Une Vie Et Quelques par Hugo TSR

Hugo TSR
Une Vie Et Quelques
Année : 2021
Format : album 10 titres
Localisation : France (Paris)
Production : Hugo TSR, Art Aknid, Beateljouss, Goul MDC, Swed CMF
Featurings : Tragik

Personne n’y croyait mais finalement il l’a fait. Après son dernier album Tant qu’on est là sorti en 2017 (et qui a fini disque d’or, tout comme l’album précédent, Fenêtre sur rue), Hugo TSR revient quatre ans plus tard. L’attente était forte grâce aux deux singles envoyés en 2020, Périmètre et Senseï. C’est d’ailleurs suite à ce dernier titre qu’il avait annoncé la date de sortie de l’album pour 2021.

Hugo TSR n’est pas un débutant, auteur-compositeur-interprète, il a fait ses débuts avec le TSR Crew en 2004 tout en travaillant sa carrière solo en parallèle. Il s’est longtemps fait appeler Hugo Boss avant de devenir Hugo TSR. Malgré ses six albums solos et les quatre avec son groupe, il demeure mystérieux, quelques rares interviews et une silhouette emblématique font qu’on le connaît peu car il s’affiche rarement. L’album a été annoncé via les réseaux sociaux, il ne fait pas de réelle promotion et ses visuels comportent souvent un visage sous une capuche. S’il a longtemps pu être considéré comme l’un des pionniers de l’underground, il peut aujourd’hui côtoyer les têtes d’affiche.

Ce que les auditeurs aiment chez lui, c’est évidemment son personnage, on peut clairement s’identifier à lui, ce roi de la punchline qui rappe vrai. Il décrit son quotidien sans détours, son discours est ancré dans la réalité et il ne prend parti pour personne. Bien qu’il rappe depuis des années sur les mêmes thèmes, il le fait toujours remarquablement bien. Rester authentique ce n’est pas répétitif, c’est une qualité.
Beaucoup annoncent des projets mais rien ne sort, jusqu’à ce qu’Hugo, resté silencieux, envoie un coup fatal avec ce nouvel album.

Le MC a des origines japonaises auxquelles il ne manque pas de faire référence comme l’indique le titre d’ouverture, Senseï :

« Senseï, c’est en tant qu’tel que j’m’introduis
Sans rien dire quand les autres parlent sans rien produire
»

Le terme Senseï signifiant maître/professeur en japonais, le morceau renvoie également au titre Dojo qui est présent sur Fenêtre sur rue. Clairement, ici, il explique qui est le boss, il reste à contre-courant et son rap est vraiment aux antipodes de celui qu’on écoute aujourd’hui. Exit l’ego-trip, il est très terre-à-terre, pas de grosses liasses, pas de gros bras, c’est du droit au but. C’est comme ça que ça se passe dans ce 18e arrondissement de Paris réputé dangereux et au taux de criminalité important.

Le morceau Périmètre qui suit est aussi très révélateur. Les années passent mais rien ne change. Son périmètre, c’est son quartier, son monde, là où il évolue, là où il est « bloqué ». Pourtant Hugo crache sans cesse sur la popularité, l’argent et les projecteurs, ce n’est pas ce qu’il recherche avec sa musique. Il fait de l’art, et c’est cela qu’il veut qu’on respecte, qu’on saisisse. Il ne compte pas les billets mais mesure plutôt les émotions. Sa musique est vivante, triste mais apaisante, il n’y a pas de morceaux à extraire, c’est un tout. On écoute encore et encore et on comprend un peu mieux à chaque fois. Quand il explique qu’il habite entre deux rails (ceux du métro), c’est fort. On comprend que son quartier n’est pas aisé, les références aux dealeurs sont assumées. Alors que dans le reste de la ville, c’est plutôt la cocaïne et la vie aisée qu’on vise, dans sa zone de confort à lui, ce n’est pas vraiment la vie dont un jeune rêve. Néanmoins, cette réclusion envers la foule est volontaire.
Ce titre constitue à mon sens le morceau le plus réussi de l’album et Hugo ne s’y est pas trompé en le clippant.

L’album est cependant court, c’est vraiment le seul reproche (pas défaut) qu’on peut lui trouver. Il comporte neuf morceaux et un interlude rappé. Le tout fait une trentaine de minutes, ce qui est court mais suffisant pour se plonger dans l’univers du rappeur, dans les transports en commun par exemple. Il ne fait pas du rap engagé à proprement parler, bien qu’on entende des critiques visant la société, le capitalisme et le mode de vie occidental.
Hugo pratique un rap de rue et met évidemment ses acteurs au premier plan. Le morceau Oubliettes où il parle d’une femme sans domicile, star qui ne l’est plus et qui a sombré dans l’alcool… Il parle des sans-voix, des pauvres et de tous ceux qui côtoient la rue de longue durée, ceux qu’on n’entend jamais, tout en critiquant ceux qui l’ouvrent pour ne rien dire.

Plaisirs tristes, quatrième morceau du disque, va d’ailleurs directement pointer les utilisateurs des réseaux sociaux, en particulier ceux qui aiment se redorer le blason. Mettre des filtres sur tes photos et n’être tout de même pas convaincant quand tu parles de ton propre bonheur, c’est du paraître, une image, pas du réel. Il donne ainsi vie à plusieurs personnages différents, il use moins de punchlines et de métaphores qu’à son habitude ou presque. C’est intéressant car tout y est plus accessible. Il ne vient pas conquérir un nouveau public et gagner les faveurs d’une chaîne de télévision, il vient avant tout pour lui-même, pour s’inscrire dans la durée et continuer d’exister. Hugo vient pour satisfaire ses fans et donner de l’espoir, non pas au rap, mais plutôt à l’art.

Côté contributions extérieures, le seul featuring est celui de Tragik (le Gouffre) sur le morceau Coloc à terre. Quant aux productions, on y retrouve Hugo évidemment, mais aussi Art Aknid, Beateljouss, Goul MDC & Swed CMF. Le tout est réalisé en indépendant, sans réelle promotion, mais la musique du MC arrive tout de même dans nos oreilles, pénètre nos pensées et nous prend toujours par surprise comme un ninja.
On connaît sa façon de faire, de penser et son point de vue mais il est toujours aussi enrichissant de l’entendre. Espérons que cet album sera suivi de projets aussi envoûtants dans un futur plus proche. Le rap ne peut continuer à se passer de tels artistes. Si le folklore japonais est une source d’inspiration pour Hugo, sa musique, elle, est un phare dans l’océan du rap français…


Retrouvez Hugo TSR sur son site officiel : https://hugotsr.fr/

Chronique écrite par Fathis