Venu de sa Guadeloupe natale pour traîner sa grande carcasse dans la grisaille parisienne il y a de ça 20 ans maintenant, Maj Trafyk continue à faire briller son île à travers les nombreuses collaborations où il est apparut au fil des années. À l’occasion de la sortie imminente d’un nouvel album produit par Kyo Itachi, entretien avec ce passionné à l’esprit toujours ouvert et aux multiples talents.

Bonjour Maj, peux-tu te présenter en quelques mots ?
Bonjour T-Rex, moi c’est Maj Trafyk, rappeur français originaire de Guadeloupe, actif sur Paname depuis 2001.

Comment as-tu connu la culture Hip Hop et par quelle discipline as-tu commencé ?
Ma rencontre avec le Hip Hop s’est faite en 1990, par le biais de mon ami d’enfance Xavier Dollin (Xavibes), aujourd’hui graphiste et photographe. À l’époque nous avions formé un groupe nommé Contrôleurs Divins aux Abymes (Guadeloupe). J’ai commencé par la danse et le graff mais c’est finalement le rap qui me convenait le mieux.

Maj l’indien

Tu as des origines libanaises et antillaises, en écoutant ta musique et en visionnant tes vidéos on voit bien que le côté antillais constitue la majeure partie de tes influences, est-ce parce que tu a vécu aux Antilles plus qu’au Liban ?
Effectivement, je suis issu d’un métissage complexe mais culturellement parlant, je suis 100% antillais. Mes origines libanaises me viennent de mon grand-père paternel, lui même né en Guadeloupe. Mon nom de famille est libanais, mais je n’ai jamais eu l’occasion d’y aller. Je n’ai finalement vécu le Liban qu’à travers la cuisine libanaise, qu’il nous arrivait de consommer durant mon enfance, en plus des plats antillais et français.

Tu es actif depuis la fin des années 90 mais tu n’as pas, semble-t-il, eu une exposition très importante, c’est un choix de ta part de rester un peu underground ?
Disons que mes goûts musicaux souvent sombres me rendent underground par la force des choses mais je suis assez sauvage et assez discret comme rappeur, un peu comme l’étaient les beatmakers de l’époque. Après, je suis capable de faire du mainstream mais l’idée ne me fait pas trop vibrer. Du coup, toute ma carrière s’est construite dans un esprit indé.

Pour percer en métropole, le fait de venir des Antilles c’est un handicap ou au contraire une motivation pour aller plus haut ?
Le fait de venir des Antilles en métropole c’est déjà un signe de grande motivation, on quitte en général tout, famille, repères, etc… pour viser plus grand. Mais à l’époque si tu avais un accent antillais dans le rap français, les gens n’adhéraient pas donc, l’accent dont on est sensé être fiers, était un handicap…
Personnellement, j’ai emménagé sur Paris en 2001, donc assez tard. Avant ça j’étais très actif aux Antilles, du coup je suis arrivé avec un background, mais je n’ai jamais vraiment cherché à percer, l’idée était de me faire connaître dans le milieu mais je n’envisageais pas une réussite commerciale à tout prix.

Tu es à la fois MC, chanteur, toaster (si c’est bien le terme exact), est-ce que c’est l’environnement musical de ton enfance/adolescence qui t’a formé à toutes ces disciplines ?
Oui c’est exactement ça. En Guadeloupe et en Martinique, où j’ai vécu également, nous sommes non loin de la Jamaïque et géographiquement nous sommes les français d’Amérique, donc les influences s’expliquent. Les rappeurs des Antilles savent en général chanter et toaster.

Tu as travaillé avec pas mal d’anciens au cours des années (Assassin ou White & Spirit pour ne citer qu’eux), tu vis ça comme une sorte reconnaissance ?
Les choses se sont faites naturellement avec Assassin et Cercle Rouge, cependant, oui je vis tout ça comme un genre de rattrapage sur le destin… Ce sont des connexions qui auraient pu se faire depuis des lustres.

Une question qu’on a dû te poser plusieurs fois je suppose,  mais en tant que blanc comment s’est passée ton approche avec les artistes dancehall et même rap aux Antilles ?
En fait ma couleur de peau n’a jamais été un souci car, une fois que l’on parle avec moi, on s’aperçoit vite que je n’ai pas de couleur… La palette de métissage est très large aujourd’hui et je fais partie des métis les plus clairs. Dans ma famille, aucun d’entre nous n’a la même couleur de peau.

Peux-tu nous parler de ton label Indigenius ? Ce label a-t-il pour vocation de produire d’autres artistes ou c’est un support pour sortir tes projets en tout indépendance ?
Indiegenius est à la fois un label, et une marque streetwear, qui ne produit que moi pour l’instant. Mais il se peut que nous produisions d’autres artistes dans le futur.

Maj Trafyk en live

Tu pratiques aussi la peinture et le graffiti, peux-tu nous dire quel mot définirait le mieux ton style et nous expliquer ta rencontre avec cet art et ce qui t’a fait l’aimer ?
J’ai pratiqué, le graff effectivement, mais très peu finalement. En fait il m’arrive de peindre sur tableaux, des œuvres abstraites, néo-expressionnistes, avec de l’acrylique. Il m’arrive aussi de pratiquer la street photographie en noir et blanc. Je fais également quelques prods à l’ancienne que je place de temps en temps.

Peux-tu nous parler des artistes graffiti que tu apprécies et du milieu graffiti aux Antilles ?
En fait, je n’ai pas trop suivi l’évolution du graff aux Antilles et en métropole, mais ceux qui m’ont marqué à l’époque étaient Groover, qui a clairement contribué à pousser le graffiti vers le haut en Guadeloupe, et Mode 2 en France. Sinon aujourd’hui je m’intéresse plus au street art en général. J’aime aussi beaucoup ce que faisaient des artistes comme Cy Twombly ou Basquiat par exemple.

Il y a une discipline Hip Hop que tu ne t’es jamais essayé ?
Oui, je n’ai jamais pratiqué le DJing.

Tu travailles toujours avec les mêmes producteurs ou tu es ouvert aux propositions d’autres beatmakers ?
J’ai travaillé avec énormément de beatmakers, mais en général j’aime bien une seule touche dans un album. Par exemple pour Petite Prophétie j’ai appelé Alsoprodby et sur mon prochain projet, c’est Kyo Itachi qui produit tout le bordel. J’ai aussi un autre opus en cours avec des prods d’Eben des 2Neg et Weston (du groups Born To Kick).

Maj & Kyo Itachi

As-tu déjà composé pour l’un de tes projets et comptes-tu le faire à l’avenir ?
Je n’ai jamais composé dans son intégralité un de mes projets mais oui ça fait partie de mes futurs projets.

Peux-tu nous parler de ta rencontre avec DJ Nels ?
J’ai connu DJ Nels à l’occasion de sa mixtape Thèmes perso 3 (sortie chez Time Bomb) sur laquelle j’ai posé en 2003 je crois. Je l’ai ensuite revu à chaque fois que j’allais dans leur émission à Vallée FM avec Mars. On a sympathisé très vite d’autant plus que nous sommes tout deux originaires de Gwada. Nels aujourd’hui c’est la famille.

Tu es plutôt samples ou compo ?
Je suis samples à fond.

Peux-tu nous dire quelles ont été tes influences musicales quand tu as commencé ? Et maintenant quelles sont-elles ?
Au tout début des années 90, mes influences étaient Cypress Hill , Wu-Tang, Assassin et par la suite Mobb Deep. Aujourd’hui, je n’ai pas l’impression d’être influencé par quelqu’un en particulier. Juste par de bons sons ici et là.

Tu écoutes  d’autres styles en dehors du rap ? Lesquels ?
J’écoute pas mal Ry X, James Blake, Post Malone… Dès que c’est sombre et mélodieux, je suis là.

Dans le track Un air de fin du monde, quand tu dis « En connexion avec les forces invisibles qui guident ma plume » j’en déduis que tu dois avoir un fort lien avec le spirituel, si oui, peux-tu nous dire un peu plus ?
Je ne sais pas si cela vient du fait que la spiritualité est très présente aux Antilles, mais je l’ai toujours cultivée tout au long de ma vie. Je suis né catholique mais j’ai étudié les trois religions monothéistes, ainsi d’autres courants spirituels. Aujourd’hui je dirai effectivement que je ne suis pas religieux, mais spirituel. Je pense que cela s’entend dans certains de mes sons.

La tape récemment remasterisée Majistralis Tape regroupant plus de 40 titres explorant ta carrière (de 1997 à 2017) a été réalisée en collaboration avec DJ Nels, ce catalogue est un style de projet rarissime dans le monde du rap, ça a dû être assez complexe à concrétiser non (au niveau des droits notamment) ?
En fait le projet s’est fait très rapidement, sur un coup de tête même. Comme j’archive pas mal ce que je fais depuis les années 90, ça n’a pas été trop compliqué de réaliser cette tape. DJ Nels a bossé très vite et a été très efficace. Je l’ai d’ailleurs sollicité de nouveau pour l’album que je m’apprête à sortir avec Kyo Itachi à la prod.

Peux-tu nous donner ton top 5 de rappeurs/rappeuses ( français et/ou international) ?
Question très compliquée car cela dépend des critères sur lesquels on se base. Je pourrais m’en sortir avec un top 15, mais un top 5 c’est chaud… Après chez les mecs de ma génération, difficile de ne pas placer Lino d’Arsenik, Ill des X-Men, Booba, Oxmo, AKH, mais franchement il en manque quelques-uns encore… Chez les kainris, je dirai O.D.B., Meth’, Notorious BIG, B-Real, Prodigy, et bien d’autres encore…

En Guadeloupe tu te faisais appeler Trakyk Jam jusqu’à ce que tu viennes t’installer à Paris, pourquoi ce changement de pseudo ?
Disons que je me suis senti obligé d’exprimer mon évolution à travers mon nom, ayant complètement changé mon flow fast style pour un bordel plus posé et plus abouti du point de vu de l’écriture… Le changement de climat y est sûrement pour quelque chose.

Quand on te parle de « l’esprit Hip Hop » ça t’évoque quoi ? Tu penses que c’est une notion encore pertinente aujourd’hui ?
Franchement l’esprit Hip Hop m’évoque quelque chose de très lointain, en France en tous cas. Le concept n’est plus du tout en phase avec cette époque. Ce terme véhicule des valeurs qui ne parlent qu’à très peu de gens aujourd’hui. L’esprit Hip Hop s’il existe encore, ne subsiste que grâce à quelques individus. Mais peut-être survivra t-il si on le dépoussière un peu… En tout cas, je le sens plus vivant à l’étranger que chez nous.

Les 4 disciplines (DJ, MC, danse, graff) étaient indissociables aux origines du Mouvement, aujourd’hui les connexions sont moins fortes, voire cassées, c’est une fatalité selon toi dans notre société individualiste ?
Je ne sais pas, j’ai l’impression que ce Mouvement tel qu’on l’a connu dans les années 90, ne pourra jamais revenir réellement. Je veux dire de façon massive. À moins que le concept soit réinventé et modernisé par une nouvelle génération.

Comment imagines-tu l’évolution de la culture Hip Hop dans 20 ou 30 ans ? Et ton avenir à toi ?
Pour l’instant j’ai du mal à voir comment la culture Hip Hop évoluera. Mais concernant le rap en lui-même, je suis très content que le vinyle et la cassette rencontrent un tel succès aujourd’hui. C’est un retour surprenant et ça fait plaisir. Après, concernant mon avenir, je compte continuer la musique à mon rythme et sans pression comme je l’ai toujours fait… Je ne me vois pas arrêter le son. On verra bien ce que le futur réserve.

Un mot de la fin , une dédicace?
Merci Specta pour la création de ce média. Très bientôt un album underground arrive, avec le frangin Kyo Itachi aux manettes. Paix sur vous.


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