La rubrique MOOD permet à un(e) activiste Hip Hop de s’exprimer sur le thème de son choix.
On commence avec SOAF, graffeur parisien actif depuis le milieu des années 90, qui nous parle de graffiti et de street-art !

J’ai un biais, je suis loin d’être fan du « street-art ».

Moi j’aime le graffiti avec des lettres, avec des coulures, celui qui est fait au culot, qui n’est pas fait pour plaire au plus grand nombre mais pour flatter son égo et gagner le respect et l’estime de ses pairs, celui dont la durée de vie est éphémère, celui qui ne demande pas la permission, celui qui ne rapporte rien (à part un peu de notoriété et des emmerdes)…

Les muralistes sud-américains, les affichistes, les peintres urbains, les muralistes, les pochoiristes (Tania Mourau, Frères Ripoulin, Blek le rat, Fabio Rieti, Blanche Grant…), étaient tous là avant l’essor du graffiti dans nos villes, et personne n’appelait ça du street-art.

Aujourd’hui le street-art a tout d’un terme marketing et rien d’autre, un mauvais peintre qui colle deux de ses dessins entre Bastille et Châtelet devient automatiquement un street artist, peut exposer en galerie et se prévaloir de cette étiquette assez vendeuse.

YELLOW / T-REXMAGAZINE Avril 2020

Le street-art en 2020, c’est quoi ? Un conglomérat de gens qui ont une pratique artistique liée à un moment ou à un autre à l’univers urbain… Cette définition englobe donc tout et n’importe quoi, et malheureusement beaucoup de n’importe quoi.

Certains graffeurs depuis plus de 30 ans essaient avec leurs codes et leur intégrité de pénétrer le monde de l’art contemporain malgré le nombre de portes qui se sont fermées devant eux, ceci dû généralement à la mauvaise image du graffiti et du tag et à l’étroitesse d’esprit de certains interlocuteurs du monde de l’art.

Comment réagir quand une pratique artistique qui a été brocardée et reléguée au rang d’art mineur voit arriver un mouvement qui utilise la même aire de jeu et les mêmes outils sans en respecter les codes établis, porté aux nues par des gens qui les méprisaient…

Les acheteurs de street-art (spéculateurs, friands d’optimisation fiscale ou vrais amateurs) étaient les premiers à appeler la police quand ils voyaient un sauvageon enduire leur porte cochère du 6e arrondissement d’une calligraphie inaccessible pour leurs esprits étriqués.

Ces mêmes personnes s’émerveillent maintenant devant un détournement de logo tout claqué ou un Mickey mis en situation dans une posture incongrue dans une galerie d’art des beaux quartiers.

DOCTEUR WOZER / T-REXMAGAZINE – Avril 2020

Le pire c’est que le street-art qui tente de regrouper ces artistes « de rue » a mis en exergue tous les travers de notre époque : l’instantanéité, le buzz, le consumérisme, l’ubérisation de l’art, et trop peu de sens.

Le meilleur (ou pire) exemple est la galerie Itinérance installée dans mon 13e natal. Pour résumer le concept : un galeriste avec un carnet d’adresses va voir un maire et lui propose à moindre frais de repeindre son quartier et de lui donner de l’exposition et de la visibilité médiatique… Le maire accepte, on ne peut pas vraiment lui reprocher de faire plaisir à ses administrés pour presque rien, il aurait eu tort de refuser.

Cette galerie encensée par la presse généraliste a démocratisé le fait d’utiliser les façades aveugles de grandes tours qui longent le métro aérien, et ce en défrayant plus ou moins bien les artistes, ce qui a créé un précédent en France…

Boulevard Paris 13 – (c) Galerie Itinerrance.

On échange donc du travail contre de la visibilité, dans quel autre domaine que l’art se permettrait-on de procéder de la sorte ? Essayez chez votre boulanger pour voir, ça pourrait être drôle.

Malheureusement, certains artistes acceptent contre une expo et de la visibilité de vendre leur cul et de scier la branche sur laquelle eux et tous les autres peintres (qui n’ont rien demandé) sont assis, c’est leur choix et ils auront un jour à l’assumer.

Ce qui me chagrine le plus peut-être, c’est de voir à quel point cet arrondissement a été et est encore un vivier d’artistes et qu’ils sont tous obligés de « s’expatrier » car personne ne leur a proposé de participer à ces projets dans le 13e. Je ne suis pas un nationaliste ni même un régionaliste, j’aime voir une œuvre d’un mec qui vit à 5000 km, mais je ne comprends pas le fait de ne pas avoir été plus inclusif localement alors que ces peintures font dorénavant partie de l’histoire culturelle du quartier.

Il y a aussi le contre-exemple Banksy, graffeur anglais (que j’avais rencontré par hasard en 98 alors qu’il n’était connu que par les graffeurs de Bristol), qui après une carrière graffiti honorable a bifurqué vers une activité de peintre pochoiriste engagé détournant avec malice une certaine iconographie permettant ainsi à ses peintures et à ses messages de voyager et de toucher des gens à travers le monde. Du graffiti il a conservé la discrétion et l’anonymat et ses peintures portent un message. Il a lui aussi et à plusieurs reprises moqué dans ses œuvres et ses performances le monde du street-art, ses débordements et ses excès.

Banksy – warcapitalismandliberty – Rome 2016

Il y a aussi le fait que certains peintres contemporains, qui ne revendiquent rien se sont retrouvés classés dans cette appellation fourre-tout malgré eux, tant pis ou tant mieux pour eux, je ne sais pas. Pareil pour certains graffeurs qui se revendiquent ou qu’on a classé dans le « post-graffiti » ont réussi à joindre les deux univers, tant mieux pour eux.

Au final, le street-art est au graffiti ce que le food-truck est à la baraque à frites, un vulgaire rebranding afin de vendre aux bobos un truc qui existe depuis déjà bien longtemps sous une autre appellation.

Dans mon propos, il n’y a ni jalousie, ni moquerie (quoique), ni haine mais je préfère mille fois une rayure sur une vitre du métro, un tag qui coule, un chrome dans un tunnel, une pièce dans un terrain vague à un collage de dessins dont l’auteur manque cruellement d’imagination.

L’égout et les coulures ne se discutent pas paraît-il… et c’est pas plus mal.

Mood by SOAF


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