Fhat. R & Greenfich EP

FHAT. R & GREENFICH

Émeraude
Format : EP 5 titres
Année : 2017
Localisation : France (Bordeaux)
Production : Greenfich

Après avoir écumé les bas fonds et les ruelles sombres et trop meurtrières de Chicago, je vous propose d’explorer un autre univers. Un endroit chaleureux, plus bourgeois et connu principalement pour son vin. On est donc à Bordeaux, dans le Sud-Ouest de la France pour parler de… rap. Ce qui peut paraître assez surprenant puisque pendant au moins deux décennies, les pôles Paris-Marseille se sont octroyés tous les mérites. Ces deux zones géographiques ont porté le rap français et l’ont façonné mais le vent a continué de souffler sur le moulin français si bien que de nombreux artistes ont émergé des autres régions de l’Hexagone.

On pourrait écrire tout un dossier sur ces rappeurs méconnus de Province ainsi que sur tous ces producteurs et musiciens. Car aujourd’hui ce n’est plus seulement vers les deux plus grandes villes de France qu’on se tourne pour avoir du bon son. Toujours à l’écart et n’ayant jamais pris la route principale, je me suis forcément risqué à écouter des artistes qui ont peu d’espace d’expression. Le projet présenté ici ne contient que 5 titres, tous d’une excellente qualité et aucun n’est à jeter. Mais attardons-nous un peu sur le rap bordelais et plus largement du Sud-Ouest.
Tout a commencé avec Fayçal, lyriciste hors-pair, l’un des meilleurs manieurs de la langue française (aux côtés de Fuzati peut être), descendant spirituel d’un poète. Son art est tellement profond qu’il faut de nombreuses écoutes et lectures de ses textes pour saisir les différents messages. Il a gagné une certaine reconnaissance dans le milieu underground et possède certains des plus beaux textes jamais écrits dans la langue de Molière. Une fois cette porte d’entrée ouverte, d’autres artistes de la ville se sont révélés : Dajoan Melancolia, 2FCH, Beyond The Grave, Drago, J Day, 1984, Skalpel et bien sur VII qui aura sûrement droit à une future chronique.
En ce qui concerne Fhat. R, c’est dans les années 2000 qu’il commence à rapper avec quelques sorties sous plusieurs formats et avec différents collaborateurs. C’est la mixtape Sud-Ouesh qui va lui donner un nom. Premier projet à sortir au niveau national, il arrive en Fnac, ce qui lui donne un autre élan. Il lance alors un label avec d’autres gars et le nomme Sud Ouesh également. De ce moment là, il enchaîne sorties sur sorties jusqu’à ce projet datant de 2017. Notons avant cela qu’en 2016 son projet avec Melan (rappeur Toulousain qui fait beaucoup de bruit, à juste titre) : Born To Loose invitait du beau monde : Mani Deïz et LaCraps, entre autres.
Comme on peut le voir, ce n’est pas un débutant et bien que son nom n’ait pas encore fait le tour des enceintes de France, son talent est audible.

Quant à Greenfinch, c’est un producteur français que je découvre sur ce projet et que je me dois de suivre vue la qualité proposée ici. Émeraude c’est boom bap et conscient, pas hardcore mais plaisant. Fhat. R a souhaité travailler avec ce producteur pour ce projet car il aime ce qu’il fait et ça se ressent. À travers ses morceaux, il parle beaucoup d’actualité, faisant de son rap une musique engagée qui dénonce donc. Le rappeur évoque également sa vie et les problèmes qu’il rencontre…On ne réinvente pas mais on continue d’apporter des morceaux mémorables.

C’est comme ça par Fhat. R et Greenwich


Le premier titre C’est Comme Ça rentre dans le vif du sujet sur fond de violon saupoudré de quelques touches de piano, la recette est parfaite. Le MC fait le tour des dérives de notre système et de tout ce qui tourne mal, les médias, les prédateurs sexuels, les fanatiques…des thèmes dans lesquels chacun pourra se reconnaître. C’est un très beau titre, sans refrain, ce qui complique les choses pour assurer un morceau complet et pourtant il maîtrise le tout sans aide. Les variations de beats, son débit qui s’adapte et son flow ravageur ouvrent parfaitement le projet. Clair et précis, les images sont saisissantes.

« La suite finit en pleurs vue l’ampleur des dégâts
Après le premier rencard s’ensuit la rancœur sous Ricard »

Le titre Bouquet De Cicatrices peut paraître cliché mais pas vraiment, car l’amour et ses histoires se vit d’une façon unique et propre à chacun. Ici Fhat. R se fait donc le porte-parole des cœurs déchus et des grands absents de la route du bonheur. L’idée est de reprendre des histoires racontées par ses proches qui traitent de ce sujet, il les a mis en rimes, en métaphores. Et sur une ballade qui pourrait accompagner n’importe quel carrosse ou faire valser n’importe quelle robe de mariée, il s’exprime. Il est très fort car il use de techniques de rimes actuelles et foudroie la concurrence.

« Pousse la porte et voit ce que l’inconnu t’offres
T’as l’étoffe et les outils pour avoir le code du coffre »

De nouveau, ne cherchez pas de refrain, il n’y en a pas et c’est pas nécessaire vu comment il assure.

Le morceau qui suit se nomme Fils, c’est déjà la troisième piste, il y parle de lui et de ses émotions. Tout est soigné, de la production à l’écriture, on reste dans le style de ce que propose les deux compères depuis le début du EP. Et sans rien apporter de bien révolutionnaire, il reste dans la même lignée, apportant même un peu de chant proposé par Fhat. R sur la fin du morceau.

Le plus beau morceau est sûrement La mélodie des sanglots avec son sample qui fait penser à un accordéon ou un instrument emprunté aux légendes celtiques. Quelle beauté ! On est sous le charme dès les premières secondes.

« La mélodie des sanglots
Ou l’art de mettre la douleur en musique
Sans haine juste des mots
Pour dénoncer leurs manières abusives »

Lemil du groupe Ginko vient prêter sa voix ici pour le seul featuring du disque, timing parfait pour cette collaboration entre deux MC’s qui s’accordent parfaitement. On a ici un vrai refrain dans un morceau qui pourrait constituer un très bon single et ainsi faire parler du projet et de l’artiste.

Et comme toutes les bonnes choses ont une fin, Transport Pas Commun vient clôturer ce magnifique projet. Encore une fois, tout est bien ficelé, la petite voix pitchée constitue le sample, elle est parfaite pour terminer. À l’image d’un train qui quitte le quai et qui laisse tout le monde sur place, entre tristesse de le voir partir et joie de l’entendre car c’est beau, on se pose. L’artiste y décrit ce qu’il voit, son environnement, c’est une réflexion générale dans laquelle si les yeux filment, c’est la main qui écrit, le cerveau dicte et la bouche communique. Tout est réel ici car rien n’est surfait, les deux artistes ont mis leur cœur dans le disque, leur talent dans les heures de studio et de préparation afin que le projet soit parfait.

Grosse surprise pour moi concernant le producteur Greenfinch qui varie les ambiances, effectue un travail d’orfèvre et donne au rap une couleur émeraude, d’un vert plein d’espoir. Fhat. R lui ne vient que confirmer son immense talent et prouve qu’il a largement sa place dans le paysage du rap français. La majorité des gens vont passer à côté faute d’une couverture médiatique satisfaisante mais tout ceux qui auront l’opportunité de l’écouter vont appuyer sur « repeat ». On l’a dit, le projet est très court et reste dans la tendance actuelle tout en gardant qualité et fraîcheur. Ce qui permet de pouvoir l’écouter durant les courts trajets et de le passer encore et encore dans le casque. Aucune formule secrète ici, seulement du travail, de l’envie et beaucoup de talent.

Fhat. R – Fils

Retrouvez Fhat. R sur Facebook et sur sa chaine Youtube .


Chronique écrite par Fathis