Né en 2011 à Paris, le label rap Effiscienz s’efforce de construire des ponts entre les deux côtés de l’Atlantique en sortant à un rythme effréné les projets de certains des meilleurs MC’s de l’underground US. Grâce à une équipe aux compétences multiples, Effiscienz diversifie ses activités et gère ses sorties de bout en bout tout en gardant le cap de l’indépendance. Rencontre avec Loscar, l’un des fondateurs du label.

Bonjour Loscar, quel a été ton premier contact avec le Hip Hop ?
De façon indirecte, comme beaucoup, l’émission télé H.I.P. H.O.P. Je me rappelle exactement du moment où je suis tombé dessus, je me suis dit « c’est quoi ce truc ? ».
Puis de façon plus directe avec le graffiti et le tag qui envahissaient les rues, j’étais très impressionné à l’époque. J’avais 10 ans et pas de grand frère, je ne comprenais pas ce qui se passait alors je recopiais sur un petit carnet ceux que je voyais le plus souvent en essayant d’imiter le style puis je les montrais aux grands pour qu’ils m’expliquent (rires)… Super souvenirs de gamin.

DJ Loscar - photo © Gustavimages
Loscar – photo © Gustavimages

Qu’est-ce que le Hip Hop représentait pour toi à l’époque et que représente-t-il pour toi aujourd’hui ?
À l’époque, pour moi c’était vraiment l’expression de la jeunesse, quelle qu’elle soit, un OVNI « made in street », quelque chose qui nous appartenait, comme un défi au conformisme. Aujourd’hui, avec plus de maturité, ça reste pour moi une culture urbaine avec ses propres règles et ses disciplines mais qui nous a échappé.
Pour ma part, je n’ai jamais connu le « Peace, Love, Unity and Having Fun », ça a toujours été la compétition, les embrouilles, les bastons, le défi, mais il y avait cette dimension du crew où chacun existait dans sa discipline, les tagueurs, les rappeurs, les DJ’s, les breakers et tous, on existait à travers ça. Je suis nostalgique de cette époque et quelque part, j’ai retrouvé cet équilibre avec le label Effiscienz qui est une véritable équipe où chacun a sa place suivant sa qualité propre. C’est notre collectif qui nous permet d’avancer et de créer, tous ensemble on est une vraie force. Ça c’est Hip Hop !

Tu as tout de suite été attiré par le DJing ou es-tu passé par d’autres disciplines Hip Hop ?
Pas du tout, ma première discipline, mon premier amour a été le graffiti. J’y ai donné mes plus belles années et j’ai engrangé tellement d’histoires, des trains aux rails, des rues aux terrains vagues… Une belle histoire où tu dois sacrément porter tes c**illes. Je me suis frotté au mic aussi. Quand j’y pense, c’était vraiment nase, une version blanche de Chuck D (rires)… J’avais quand même réussi à faire une scène où j’avais oublié la moitié de mes textes et les gens étaient tellement bourrés qu’ils sautaient quand même en l’air (rires). J’ai rapidement vu que ce n’était pas mon truc et j’ai laissé tomber pour continuer dans le graffiti.
Puis, comme beaucoup, après que la politique se soit durcie avec l’arrivée d’une droite de plus en plus forte et après quelques complications avec la police, mais aussi avec les responsabilités familiales qui étaient les miennes, j’ai levé le pied. Le problème, c’est que tu n’arrêtes pas cette discipline du jour au lendemain quand tu y es accro depuis tant d’années…
À côté de ça, je kiffais le son et l’une de mes copines qui me voyait tourmenté m’a demandé pourquoi je me lançais pas dans le DJing. Ça été le déclic, j’y ai mis toute ma passion et toute mon énergie. Mais je t’avoue que je n’ai vraiment jamais raccroché avec le graffiti, même si je ne pratique plus, je m’y intéresse toujours et si demain on me tend une bombe et un fat cap ou une 20, pas sûr que je résiste (rires).

«  C’est notre collectif qui nous permet d’avancer et de créer, tous ensemble on est une vraie force.
Ça c’est Hip Hop ! »

Quand on dit « esprit Hip Hop », ça te parle ? C’est un concept qui se perd selon toi ou est-il toujours bien vivant ?
« Esprit Hip Hop » ? Je sais pas, faudrait demander au « Teacher » (KRS-One), il adorerait cette question sur laquelle il disserterait pendant des heures. Véridique, je l’ai vu faire à New York dans le shop de Fat Beats, c’était une messe dont il était le pasteur, il y avait jusqu’à des gos qui demandaient comment elles devaient vivre le Hip Hop (rires).
Pour en revenir à la question, pour moi c’est plus une culture dont chacun fait ce qu’il veut. Comme je l’ai dit, je n’ai pas connu l’esprit « Peace, Love, Unity and Having Fun », quant au « respect », c’est comme à la boxe, pas besoin de chinoiseries, ça se gagne.
S’il doit y avoir un esprit c’est plus, « la rue, une attitude et surtout fais avec ce que tu as en ne t’imposant aucune limite ».
Aujourd’hui en France, le Hip Hop vit à travers notre génération, mais n’existe plus dans notre jeunesse. Je le vois bien avec tous les artistes que je reçois en tant que D.A. en maison de disque. Les mecs ne se revendiquent presque même plus du rap mais plus de la musique « urbaine » comme certains dans le graffiti se revendiquent « street art »… Désolé, je n’ai pas pour habitude de mâcher mes mots, mais c’est à gerber.
Aux USA, pendant quelques années, c’est grâce à l’Europe que cette dimension « culture Hip Hop » a perduré chez eux et récemment pour le coté MCing, des artistes comme Westside Gunn et toute sa clique ont relancé le truc et ça, c’est vénèr. Ils sont très respectés pour ça : être parvenus à rester eux-mêmes sans faire de concessions aux majors, sans trahir leur musique, sans utiliser le format club/radio et aller au sommet. De Raekwon à Jay-Z en passant par Fifty et surtout Eminem qui leur a donné leur chance, ils respectent ça et ça a redonné du sens au Hip Hop dans sa maison-mère.

Pour toi ça veut dire quoi « être Hip Hop » ?
Être Hip Hop je pense que c’est quelque chose de très personnel, il n’y a pas de définition générale. Pour moi, c’est une attitude et c’est vivre pleinement et avec passion au moins un élément de cette culture en comprenant que c’est un tout, comme les 4 éléments de la vie (l’air, le feu, l’eau et la terre). Nous, nous avons le graffiti, le MCing, de DJing et le breakdancing.
Celui qui vit une de ces disciplines sans comprendre les autres, il a coupé la branche et ne peut pas comprendre nos racines. C’est malheureusement le cas de beaucoup de nos rappeurs en France aujourd’hui et pire encore, le cas de plus en plus de gens qui font du graffiti en école d’art, juste pour avoir une étiquette « street art » assez tendance aujourd’hui.

Comment est né le Label Effiscienz? Qu’est-ce qui a motivé sa création ?
Le label Effiscienz est né d’une camaraderie autour d’un projet dont DJ Brans était l’architecte. Ce n’était pas du tout calculé, genre « on va monter un label », on était juste regroupés autour d’une même passion pour le Hip Hop. Puis, de façon naturelle, chacun s’est impliqué selon ce qui le caractérise dans l’équipe et lorsque nous avons cherché un label pour sortir les projets que nous préparions, nous nous sommes dit que finalement, nous nous suffisions à nous-mêmes et que nous avions tout ce qu’il fallait pour monter notre propre label. Et Effiscienz est né (rires)…

Peux-tu nous présenter l’équipe ? Vous êtes combien ? Qui fait quoi ?
Nous sommes huit. DJ Brans & Mil Beats sont nos ingés son et ils s’occupent de la partie enregistrement studio, puis dans le process Brans est plus sur le mixage tandis que Mil se charge du mastering. Eric D et Gustav sont sur la partie visuelle, Eric comme directeur video et Gustav comme directeur artistique et graphique du label, avec également un gros soutien sur les vidéos. DJ Djaz est vraiment impliqué sur la partie technique DJ en intervenant sur l’essentiel de nos projets avec ses scratches mais aussi avec ses mixtapes. Nous avons aussi Tren (du groupe Street Wyze) qui nous aide énormément avec les traductions. Enfin il y a moi pour gérer le management du label avec Ti-Koka qui m’aide pour la distribution et la communication sur nos sorties.

Est-ce que vous vous êtes inspirés d’autres labels ? Français ou US ?
Pour moi, clairement US. Des labels comme Rawkus et Fondle ’Em nous ont forcement influencés, aussi bien dans la démarche artistique et graphique, qu’au niveau de l’objet lui-même. Une exception française, toutefois, Trad Vibe Records, le label de DJ Moar qui m’a également prouvé qu’une structure comme la notre pouvait exister. Il ne le sait pas, mais il m’a montré le chemin et je l’en remercie.


top 5 labels Hip Hop de DJ Loscar

L’album de DJ Brans avait fait un peu de bruit à sa sortie en 2012, un DJ français qui bosse avec des ricains c’était encore un petit événement, est-ce que c’est ce buzz qui a véritablement lancé le label ?
Je me rappelle très bien de cette époque où nous étions tous autour de Brans pour l’accompagner sur son projet. Nous avions une dynamique de ouf, on bossait comme des dingues, ultra-productifs, en mode commando du son (rires)… Effiscienz n’existait pas encore à cette époque, mais ça a été ses fondements. Comme j’ai pu l’expliquer auparavant, c’est à ce moment que chacun a trouvé son rôle par les qualités qu’il a mises au service du collectif. C’est indéniable, cette effervescence a été remarquée et lorsque nous avons lancé le label, nous avions déjà été catalogués par les amateurs de rap US indé. Même si nous étions des inconnus, cela nous a lancés.

DJ Brans (ft. M-Dot & Armageddon) – Worldwide (extrait de l’album Branstorm, 2012)

Vous êtes assez prolifiques dans vos sorties, et avec des MC’s de grande qualité et bien cotés dans l’underground (Conway, Eto, Dirt Platoon…), comment se sont faites les connexions ?
Les connexions, aujourd’hui, ce n’est vraiment pas ce qu’il y a de plus compliqué. Avec l’ère internet tout s’est énormément simplifié, notamment avec MySpace au début.
Ensuite, pour les projets et les connexions, c’est l’envie des uns et des autres dans l’équipe. Ils me proposent ce qu’ils aimeraient qu’on sorte, j’étudie la faisabilité, on en discute avec les concernés et on lance le projet, ou pas.

Quelles sont les premières réactions des artistes quand un « petit label français » vient les solliciter ?
Ils sont tout d’abord très curieux. Ils sont fascinés par la France, par notre culture et en particulier par Paris, par tout ce que nous représentons, nous sommes un critère de qualité pour eux. Ensuite, ils sont très intéressés par cette fenêtre qu’on leur ouvre sur notre pays et sur l’Europe, pour eux c’est un nouveau public et des opportunités de tournées.

Je vois que tu es crédité en tant que producteur exécutif sur l’album des Lone Catalysts (encore un très bon choix !), quel a été ton travail exactement ?
Oula ! Ma réponse va être ennuyeuse… En fait, je suis le producteur exécutif de tous les projets estampillés Effiscienz. Que ce soit sur ce disque ou sur les autres, mon travail est toujours le même. Mon rôle consiste à encadrer la réalisation et la production de chaque disque. C’est un vrai rôle de gestionnaire. Concrètement, cela se traduit par la fabrication et la distribution physique et digitale du projet en engageant les équipes techniques et les prestataires. Tout cela, selon un budget et des délais définis. Je t’ai perdu là, hein ? (rires)
Aussi, je te remercie pour ton retour sur le choix des Lone Catalysts, c’est Mil Beats qui en est à l’origine. Comme c’est un proche de Mood et que les Lone Catalysts sont des proches du groupe également, cela s’est fait naturellement.

Je suis un grand fan de Mood justement et j’ai été surpris d’apprendre que cet excellent Into the Mood de 2015 était sorti chez Effiscienz, comment s’est passée la collaboration ?
Mil Beats a toujours été très sensible à la couleur musicale de Mood avec leur classic Doom de 1997 et ses samples empreints de jazz comme dans Esoteric Manuscripts. Il voulait bosser avec eux depuis longtemps et a d’abord énormément échangé avec Donte et Main Flow avant de se lancer dans un projet commun. C’était aussi notre premier projet avec Mil Beats. Aujourd’hui, il est très proche de Main Flow avec qui il a sorti ce projet complètement hors norme, Sound Of Silence, qu’ils ont enregistré ensemble au Mexique où vit maintenant Main Flow. L’histoire Mood et Mil Beats n’est d’ailleurs pas finie…

Main Flow (prod. Mil Beats) – Taking Chances (extrait de l’album Sound of Silence, 2018)

Je suppose qu’on doit souvent vous parler de Conway et Westside Gunn qui ont sorti chez vous Bullets en 2016 et Riots on Fashion Avenue en 2017, tous deux produits par Mil Beats, peux-tu nous en dire plus sur votre collaboration à l’époque et est-ce qu’il y aura un jour un nouveau projet ?
Effectivement, les gens sont très curieux à ce sujet, mais c’est aujourd’hui. Parce qu’hier, ce qui paraît incroyable, c’est qu’au moment de leur sortie, beaucoup de médias nous ont boudés, ça ne les intéressait pas. Par exemple il a fallu que je propose des jeux concours au site Backpackerz pour qu’ils acceptent d’en parler (rires)… Maintenant ils sont comme des clebs derrière toutes les sorties de l’écurie de Buffalo. Des arrivistes et des opportunistes, l’opposé de notre façon de fonctionner.
Nous nous sommes toujours efforcés de mettre en lumière des rappeurs qu’on kiffe et qu’on pense être talentueux pour proposer une musique qui nous parle et ressemble à ce qu’on voudrait entendre. On l’a fait avec plus au moins de succès à travers pratiquement tous nos projets : Dirt Platoon, Union Blak, AKD & Deepstar, Wyld Bunch, Fel Sweetenberg, etc…
Pour en revenir à Conway et Westside Gunn, l’histoire est dingue. J’étais en contact avec Alvin (Westside Gunn) avant même Griselda, je voulais absolument les signer sur Effiscienz, nous ne sommes pas tombés d’accord sur le deal, il avait des exigences impossibles pour nous. Cela a dormi pendant un temps et c’est finalement Daupe Media qui eu un deal de distribution vinyle. Mais ce n’est pas ce qui m’intéressait. Aujourd’hui, je ne regrette rien, ce mec a sa vision et visiblement ça leur a réussi, donc tant mieux. Nous sommes restés en contact et c’est moi qui aie lancé ce projet avec Mil Beats et Conway. Westside Gunn a kiffé ce qu’on avait fait avec son frère et il a demandé à Mil de faire un mini-projet avec lui. Tu connais la suite.
Pendant un temps, Westside Gunn et Conway nous ont proposé de sortir le deuxième volume de leur duo Hall & Nash avec Mil. Mais nous n’avions pas les reins pour donner suite à leur requête. Aujourd’hui, les frères pétards sont dans d’autres sphères et très honnêtement je ne vois pas comment on pourrait réaliser une autre sortie. Comme me l’a souvent dit Alvin, « mec, tu nous a captés au bon moment ». Mais encore une fois, je n’ai aucun regret, je suis déjà très content de ce qu’on a pu faire et c’est aussi une fierté personnelle d’avoir vu dès le départ le potentiel des frangins.

EFFISCIENZ : Westside Gunn - Riots On Fashion Avenue  © Gustavimages
Westside Gunn – Riots On Fashion Avenue (2017) © Gustavimages

Vous semblez porter une attention toute particulière aux packagings de vos sorties ainsi qu’aux visuels, vous avez un graphiste attitré ou c’est un travail d’équipe ? Ce parti pris graphique était-il nécessaire pour se démarquer dans la jungle des labels indés ?
Oui, tu as vu juste. Avant de remplir nos rôles dans Effiscienz, nous sommes tous des collectionneurs de vinyles, voire de CD, on a cet amour du support et pouvoir créer un objet de qualité pour une musique de qualité, c’est là tout le sens de l’engagement de notre équipe. Comme je l’ai dit plus haut, c’est Gustav qui dirige toute la direction graphique. Au départ, ça devait être validé par toute l’équipe, mais cela devenait de plus en plus compliqué. Donc, on a réduit ça à l’approbation des artistes concernés par le projet en cours. Ce parti pris graphique, c’est complètement assumé, parce que nous sommes attachés à réaliser une œuvre de qualité, depuis le son jusqu’à l’objet.
Être Hip Hop, c’est aussi défendre une certaine esthétique, à l’image des labels qui nous ont fait rêver.

C’est ton passif de DJ qui te donne envie de proposer de beaux objets aux collègues ? Le vinyle est redevenu à la mode depuis quelques années, est-ce que vous avez profité de cette « tendance » ?
Tout à fait. Pour ma part, c’est un aboutissement de sortir des disques sur ton propre label quand tu les as longtemps poussés. En revanche, nous avons sorti nos premiers vinyles avant ce « revival », ce qui a été compliqué au départ, car nous accumulions les handicaps, le premier étant que nous n’étions personne dans le milieu et le deuxième c’était que le support vinyle était presque mort ! Avec l’explosion de Serato Scratch Live, plus personne, à part les gros diggers n’achetait du vinyle.
D’ailleurs, ça me fait penser que les usines sont de vraies sal*pes, elles ont survécu grâce à tous les labels indés comme le notre et maintenant que le vinyle est tendance, elles nous servent au lance-pierre, derrière les majors qui ne pressaient plus de galettes.

« Être Hip Hop, c’est aussi défendre une certaine esthétique, à l’image des labels qui nous ont fait rêver. »

En parlant de DJing, est-ce que tu te produis toujours en soirée ?
Non, la partie management du label a pris tellement de place que ça s’est substitué au DJing. Je ne mixe plus que pour les murs de la maison et pour mes enfants (rires).

Le métier de DJ a changé selon toi ? Comment as-tu vécu son évolution avec l’arrivée de nouvelles technologies (Serato, Phase, etc) ? Es-tu un fétichiste du vinyle comme beaucoup de DJ’s ?
Les nouvelles technologies ont complètement bouleversé le métier de DJ, mais cela ne diminue en rien le talent de certains. Le « c’était mieux avant », c’est un faux débat, le monde évolue et la technique avec, sinon on se baladerait tous encore avec un gourdin à la main et une peau de bête sur le cul. Ça a repoussé les limites et développé encore plus la créativité, et oui, c’est plus accessible aujourd’hui d’être DJ. Mais pour exceller, ça reste un training de ouf, demandes à Djaz s’il ne s’entraîne pas quotidiennement comme un dingue.
Pour ma part, ne mixant plus en dehors de chez moi, je me suis séparé de mon Serato et ne mixe plus que mes vinyles, un pur plaisir, ça ne bugue jamais (rires)…
Oh oui que je suis un malade du vinyle ! c’est un putain de virus que j’ai chopé : le COVINYLE (rires).

Vos productions sont souvent assez sombres (enfin celles que j’ai pu entendre), c’est un parti pris stylistique ou c’est simplement vos goûts perso qui vous poussent vers ces ambiances-là ?
Ça dépend vraiment des artistes. Nous avons fait en sorte de varier les sonorités de nos projets et chaque artiste a sa propre couleur. D’Union Blak à Junior Makhno, nous proposons quelque chose de vraiment différent, là est le parti pris. Après, on ne va pas se mentir, nos influences sont essentiellement la scène de la côte Est, en particulier le son de New York, donc c’est pas la grosse teuf et ça sent plus le bitume et le béton que le sable chaud et les palmiers.

Vous avez sorti un disque instrumental de Camoflauge Monk, une collaboration de ce style avec un MC français serait-elle envisageable ?
Pas du tout. La raison est simple, le rap US et le rap FR sont deux sections différentes, même si la scène française a toujours été influencée par celle d’outre-Atlantique, c’est un public différent, des médias différents, des techniques de promo différentes… Bref, c’est un autre travail. Effiscienz fait des sorties anglophones et c’est déjà suffisant.
Nous avions monté un label parallèle (Raw Street Musik) pour justement faire du rap français, mais c’était plus pour donner vie à un projet de Brans que par envie. Aujourd’hui, on y sort de temps en temps des collabs avec des rappeurs français, comme Mil Beats qui y sort des singles avec son pote Dondibone (de Legitime Processus). Cela reste très anecdotique et c’est plus une histoire de potos qu’autre chose.

Camoflauge Monk  - Finesse The Goofy  photo © Gustavimages pour Effiscienz
Camoflauge Monk – Finesse The Goofy (2018) photo © Gustavimages pour Effiscienz

Vous avez collaboré avec une légende comme Edo. G, c’est un forme d’accomplissement j’imagine mais est-ce que ça a été facile de travailler avec un old timer légendaire comme lui ? ou c’est plus simple avec un rookie ?
Edo. G est connecté avec Tren depuis des années, ils sont amis. Du coup, les échanges avec lui étaient très simples. Après, quel que soit le rappeur, old timer ou rookie, toute la difficulté est dans la productivité de l’artiste et je t’avoue qu’Edo. est un mec aussi cool que bosseur (rires)… Vraiment, c’est un mec super mais qui prend son temps. De mon côté, quel que soit le background en face, ma façon de manager est la même.
Il est d’ailleurs possible qu’on refasse un projet avec lui, je sais qu’il en a parlé avec Tren. Mais pour l’instant Tren finalise son projet avec un autre MC de Boston, Reks.

Edo. G (prod. Street Wyze) – Last Man Standing (extrait de l’album Afterwords, 2015)

Vous travaillez à l’ancienne, à base de samples, ou vous privilégiez plutôt la composition pure ?
Je n’aime pas ce terme de travailler « à l’ancienne », cela ne veut rien dire. Quand tu claques une instru avec Protools ou une MPC Renaissance ou avec Maschine sur ton iPad, tu travailles à l’ancienne ? Oui, nous utilisons énormément de samples, oui, nous utilisons des machines en hardware comme la MPC 2000, la SP1200, et d’autres encore, mais c’est juste une partie des ingrédients, il peut y avoir également des instruments live que Mil Beats aime utiliser, mais aussi de la compo comme Makhno peut le faire… Et on finit par mélanger les technologie pour servir au mieux la production.

Quel est votre matériel de prédilection pour composer ? (MPC, logiciels…)
Franchement, comme je te l’ai dit cela dépend des beatmakers, et aucun d’eux ne se limite à une seule méthode. Je crois savoir qu’ils ont tous commencé par du hardware, mais maintenant ils peuvent passer de l’un à l’autre. Par exemple, je sais que Mil et Tren aiment bien produire pendant leurs déplacements et l’utilisation du software rend ça possible, pourtant, ils sont graves attachés à leurs machines.

Les prods vous viennent en pensant à un rappeur en particulier ou c’est plus collaboratif comme processus ?
Ça dépend des projets, mais en général je suis étroitement lié aux choix qui sont faits. Après avoir décidé avec le beatmaker de collaborer avec un MC, nous nous mettons d’accord sur l’ambiance du projet. Par la suite, nous choisissons ensemble ce que nous proposons suivant la couleur musicale du rappeur, mais si un producteur est sûr de sa prod. et de l’alchimie qu’il peut créer, je le suis à 200%. DJ Djaz intervient ensuite en second plan pour voir s’il pose des scratches ou non.

Si tu devais composer un « super-groupe » Hip Hop à produire, tu y mettrais qui ?
En fait, ce n’est pas une question de qui je verrais. Ce qu’il faut comprendre, c’est que la force d’un groupe, ce ne sont pas des individualités regroupées mais l’aspect collectif. Tu vois, c’est comme le PSG, tu as beau mettre les meilleurs dans l’équipe, avec des moyens colossaux, si l’alchimie n’est pas là, ça ne prend pas.
Donc pour revenir à ta question, j’y mettrais n’importe quel rappeur et producteur tant que la sauce prend. Si tu regardes tous les grands groupes, il y avait au moment de créer leurs plus grands classiques une parfaite alchimie entre des caractères très différents, pour que chacun se complète et s’équilibre et ainsi donner le meilleur du collectif.
À une époque j’aurais pu parier sur un Dirt Platoon et DJ Brans ou un Union Blak, ou un Mood et Mil Beats mais quelque chose s’est cassé avant qu’ils n’arrivent à sortir ce « classique ». Sans chercher de coupables, c’est un fait, la musique est d’abord une histoire d’hommes avec ses ambitions, ses égos… Ça ne se traduit pas forcément par des conflits en fin de compte, mais juste des divergences d’opinion qui font que l’alchimie n’est plus là. Regarde Westside Gunn et Conway avec Daringer, c’est l’exemple type d’une réussite due à une parfaite alchimie entre ces trois compères qui ont la formule Griselda.

Il y a des artistes avec qui vous aimeriez ou auriez aimé travailler ?
Bien sûr, la liste est longue… Avant tout, nous sommes des passionnés et des amateurs de Rap US. J’avoue que j’aime beaucoup ce que peuvent faire des mecs comme Rome Streetz, Rigz et Daniel Son, j’aime bien leur couleur musicale. Je vois bien un projet avec l’un d’eux et Brans (rires).

Si vous deviez conseiller des artistes US à suivre en ce moment ça serait qui ?
Pour ma part, je dirais Rigz, Boldy James et Adonis, mais aussi Tedy Andreas qu’on vient d’inviter sur un single avec le producteur Californien VHS, nouvelle signature du label. Le gamin est fort, très jeune et a encore une belle marge de progression. Il y a aussi l’anglais Lord Apex, très fort ! Mes standards sont loin des strass et des paillettes.

As-tu un modèle dans le rap game dont le parcours a pu t’inspirer ?
(rires) On a tous été inspirés par quelqu’un. En ce qui me concerne ça reste DJ Premier et Cut Killer. Pour Preemo, c’est aussi bien pour l’exemple qu’il est en tant qu’homme que pour son parcours. Tu connais beaucoup de mecs qui étaient au top en 89 et qui sont toujours dans l’actu des plus grosses têtes du game aujourd’hui ? C’est loin d’être un hasard et il est pour moi la meilleure définition du Hip Hop. Pour Cut, j’admire sa qualité à gérer artistique et business, il a longtemps été mon exemple en terme de mix et c’est autant un artiste qu’un entrepreneur. J’avais kiffé ce truc de Double H, que ça soit le label ou le crew de DJ et comme Premier, ce sont des personnes humbles.

«  Une nouvelle génération arrive et s’exprime dans toutes les disciplines du Hip Hop sans prendre conscience des autres. Donc c’est dénué de sens et dénature la culture avec laquelle nous avons grandi. »

Un conseil pour les beatmakers en herbe qui débutent ? Et pour ceux qui aimeraient monter aussi leur label ?
« Aide-toi et le ciel t’aidera » (rires)… Non, non, je plaisante bien sûr. Il faut croire en soi en restant toujours humble et ne pas s’imposer de limites.
Monter un label ? Ça engage plein de choses parce que cela va plus loin que ta propre personne. C’est d’abord une aventure humaine, ensuite c’est du travail, de l’audace et de la passion.

Comment imagines-tu l’avenir du rap et du Hip Hop dans 20 ou 30 ans ? Et celui d’Effiscienz ?
Difficile à dire, mais je ne suis pas optimiste. Je te l’ai dit, une nouvelle génération arrive et s’exprime dans toutes les disciplines du Hip Hop sans prendre conscience des autres. Donc c’est dénué de sens et dénature la culture avec laquelle nous avons grandi.
Pour Effiscienz, nous n’avons pas d’ambition particulière, nous sommes là pour nous faire plaisir, le jour où n’en aurons plus, le rideau tombera.

Junior Makhno -  Gaia Stikes - avril 2020  - Photo © Gustavimages pour Effiscienz
Junior Makhno – Gaia Stikes (2020) – Photo © Gustavimages pour Effiscienz

Peux-tu nous parler des projets futurs d’Effiscienz ?
Nous venons de sortir un album instrumental de Junior Makhno, Gaia Strikes, qui est très actuel avec ce thème de la revanche de la nature sur l’homme. Il y a aussi une série de 45T, un EP du producteur VHS avec de multiples invités de la nouvelle scène. Nous avons Mil Beats qui revient avec un album du rappeur de Chicago Vic Spencer. Puis un album instrumental avec le beatmaker Funkonami en collaboration avec Vision (MCZ), un album de Reks & Street Wyze et enfin l’album de Fel Sweetenberg qui va être fat et j’espère bientôt un album avec DJ Brans.

Un mot de la fin ?
Merci à vous pour cette interview, c’est toujours un plaisir d’échanger. Merci également à tous ceux qui nous supportent, nous sommes là grâce à eux. Et enfin merci à toute mon équipe qui me rend toujours très fier.

Interview concoctée par Namor


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