A Written Testimony - Jay Electronica
A Written Testimony – Jay Electronica – 2020


10 ans qu’on attendait. Pour Jay Electronica comme pour son public, l’album A Written Testimony vient mettre fin à une épopée secrète. L’incroyable Exhibit C démontrait instantanément le talent indéniable de l’artiste et, naturellement, le conduisait à sa signature chez Roc Nation en novembre 2010. L’événement était alors prometteur d’une éventuelle folle association avec le futur MC milliardaire.

C’est par une série de tweets – aujourd’hui supprimés – qu’il déclarait qu’il se retirait en studio pour les 40 jours à venir afin de produire l’album tant attendu.
La public a dû se contenter durant la dernière décennie de quelques morceaux et de rendez-vous ratés. Ses performances, de qualité pourtant, n’étanchaient pas notre soif.

"Extra, extra, it's mister headlines
Who signed every contract and missed the deadlines".
Jay Electronica - The Blinding

A Written Testimony relate les étapes d’un second voyage introspectif. Jay Electronica y offre une réponse aux interrogations de ceux qui l’observent depuis son éclosion médiatique. De la reconnaissance au deuil, en passant par le combat, Jay Electronica, avec l’aide de son acolyte et patron Jay-Z, nous enseigne son interprétation des tablettes qu’il a reçues durant son errance. A Written Testimony est un récit métaphorique dans lequel le MC est le héros de son odyssée. Le rendu est complètement à l’image de son auteur : complexe, nostalgique, érudit, ésotérique, combatif. À ce titre, Jay-Z semble être le complément parfait pour sublimer le lyrisme de Jay Electronica. Si Jay Electronica était Bilbo, A Written Testimony serait Histoire d’un aller et d’un retour et Jay-Z serait Gandalf. Ils possèdent tous deux l’assurance de ceux qui ont surmonté les plus grands dangers. Jay-Z remplit ici son rôle d’adjuvant à merveille en liant technique lyricale et profondeur du message comme il le souhaitait dans Moment of Clarity.

L’album s’ouvre sur un extrait d’un discours de Louis Farrakhan, le leader de l’organisation religieuse Nation of Islam dont est membre Jay Electronica. Il y annonce la descendance divine de l’Homme Noir et donne ainsi le thème central de sa narration. Il s’agit de mettre en avant la part divine qui l’habite par l’expression libre de ses pensées. Cette présence prend de multiples formes. On peut percevoir l’ambition de ce discours tout au long de l’album :

"It's the return of the Mahdi, it's the return of the Akhis
It's the return of the lost and found tribe of Shabazz, the Annunakis
It's the return of Mr. Shakur spittin' out phlegm at paparazzi"
Jay Electronica - The Blinding

La connexion entre l’Homme Noir et Dieu se manifeste particulièrement via certaines émotions fortes, notamment la souffrance. La solitude, le doute, la perte d’un être cher, la place des Noirs dans la société, ou encore l’injustice et le combat interne inhérent au rap, sont quelques-uns des axes explorés par l’album.

"How could this nappy-headed boy from out the projects
Be the apple of America's obsession?
You totally disconnected with reality, don't believe in dreams
Since when did black men become kings?"
Jay-Z - Shiny Suit Theory

Jay Electronica a produit la majorité de l’album lui-même et cela s’entend. Il fait les choses à sa vitesse, un peu reclus, à contre-courant. Tout ce qui vient de lui semble venir de loin. Ses prods grésillent un peu, comme s’il avait produit ces chansons il y a longtemps sur une vieille machine. On ressent un peu de Jay Dee dans les instrus. Pas surprenant quand on sait qu’il possède une grande quantité de beats du producteur légendaire.
Les boucles sont longues, il laisse parler les samples. Pour A.P.I.D.T.A., le groupe Khruangbin est crédité comme producteur, leur chanson A Hymn étant exactement la musique du morceau susnommé. On les écoute comme on lirait un ancien carnet de voyage. À l’instar des pensées d’un journal intime, les propos sont libres mais travaillés, retors parfois, mais voilà, Jay Electronica n’est pas simple. Il ressent des choses littéralement hors du commun.

"I’m sailing on a cloud, they trailing below
My shrink told me, "It's a feeling they'll never know""
Jay Electronica - Shiny Suit Theory

Ce n’est pas qu’un effet sonore d’ailleurs. Shiny Suit Theory par exemple, est sorti en novembre 2010, trois jours après la signature chez Roc Nation et donc il y a près de dix ans. 

Jay Electronica vogue sur les instrus en délivrant ses couplets selon le niveau d’énergie requis. Tantôt introspectif sur Ezekiel’s Wheel ou sur A.P.I.D.T.A., tantôt revendicatif sur The Ghost Of Soulja Slim ou encore egotrippant sa connexion divine sur Universal Soldier ou ses origines sur Flux Capacitor, la musique dévoile les différentes facettes de l’artiste. Mention spéciale pour Universal Soldier qui réunit tout ce que j’aime chez lui. Témoignages poignants, jeux de mots, grandiloquence et sagesse. 

"I spent many nights bent off Woodfort
Clutchin' the bowl, stuffin' my nose
Some of the cons', I suffer for prose
My poetry's livin' like the God that I fall back on
And all praises are due to Allah for such an illustrious platform
The teachings of the Honorable Elijah Muhammad's my backbone
When I spit, the children of the mothership bow on a platform"
Jay Electronica - Universal Soldier

Jay Electronica bénéficie sur cet opus, en plus de la présence de son patron, de l’apport de producteurs de renom. Swizz Beatz, Hit-Boy, AraabMUZIK, G. Ry sur The Blinding, The Alchemist sur The Neverending Story ou encore No I.D. sur Fruits Of The Spirit. Ces prods ajoutent une couleur, une nuance. Elles mettent en relief l’artiste et ses talents de MC : passes-passes avec Jay-Z sur The Blinding, story telling sur The Neverending story, versatilité de la prose et profusion de références culturelles, historiques ou religieuses sur Fruits Of The Spirit où il place des vers en espagnol, en plus des traditionnels mots arabes.

Je me dois de souligner la performance de Jay-Z sur cet opus. A Written Testimony est le récit de l’avènement de l’Homme Noir et en ce sens, Jay-Z est le soutien idéal d’un Jay Electronica qu’on sent encore en construction en termes de création d’un classique.
Les deux Jay s’autoproclament dieux sur terre. Jay-Z via son surnom Jay HOVA (Jehovah) et Jay Electronica via son appartenance au groupuscule des Five Percenters dont l’une des particularités est que leurs membres se considèrent comme des incarnations de Dieu. À ce titre, les deux visent la lune et tirent sur tout ce qui les gêne. Cependant, force est de constater l’emprise majeure de l’expérience et du talent indiscutable du vétéran sur ce projet. Le boss de Roc Nation livre des couplets d’anthologie sur cet album.
Jay-Z est le premier et le dernier MC qu’on entend alors qu’il n’est cité nulle part en featuring. De plus, il apparaît sur huit morceaux des dix que l’album comprend. On serait alors tenté de prendre A Written Testimony comme un nouveau Watch The Throne. Pourtant il n’en est rien. Ici, il se conforme à la personnalité de Jay Electronica afin de l’aider dans son prêche. Un peu à l’instar du bâton de Moïse, il élève le discours de Jay Electronica en se transformant en serpent pour l’auditeur, allant même sur le terrain de prédilection de son acolyte en usant de son idiome :

"Back when Emory Jones was catchin' the fed' charge
I knew less about Chessimar
All about Pablo Escobar
Thinkin' I was the last one Allah would lay his blessings on
I was trying not to end up like Tony in the restaurant
Now I'm the general of the geechie army
What don't kill us make us stronger, that's Nietzsche on me
Hot boy like I'm B.G., that Fiji on me"
Jay-Z - Universal Soldier

La tâche est ardue. Néanmoins, il s’en sort avec brio. À l’évidence, Jay-Z a trouvé en Jay Electronica un sparring partner qui le pousse naturellement à se dépasser, comme Jordan avec Pippen lors de la dernière saison du premier chez les Bulls de Chicago.

Quant à Jay Electronica, il n’a pas son pareil pour concilier réflexions métaphysiques ou ésotériques avec sa propre sensibilité et son parcours de vie. Il nous emmène avec lui dans son univers introspectif et spirituel à l’aide de son lexique si particulier mélangeant dans un registre parfois soutenu, parfois argotique, vocabulaire de l’Islam, thèses complotistes et références culturelles. Le but est ni de faire preuve de sentimentalisme, ni de détailler les moments les plus vulnérables de sa vie, mais plutôt de démontrer la grandeur de sa foi et de son âme en dépit des circonstances. Cela dit, il ne cache ni ses craintes, ni ses doutes ou encore moins ses souffrances. Il a conscience qu’il est attendu au tournant et admet volontiers que l’exercice de se soumettre à la critique n’a rien d’aisé pour lui :

"Some ask me "Jay, man, why come for so many years you been exempt?"
'Cause familiarity don't breed gratitude, just contempt"
Jay Electronica - Ezekiel's Wheel

Pareillement, il évoque la difficulté de surmonter certains obstacles inéluctables comme la perte d’un être cher dans le vibrant hommage qu’il fait aux défunts dans A.P.I.D.T.A. :

"Eyes fiery, cry tears to my diary
Sometimes a Xanny bar can't help you fight back the anxiety"
Jay Electronica - A.P.I.D.T.A.

Jay Electronica a touché les cieux à quelques reprises et je dois avouer qu’il est par moment inégal sur cet album. L’artiste a été considéré quelques temps comme le potentiel messie du rap US, portant sur ses épaules toutes les attentes et espoirs d’un rap US un peu moribond à la fin des années 2000. Son excentricité couplée à son incroyable science de la rime démontraient naturellement qu’il avait la trempe des plus grands. L’album devait confirmer ce statut. Sur Ezekiel’s Wheel par exemple, on a l’impression qu’il est en improvisation sur tout son couplet. N’étant pas le plus grand amateur de l’exercice, j’en suis quelque peu déçu. D’une manière générale, le risque, pour n’importe quel MC, de sortir un album sur lequel Jay-Z est en featuring sur huit des dix morceaux qui le composent, est principalement de souffrir de la comparaison.

Pour autant, A Written Testimony est une belle réussite. Elle est surtout une porte d’entrée dans le monde de Jay Electronica et on a l’impression qu’il a cédé à sa propre pression pour nous présenter sa carte de visite. La pochette de l’album est une photo de la piscine de Beyoncé prise par cette dernière, comme une sorte de carte postale nous livrant ses impressions sur son précédent voyage et sa nouvelle vie chez Roc Nation.

En tant que débutant dans le domaine – A Written Testimony reste tout de même son premier album – produire une telle œuvre en 40 jours reste un exploit : « My debut album featurin’ Hov, man, this is highway robbery » dit-il à ce sujet dans Ezekiel’s Wheel. On comprend mieux ainsi la présence de Jay-Z dont la performance est l’une des raisons principales qui hisse cet opus directement parmi les meilleurs de 2020.


TRACKLIST – A WRITTEN TESTIMONY :
  1. The Overwhelming Event
  2. Ghost Of Soulja Slim
  3. The Blinding feat Travis Scott
  4. The Neverending Story
  5. Shiny Suit Theory
  6. Universal Soldier
  7. Flux Capacitor
  8. Fruits Of The Spirit
  9. Ezekiel’s Wheel feat. The-Dream
  10. A.P.I.D.T.A.

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Chronique réalisée par Michel KDB