogota 

En tant que tourneur et agent, comment est-ce que tu crées ton « catalogue » d’artistes ? Est-ce qu’il doit y avoir une affinité artistique ou amicale avec ceux dont tu t’occupes ? Quels sont tes critères dans le choix de l’artiste avec lequel tu veux travailler ?
Avant tout il faut qu’il y ait un kiff artistique, que la musique me parle et que sur scène il se passe quelque chose ! Ensuite, il faut qu’il y ait un minimum de potentiel commercial pour mon réseau de clients. Enfin, il y a la dimension humaine : qu’on s’entende bien, que l’artiste ait les pieds sur terre et soit déjà un peu autonome sur sa création et sa fanbase.
Ce qui justifie un tour, c’est la demande d’un public, lui même formé, augmenté et entretenu par l’actualité de l’artiste.

Depuis quelques années tout ce qui est live, (concerts et festivals), prend de plus en plus d’importance dans la carrière d’un artiste, comment tu gères cette augmentation des demandes de live ? (avant le covid évidemment)
Oui il y a de plus en plus de concerts car avec l’écroulement des ventes de disques, tourner est redevenu le meilleur moyen de gagner sa vie pour un artiste. Pour autant, je ne trouve pas que le niveau d’exigence soit très élevé. Combien de rappeurs en haut des charts sont capables de tenir une heure de show sans perdre leur voix ou sans erreur dans leurs textes ? Peu ! Et le public gobe ça tranquillou…
Moi je fais le choix de ne travailler qu’avec des artistes réellement motivés par le live, prêts à mouiller le maillot. C’est la base ! Je pense qu’un bon show fera plus parler que n’importe quelle campagne marketing.
Après, d’un point vue business, comme je l’ai dit avant, le marché est assez saturé donc il faut renouveler régulièrement son roster et augmenter son réseau de clients, s’adapter aux nouvelles formes de communication.

Tu as tourné avec beaucoup d’artistes tous très différents issus aussi bien du rap que du reggae, du ragga, du dancehall et maintenant latinos, peux-tu nous dire avec qui le travail fût le plus agréable ?
J’ai aimé la plupart des tournées que j’ai pu faire, mais je retiendrai particulièrement celles de Luciano, Flynt / Nasme et DJ Blaiz, les Saïan, Mix Master Mike, Eklips, Admiral T, et DJ Nelson, avec qui on s’est particulièrement bien marrés off stage !

Avec qui tu aurais aimé collaborer, tous styles confondus ?
Buju Banton, Shabba Ranks, Residente, Wyclef Jean, NTM , Nidia Gongora, Choc Quib Town, Biga Ranx, Aretha Franklin, Stevie Wonder, Nina Simone, Césaria Evora, Calypso Rose, Stromae, Kassav, Burna Boy, Yendry… J’aurai encore de quoi faire pendant quelques vies !

C’est vraiment difficile de travailler avec des rappeurs ou c’est un mythe ? (rires)
Il ne faut pas généraliser ! Les artistes qui m’ont donné le plus de fil à retordre n’étaient pas des rappeurs !

Quel est ton avis professionnel sur l’entourage des artistes, penses-tu qu’ils sont en général bien entourés au niveau du business, que ce soit pour gérer leur carrière ou leur image ?
Par le passé, pas toujours, notamment lorsque c’était les potes ou les compagnes qui géraient les affaires sans véritables connaissances, ça pouvait vite devenir folklorique. Mais ça a tendance à changer, il y a de vrais profils de managers, producteurs et réals qui émergent dans le milieu, issus d’écoles ou autodidactes ! Autant je trouve que le flambeau culturel n’a pas toujours été bien transmis, autant la fibre entrepreneuriale a super bien pris chez la nouvelle génération.

Vuelta Music, Booking agency
Vuelta Music, Booking agency

Tu as créé une nouvelle société récemment qui s’appelle Vuelta Music, peux-tu nous expliquer en quoi ça consiste ? Et quels sont tes futurs projets ?
Vuelta ca veut dire plein de trucs en espagnol : « una vuelta » ça signifie un tour, et aussi une volte en danse. « Estar de vuelta », c’est être de retour ! C’est mon évolution en fait, j’ai toujours un pied et une oreille dans l’ « urbain », mais beaucoup moins qu’avant . Maintenant en tant que kiffeur de son, je vais plus vers les musiques ensoleillées et positives, qu’elles viennent d’Amérique Latine ou d’Afrique ! Ça vient sans doute du fait que je vieillis et que j’habite au bord de l’eau !
Avec cette nouvelle structure, je développe un catalogue d’artistes internationaux super éclectique mais 100% qualité niveau message, groove et énergie scénique, en partie en association avec mes collègues d’Otaké Productions.
En Hip Hop, je continue à travailler avec les américains Alchemist, Mix Master Mike, les français Seth Gueko, Davodka, Swift Guad, Relo, la suisse KT Gorique, le mauritanien Adviser
Je développe aussi une toute jeune artiste franco/camerounaise du nom de Dirtsa qui va faire très mal, avec son mélange rap/rnb. Checkez son 1er live !
En reggae dancehall, toujours Admiral T, mais aussi Neg Marrons, Daddy Mory ou Pierpoljak.
En chanson française exotique, les fabuleux Zoufris Maracas et le combo Pat Kalla & le Super Mojo. En cumbia/bullerengue, le trio féminin colombien La Perla.
En musique cap verdienne, la toute nouvelle artiste Andreia.

Tous ces artistes, j’espère pouvoir les mettre sur les scènes européennes bientôt. Parallèlement , j’ai d’autres projets pour la Colombie, dont peut être un festival dans un lieu paradisiaque… À suivre !

Et je travaille également à relancer une activité de label, avec notamment la réédition des projets Quality Streetz pour leurs 20 ans, mais aussi les archives de l’émission radio qui regorgent de trésors. À terme l’idée est de mettre plus d’énergie sur la création et pas seulement la commercialisation. Ce ne sont pas les projets qui manquent !

Avec cette période de coronavirus, le monde du spectacle, de l’événementiel et de la culture en général est en grande difficulté, comment vois-tu l’avenir pour vos métiers ? Que faire en attendant un retour à la normale ?
L’avenir est complexe car on s’est bien rendus compte tout au long de l’année que la culture n’était plus une priorité pour le gouvernement qui tend inexorablement à réduire les interactions entre les gens. J’espère quand même que d’ici fin 2021, on pourra de nouveau faire des soirées, concerts, etc. mais les mentalités auront sans doute évolué : je remarque que chez les jeunes, c’est de plus en plus normal de tout faire derrière un écran, à commencer par la consommation de musique.
Alors je pense qu’il faudra s’adapter, continuer autant que possible à proposer de beaux moments de rencontre, quitte à ce qu’ils soient clandestins et sauvages, mais aussi fournir des nouveaux concepts en numérique.
Et en attendant, il faut résister, occuper la rue et tirer profit de toute cette période sombre pour écrire, composer ou peindre. Être raggamuffin quoi !

Peux-tu nous citer ton top 5 de rappeurs / rappeuses favoris ?
Trés compliqué !
Alors comme ça sans trop réfléchir :
BiggieMethod ManKendrick LamarDizzee RascalResidente

Un mot de la fin, une dédicace ?
« Life is one big tour, with a lot of gigs !»
Voyagez, rencontrez, apprenez, vibrez ! La culture et la musique sont des vecteurs d’amour et de progrès !
Dédicace à tous ceux qui ont l’amour de l’art, et spécialement à mes équipiers passés, actuels, futurs !


Retrouvez Antoine Missir et Vuelta Music sur : Facebook , Instagram et sur le site : vuelta-music.com