The LIZ Tape cover, The Liz par Isaac Pelayo

Armani Caesar
The Liz
Année : 2020
Format : album 11 titres
Localisation : USA (Buffalo, New York)
Production : JR Swiftz, Denny Laflare, Camoflauge Monk, Motif Alumni, 808 Mafia, DJ Premier, Bone8, Animoss, STLN Drms.
Featuring : Westside Gunn, Conway The Machine, Benny The Butcher

Armani Caesar, autoproclamée « First Lady » de l’écurie Griselda, livre avec The Liz une première sortie officielle de qualité. Si vous ne connaissez pas encore Griselda et ses désormais illustres membres, je vous invite à consulter la chronique de Simba Le Fonkicker afin de vous faire une idée des produits de la maison.

Après Conway The Machine et avant les opus de Westside Gunn et Benny The Butcher, The Liz est la deuxième sortie de l’écurie Griselda en 2020. Force est de constater qu’elle annonce la couleur d’entrée ! Dans la lignée des Foxy Brown, Lil’ Kim et autre Nicki Minaj, le trône visé est celui de la « Boss bitch ». À l’évidence, l’attitude bravache des mafieuses du rap est loin de ressembler aux démonstrations habituelles de testostérone.
Malgré cela, les deux genres gardent en commun le côté machiavélique de leur quête de gloire et de pouvoir. Tous les moyens sont bons pour obtenir l’objet de ses désirs et de ses ambitions. Par ailleurs, la condition de la femme dans nos sociétés peut pousser celle-ci à user et abuser de son pouvoir de séduction.

Fait intéressant, l’intro est issue du film CB4 et on assiste à une conversation entre trois femmes, où Kandi Alexander aka Sissy fait mention de la différence, pour une femme, entre avoir sa propre fortune et profiter de celle de son homme dans le cadre d’une relation romantique. La première est appelée une « business woman » alors que la deuxième est appelée « hoe ». Comme pour dire que le sexe est inévitable, par contrainte ou par désir. Seule l’indépendance financière compte.

La fin du titre Gucci Casket agit comme un rappel de la thématique de l’album : l’émancipation et le succès de la « hustler » (ou diva selon qu’on aime Beyoncé ou pas), souvent au détriment des hommes qui la convoitent. Elizabeth Ann Hulette, aka Miss Elizabeth, y affirme son indépendance en répudiant publiquement le catcheur qu’elle est supposée soutenir. Dans le monde de la WWF des années 80 et son événement phare, WrestleMania, un tel acte résonne parfaitement avec l’objectif d’Armani Caesar.

On retrouve l’image du glamour et du spectaculaire sur la pochette avant avec cette œuvre d’Isaac Pelayo dépeignant Elizabeth Taylor avec le troisième œil. À l’arrière, l’image de la politicienne résolue mais ambitieuse, avec la photo de Miss Elizabeth sur le bord du ring. Ainsi, je vois The Liz comme une pièce dont Armani Caesar nous présente les deux faces, l’une après l’autre. 

Côté face, on a l’écurie Griselda, une affaire de famille. En tant que chef de file, Westside Gunn se charge personnellement de la symbiose entre le travail des différents membres composant l’identité du label. Vantardises, mafioso rap, approche multidisciplinaire et relative liberté de mouvement de ses membres, à l’instar de RZA avec le Wu-Tang, Westside Gunn met en œuvre toute la palette de ses compétences, en particulier dans la direction artistique. Cela se ressent sur la première partie de l’album. Les instrus, les featurings, le propos, tout est fait pour démontrer qu’Armani Caesar a toute sa place chez Griselda et dans le renouveau d’un certain rap que le crew de Buffalo appelle de ses vœux. La première dame tient admirablement la dragée haute à ses compères et cette partie se conclut avec l’examen de dernier niveau, Simply Done, avec DJ Premier à la production, rien que ça. Pas de refrain, pas d’effet particulier, le morceau est à l’image du beat, un classique boom bap dans sa structure musicale, et colle parfaitement à son titre. 

Armani Caesar – Simply Done

De Countdown à Simply Done, elle oscille entre les rôles qu’elle a joués, de gangster à partenaire d’amour et business woman, elle met en place le décor pour la comprendre. Armani Caesar est une femme aux nombreux talents mais dangereuse, d’autant plus lorsqu’elle se sent trahie.

« Huh, ain't nothin' like a woman scorned (Woman scorned)
I had you wishin' you was never born (Nevеr born) »
Countdown

« He said he fuck with me 'cause he like the way I move (Oh word?)
So sharp, I make him split everything in two (What else?) »
Mac 10s for Everybody

« Call my new Glock jelly, I promise it won't jam (Brra)
Bon appétit, the plan was to eat (To eat) »
The Liz

Côté pile, elle rentre dans les raisons qui expliquent sa détestation de la trahison. Dans cette partie de l’album, la MC accorde une place de choix à la romance et au pouvoir du sexe qu’elle exploite à merveille selon elle. Les instrus sont plus légères que dans la première partie de l’album, comme pour séduire un peu plus l’auditeur. On reconnait plus aisément la patte de la rappeuse que sur son projet précédent avec des prods plus trap et une image un peu plus glamour et impulsive, bien que déterminée. On peut l’entendre notamment dans Ginger Rothstein (« Rather be a rich ho than a foolish one »). En s’identifiant à la célèbre femme de mafieux dans Casino, Armani Caesar rappelle que ses choix sont pleinement assumés et que son talent est indéniable, faisant ainsi écho à sa propre vie : étudiante le jour, elle suit des cours de business et de marketing qu’elle applique la nuit pour développer sa marque personnelle et sa carrière dans le rap. Son activité à la barre lui permet alors de financer tout ceci et elle sait très bien en jouer comme elle le prouve sur Yum Yum : 

« These niggas get curved like my body is, hoes wanna know who my stylist is
No, I don’t dance no more—but sixty’ll bring a bitch out of retirement (What's up?!) »
Yum Yum

Armani Caesar – Palm Angels

C’est notamment sur ce côté qu’on retrouve la Armani Caesar de ses précédentes sorties. Sur le précédent album, elle me faisait penser à Ella Mai, pour les instrus, les thèmes évoqués (amour, sexe, trahison), les intonations (autotune, chant, refrain) et cela se ressent distinctement sur Palm Angels et la référence à l’une des plus belles odes à l’amour du rap ( le All I Need de Method Man et Mary J Blige) :

« Now we livin' in the ever lap of luxury (Luxury) I'm realizin' that you didn't have to fuck with me (Uh-huh) But you did, now I'm goin' all out, kid (Uh-huh) And I got mad love to give, you my motherfuckin' nigga (Woo) You my motherfuckin' nigga » Palm Angels

Comme beaucoup de sorties de nos jours, l’album est dense avec 11 morceaux seulement pour une durée totale de 25 minutes. Sans surprise, Armani Caesar livre un florilège de gun bars, de cartoon bars et autres figures de style caractéristiques du style Griselda. C’est la marque de fabrique de la maison à vrai dire, la violence et l’ambiance boom bap sombre avec de forts relents des années 90 (coucou Junior MAFIA/The Firm).
Avec une attention prononcée portée aux jeux de mots, son talent à jouer du tempo et du ton de sa voix pour ajouter de la musicalité est remarquable. Ce n’est pas sans rappeler le style de Westside Gunn, l’une des voix les plus emblématiques du rap US actuellement, et également producteur exécutif de l’album.
Cela dit, sa technique se focalise plus sur le sens des mots que sur leurs sons et en cela, à titre personnel, je suis un peu déçu, surtout après avoir écouté l’excellent Drill-A-Rama et les passes-passes avec Benny The Butcher, la figure de proue du label à mon sens.

En ce qui concerne les instrus, la construction de l’album montre clairement la séparation en deux parties et près d’une dizaine de producteurs aux manettes. Mention spéciale à JBMG et Elijah Hooks (808 mafia) pour le titre Drill-A-Rama qui apporte un vent de fraîcheur à l’album, montrant ainsi que l’objectif de Griselda se situe dans le renouveau et pas dans le simple rappel de l’âge d’or du rap US. Autre mention spéciale à DJ Premier, toujours aussi efficace, qui vient couronner le côté face de l’album avec une prod. on ne peut plus classique.

Avec sa signature sur le label de Buffalo, Armani est passée d’une MC de son temps à une MC multi-dimensionnelle. Comme pour reculer pour mieux sauter quelque part. D’une manière générale, la patte Griselda n’est pas apparente dans sa discographie avant l’intervention de l’homme à tout faire Westside Gunn. Pourtant il est indéniable que sa versatilité est son argument numéro un. Comme tout MC qui se respecte, toutes ses phases suintent l’arrogance, ou du moins la confiance. L’instru n’est jamais un obstacle mais une opportunité de se sublimer et la First Lady de Griselda pose tel un véritable renard des surfaces. De par son ambition, son sens des affaires et du marketing, la précision de ses lines et la sincérité derrière celles-ci, elle incarne à merveille le titre qu’elle s’est octroyé.

Talent prometteur à suivre donc grâce à une première livraison de très bonne facture qui est une carte de visite parfaite pour présenter Armani Caesar au monde, grâce aussi à l’excellente direction artistique et la patte Westside Gunn dont les choix sont très pertinents au vu du talent et du vécu de l’artiste ainsi que de l’image du label.


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Chronique écrite par Michel KDB.