C’est grâce à une façon étonnante de revisiter le Hip Hop (les cover-clips) que le collectif Recycled nous embarque dans son univers. À travers des reprises de Jazzy Bazz, Lomepal ou Nekfeu, laissez-vous aller dans ce monde expressif, dansant, poétique et sincère qui questionne la représentation des femmes dans le rap, à l’écran. Entretien avec Marine Sigismeau, l’une des fondatrices de ce concept original.

Bonjour, pouvez-vous vous présenter ?
Bonjour, je m’appelle Marine Sigismeau, comédienne, danseuse et directrice artistique du projet Recycled.
Recycled est un collectif d’artistes : réalisatrices, comédiennes et danseuses, travaillant dans la réalisation de cover-clip et clips pour des artistes émergent(e)s.

Comment s’est faite votre rencontre avec la culture Hip Hop ?
Pour ma part c’est abord une rencontre musicale, avec le rap, dans mon adolescence. Et il y a eu aussi le rapport à la danse Hip Hop avec des amis du lycée, comme ça, de temps en temps, pour passer le temps entre les cours.

Quels artistes Hip Hop vous ont influencée à vos débuts (en rap et en danse) ?
Adolescente, des artistes comme IAM, Diam’s, La Fouine, Booba, Eminem et d’autres. En danse, je repense aux films à grand succès comme Street Dancer, Steppin et Rize, qui ont, je pense, marqué toute une génération. Je pense aussi au travail des chorégraphes Kader Attou et Mourad Merzouki qui ont eu une énorme importance dans l’émergence de la danse Hip Hop dans le spectacle contemporain.

Photo – Ladegaine

Et quels sont ceux qui vous influencent aujourd’hui ? Pourquoi ?
Toujours des rappeurs comme Oxmo Puccino, Nekfeu, Alpha Wann, PNL, entre autres. En tout cas des artistes qui me donnent l’impression de défendre un univers, un propos, un combat passionné pour leur art et pas juste une envie commerciale de vendre des millions de disques.

Que pensez-vous de l’influence que le Hip Hop ( rap, danse, graffiti, etc…) a aujourd’hui dans notre société ?
Je pense que le Hip Hop a sa place comme toute autre culture artistique car elle a permis à des artistes, des êtres humains, de se revendiquer à travers elle et permet aujourd’hui encore une forme d’expression qui est primordiale dans notre société.

D’ailleurs, selon vous, la danse Hip Hop a la place qu’elle mérite, comparé à la danse plus contemporaine ou même classique ?
Je pense que oui, de plus en plus de compagnies contemporaines tirent d’ailleurs leurs influences de la danse Hip Hop. On constate aussi depuis quelques années la forte émergence des lieux soutenus dédiés à cela comme par exemple La Place à Paris ou Le Flow à Lille, etc…

Le break est devenu une discipline olympique, qu’en pensez-vous ?
Je trouve ça très bien. Au vu de l’engagement physique que demande cette discipline, le break peut aussi tout à fait être considéré comme un sport de haut niveau.

Vous pouvez nous expliquer le principe de votre groupe ?
On est un collectif, on fonctionne en collectif. L’équipe est composée de moi-même, Marine Sigismeau : direction artistique et réalisation (aussi interprète dans certains cover-clips), Coraline Benetti : réalisation et cadreuse, monteuse, Katia Ferreira : chorégraphe, danseuse et comédienne (interprète dans certains cover-clips)
et Romane Lemaire : assistante réalisation.

Pourquoi avoir choisi ce nom de groupe?
Pour l’idée de recycler quelque chose, reprendre un titre et en proposer une autre interprétation comme si on avait recyclé une chanson pour en faire un nouvel objet.

Quel est le but de votre collaboration et de votre travail ?
On travaille dans la réalisation de cover-clips : reprendre des titres de rap d’artistes masculins et en proposer une reprise, une cover en image avec uniquement des interprètes féminines.
Ensuite, à côté de notre projet de cover-clips, on souhaite aussi réaliser des clips pour des artistes rappeurs/ses et chanteurs/ses émergent(e)s.

Photo – Samuel Clément

Comment avez-vous étés amenées à toutes travailler ensemble ?
C’est d’abord une rencontre entre Katia et moi pendant un stage de danse. On est devenu amies, puis on a eu envie de travailler ensemble. Je lui ai parlé de cette idée de faire reprendre du rap masculin par des femmes, elle m’a alors présenté Coraline qui connaissait Romane de son école de cinéma. Et voilà, on s’est toutes retrouvées ensemble comme ça.

Vous réalisez entre autre des covers, pouvez-vous expliquer ce que c’est et comment vous les choisissez ?
Alors, on a choisi jusqu’ici des chansons souvent « oubliées » et « sensibles » des albums de rappeurs pour montrer autre chose, une belle plume, un ressenti sur la vie, une blessure peut-être. L’envie à partir de là est de proposer un clip où l’interprète et l’interprétation sont au cœur du processus créatif. Une reprise, une cover en image, en clip, pour montrer finalement que les sujets abordés peuvent être universels, peuvent toucher tout un chacun et peuvent être interprétés par n’importe quel physique à partir du moment où on raconte quelque chose avec cette interprétation et qu’on y croit.

Vous avez choisi des rappeurs assez « poètes », parfois mélancoliques, est-ce une manière d’écrire et d’interpréter qui vous touche ? Quels sujets vous sensibilisent le plus ?
En effet, on trouvait intéressant le fait de montrer la corde sensible de certains rappeurs car ces chansons existent dans leur album mais on retient souvent le gros tube bien ambiançant ou trash.
Et personnellement oui, ça me parle plus, ça m’intéresse la poésie dans le rap. Ça ne passe pas forcément que par la tristesse ou la mélancolie d’ailleurs, il y a beaucoup de rappeurs poètes.

Pourquoi avoir choisit le rap pour vos interprétations ?
L’envie de créer, je crois, un décalage entre l’image dure qu’on peut avoir des rappeurs et une sensibilité mise en avant par une interprète féminine. On trouve ça intéressant d’entendre cette voix d’homme dans la bouche d’une femme. Peut-être aussi pour dire que, peu importe les genres, nos sensibilités ont de la valeur.

Quel style de danse pratiquez-vous ?
On est plutôt sur de la danse contemporaine dans ce groupe mais pour notre dernier cover-clip on a collaboré avec une danseuse popping, Nina Chati et une danseuse contemporaine et voguing, Oumrata Konan.

« Je pense que le Hip Hop a sa place comme toute autre culture artistique (…) et permet aujourd’hui encore une forme d’expression qui est primordiale dans notre société. »

Marine Sigismeau

Puisque vous reprenez des sons de rap, et que vous faites votre propre cover-clip, que pensez-vous des clips rap actuels ? C’est une esthétique qui vous parle ? Qui vous dérange ?
Il y a des superbes réalisations dans les clips de rap, avec de très belles esthétiques et de la recherche. Il y a aussi énormément de clips qui m’énervent ou que je trouve peu intéressants voire clichés et ça ne tient pas qu’à une chose, une idée ou une esthétique. On peut avoir une magnifique esthétique, des images incroyables et par contre un scénario bidon et un manque d’interprétation. Pour moi le fait que ça fonctionne ou pas ça tient à plusieurs choses mais surtout à une sincérité de l’idée et dans le travail. Je trouve que ça se ressent quand la réalisation est allée au bout de ce qu’elle voulait dire, même avec des choses simples.

Que pensez-vous de la représentation, de la présence des femmes et de leur inclusion dans le Hip Hop (rap, danse, graffiti, DJ…) en général ?
Comme partout la place des femmes est tout simplement légitime et devrait être normalisée. Ce sont des milieux à l’origine très masculine mais de plus en plus d’artistes féminines y font leurs preuves et c’est très encourageant pour l’avenir.

Photo – Samuel Clément

Si vous deviez nous faire un top 3 des meilleurs clips de rap ?
Ahah c’est difficile il y en a beaucoup mais ok.
Je dirai (personnellement) en France :
1. Rêves bizarresOrelsan feat. Damso
2. Louvre Alpha Wann
3. SmileLefa feat. SCH

Que pensez-vous du chemin que prend le Hip Hop aujourd’hui dans ses différents domaines (DJing, MCing, danse, graff) ?
Il est super ce chemin, car il s’est démocratisé et a touché des publics divers. Comme tout art, j’espère pour ma part qu’il gardera une belle sincérité d’envie de dire, de divertissement généreux ou de revendication.

Artistiquement, comment vivez-vous la période de crise sanitaire actuelle ?
Difficilement comme tout le monde. Étant moi même comédienne et danseuse, la scène me manque cruellement. Mais les projets avancent quand même et l’envie est encore plus présente, je pense.

Et vous, quel chemin souhaitez-vous prendre pour la suite ?
Pour Recycled on a vraiment envie de développer les collaborations avec des artistes féminines émergentes pour leur apporter nos compétences diverses et complémentaires dans le clip.
On va aussi certainement essayer de développer encore plus le concept des cover-clips, pourquoi pas pour l’étendre à d’autres styles musicaux, ouvrir le champs des possibles.

Photo – Ladegaine

Vous pouvez nous faire un top 5 d’artistes rap, ou danseurs/danseuses à suivre absolument ?
Pas forcément dans un ordre de préférence, tout est à découvrir !
1. Le collectif féminin de top rock : Lady Rocks (dirigé par la chorégraphe Léa Cazuran, une amie)
2. Alpha Wann, si ce n’est pas déjà fait, certainement un des meilleurs rappeurs français.
3. Allez découvrir la rappeuse Eesah qui prépare un bel EP, à suivre de près.
4. L’association Callmefemcee (et Rappeuz) qui fait un travail formidable pour les rappeuses émergentes.
5. Pinky Pimp, collectif qui propose concerts et vidéos où se mélangent rap, improvisation musicale et jazz.

Quels sont vos futurs projets ?
En partenariat avec le collectif Rappeur et Le Flow à Lille, nous allons clipper une artiste qui a gagné la première édition du concours Rap Contest (édition Lille). Nous ferons également partie du jury du tremplin Rappeuz, concours offrant un accompagnement à la rappeuse gagnante. Nous ferons gagner un clip à une des 10 finalistes du tremplin avec un prix coup de cœur Recycled.

Un dernier mot pour la fin ? Une dédicace ?
Merci T-Rexmagazine et Zoé !


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Entretien réalisé par Zoé Lebarbier