Elom 20ce
Amewuga
Format : album 17 titres
Année : 2020
Production : Bamba El Mansour, Alexis Hontondji, Epsoe
Featurings : Diamondog, Rocé, Modenine, Roger Damawuzan
Avec Elom 20ce et son album Amewuga, on est tout de suite dans le bain ! Avec le morceau Egungun, direction l’Afrique. Togo, « Tchalé » ! C’est-à-dire « frère ».
Le continent africain, t’sais, pas le continent « fantasmatoire » que veulent visiter les Européens en manque de clichés ou les « d’origines » en manque de…clichés également !
Non, on raconte ici les fantômes du passé, les ombres du présent, les pratiques divinatoires tribales dans le sens le plus noble du terme. Intrigues historiques, palabres séculaires, peu de mots pour tant de sens.
Le tout, accompagné par des musiciens live, ne respectant aucun code structurel (bien sûr que si, mais je veux dire, rien de très figé) si ce n’est celui de laisser, quoi qu’il arrive, la parole à la parole. Aux cuivres officient Elias Damawo (Togo/Canada) et Nathalie Ahadji (France/Togo), que je connais personnellement et qui est une saxophoniste hors-pair, en plus d’être modeste et réceptive à presque toutes les musiques.
On nous dit dans l’oreillette qu’à la production on retrouve Bamba El Mansour des Pays-Bas, épaulant le si talentueux Alexis Hontondji (France/Togo) également des mes connaissances et que je big up aussi fortement ici. La plupart sont issus d’une double culture, celle-là même qu’acquiert progressivement notre rappeur togolais dans sa musique, et sûrement dans sa vie, en explorant le monde. Peut-être celle qu’il recherche sans le savoir. Il me dira : « une pluriculture ! » et je ferais semblant de ne pas y avoir pensé en simultané à ma première idée.
Plus sérieusement, Elom est un griot des temps modernes. On parle ici poésie. Celle-là, je ne l’ai pas inventée, c’est ce qui saute aux yeux et aux oreilles de celles et ceux qui le découvrent. En ce qui me concerne, il n’est pas un griot, il l’est devenu ! Il débattra sûrement de ça avec moi après m’avoir lu, comme on a l’habitude de le faire ! Ça arrivera aussi quand je lui dirais que je trouve qu’il a dans cet album, un moment Kery James et un moment MC Solaar. Il ne verra pas où bien sûr et je devrais donc faire ma démonstration et on en rira ensuite, après qu’il m’ait dit que je suis fou. Tiens c’est le jeu, dites-moi si j’ai raison quand vous aurez acheté l’album ! Haha…Je suis bon manager, non ?!
Donc, du projet Légitime Défense à Analgezik (avec le très puissant titre Ainsi Soi-il, grâce auquel j’ai découvert le rappeur togolais, par l’intermédiaire de Sitou Koudadjé), Elom développe un style qui lui permettra ensuite d’avoir assez de technique pour pouvoir servir sa cause. Comme ses frères du groupe Dangereux Dinosaures, je l’ai qualifié, à l’époque, toutes proportions gardées, de « Dead Prez francophone ». Sur les projets précédents, pour faire court, je dirais qu’il était plus « thug ». Capable de faire rimer une rime de paix, puis ensuite un truc saaaale, mais rarement injurieux, juste derrière (« J’apporte le feu comme Néron. Lumière comme Néon. La barbarie comme Bonaparte Napoléon »).
Par contre, tous les beats étaient fats. Disons qu’il était plus dans la dénonciation, mêlée d’egotrip. Puis on grandit. Il était un peu moins mystique, certes, dans son approche musicale, mais dans les textes, c’était déjà perceptible pour qui voulait l’entendre. C’était déjà là.
Et là, pour rebondir, il ne transmet qu’amour. Comme dans les conférences qu’il organise à travers le globe, toujours autour d’un personnage africain important qui nous a quitté ou ayant œuvré pour la cause des noirs dans le monde, ou les deux ! Il appelle ça « Artctivism ». Encore une volonté de vouloir raconter l’histoire de la réelle grandeur de la Terre Mère aux générations suivantes. Il est aussi dans le visuel traditionnel. C’est pour dire son entier dévouement à l’image que l’on doit donner d’une lutte. Ses clips avec masques anciens, vêtements tribaux remaniés ou classiques et danses millénaires, finissent de rajouter à l’identité visuelle forte de l’artiste. Il réalise également des courts métrages. Il ne chôme pas.
Pour en revenir à l’album, le titre langoureux Aux Impossibles Imminents (qui est aussi le titre d’une série de vidéos réalisées par le rappeur pour parler de son Afrique et des ses habitants), dont le refrain est en togolais, tout comme d’autres titres rappés entièrement dans cette langue, rajoutent encore à la volonté de défendre ses origines et de raconter la grandeur de son héritage. Je peux me tromper mais je crois que c’est l’un des projets d’Elom où l’on trouve le plus de phases en « blédard » comme diraient des mecs en « claquettes-chaussettes ». Il est peut-être encore plus soucieux aujourd’hui de distiller ses connaissances aux siens, d’abord.
Chacun des titres est rempli de métaphores, d’allègres allégories des racines ou de sombres percées dans l’obscurité des sentiments humains. Des vivants et des morts. Mélangeant les deux sans cesse, dans la froideur qu’exige la connaissance de la vie. Chaque titre est un conte. Elom nous raconte. Comme dans ses délires mystiques, style Le Sang de La Bougie où il amène le français Rocé et Modenine, le rappeur anglo-nigérian, (tiens, encore de la double culture) à nous révéler, sur un beat perçant, la saloperie qu’est encore une fois la nature profonde des bipèdes que nous sommes. Le titre éponyme Amewuga, avec au début des chants de vielles dames togolaises est comme un passage normal et obligé dans la maison des anciens pour leur montrer du respect. Rien de mieux que la bénédiction de ses prédécesseurs. On évoque l’esclavage et la colonisation aussi. Bien sûr. Évidemment et hélas, tant mieux !
En feat. on trouve aussi Diamondog, venu d’Angola, qui rajoute au « tour d’Afrique » d’Elom et à l’élargissement de notre vision des pays colonisateurs avec ce texte en portugais (sur le titre By Enemies Necessary).
Place ensuite à de la haute technicité comme dans le morceau 1973 qu’il rappe entièrement à l’envers ! Missy peut aller se rhabiller avec son « Ti esrever dna ti pilf nwod gniht ym tup I » uniquement en refrain (sur Work It) !
Puis les ambiances funk africaines arrivent avec Dama Damawuzan, (ils appellent ce style « funk & highlife ») mais pas avant que le titre Le Fardeau de ma Lumière ait fait entendre sa guitare sèche. Ensuite, le featuring qui touchera forcément les parents, c’est celui de la relève puisque le titre Ubuntu invite son propre fils, Enouéké, dans un dialogue père-fils sur des xylophones lointains.
Ça vous perturbera peut-être ces enchaînements d’ambiances, moi non, j’aime le « sans transition » depuis PPD aux Guignols !
Sur cet album Elom montre son éclectisme mais on sent que malgré tout ça, il aime le rap avant tout, passionnément. Il le pare de costumes traditionnels, lui fait un peu de vaudou, lui susurre à l’oreille l’histoire des siens, bien posé sur ses racines, solides… Fier de ce qu’il est plus que tout… Il assure, au final, l’aspect le plus fort du hip hop, son essence même : He represents !
Pas pour rien qu’avec LEQUIPEDENUIT nous avons été ses partenaires en France, pour ses albums, ses conférences ou ses concerts. On parle pas nous, on fait, avec le continent. Pas que pour la maille, pour ceux qui viennent après, surtout…
Amewuga ça veut dire « l’être humain vaut plus que les biens matériels », perso, je partage… Et vous engage à vous le partager. Dépaysement assuré sur fond de paroles fortes… Que demande le peuple ?! Mouais, répondez pas les tchalés … Z’aurez rien de plus !
Le savoir est une arme, allez recharger… Essmâa khô !!!!
Retrouvez Elom 20ce sur Bandcamp, Facebook et son site perso
Chronique écrite par Nes Pounta