Melan
Angle Mort
Année : 2020
Format : album 17 titres
Localisation : France (Toulouse)
Production : Melan, Slin, El Gaouli, Omerta Muzik
Featurings : Davodka

Le 27 novembre 2020 marque un évènement dans le monde du rap français, la sortie du septième album du rappeur Melan. Il a la trentaine, il est comédien, il enregistre, écrit, produit…il répète dans l’appartement de son DJ et nous a livré un excellent cadeau à glisser sous le sapin. Originaire de la banlieue parisienne, Toulouse l’accueille dès ses 13 ans et depuis il y prospère. Tout comme son état d’esprit, libre et engagé, riche de l’intérieur et très pragmatique, il a vidé des bombes de peinture, essayer son toucher sur des platines avant de se consacrer au rap. Pleinement.

Il fait partie d’un collectif qui officie depuis une dizaine d’années maintenant, on les nomme Omerta Muzik. Le groupe est composé des rappeurs Fadah, Rilcy, Capdem, Selas et Melan. Le côté production est assuré par Diaz, Enro, Djé, Bast aidés par les DJ’s : Jof et Hesa. Leur dernier album (enregistré bien des années en arrière) publié aussi en 2020 a marqué les esprits. Avant tout par sa qualité mais également parce que le collectif (le label Addictive Music a également joué le jeu) a reversé tous ses gains à l’association Coud’Pousse qui apporte des repas aux personnes dans le besoin et n’ayant d’autre lieu de vie que les rues toulousaines. Un esprit hip-hop de A à Z en somme! Avec de telles idées, la musique ne peut qu’être de qualité.

Melan a un talent si extensible qu’on ne peut le saisir pleinement. Souvent, on reproche à certains artistes de manquer de charisme, de voix marquante ou d’idéologie. On dit qu’ils écrivent bien, qu’ils posent bien mais ne marquent pas leur temps et se mélangent avec les autres grains de sable existants. La première chose qui vient nous frapper en écoutant le Toulousain est son timbre de voix, bien affirmé et très net. La voix est rocailleuse, sort des tripes mais de façon naturelle, elle porte aisément ses paroles et reste gravée dans les esprits. C’est clairement un point à prendre en compte à l’heure où la majorité des rappeurs font la même chose, copie celui ou celle qui buzze et ne tente rien.

Ici on est loin de tout ça. Le morceau Combien est d’ailleurs bien précis et représente bien le personnage :
« Combien on est à faire encore du vrai rap ?
À retourner la scène, on n’aime pas l ‘playback
À passer des messages
À remplir des pages
À redonner de l’espoir et du partage
»

Et comme il le dit lui-même, pour le définir il n’y a pas de style. Il est tellement bon dans tout ce qu’il touche qu’il est dur de l’installer quelque part. Et puis ça pourrait être réducteur selon l’angle de vue. Ce qui m’a assez impressionné sur cet album, c’est sa technique de caméléon. Il s’adapte tout bonnement à tout et il s’égaye sur tout. Il est très à l’aise pour rapper en a cappella comme en témoignent les morceaux J’ai rapé, Basta ou encore Poète. Exit les sonorités ambiguës qui viennent couvrir le manque de créativité et les lacunes des rappeurs pop de cette décennie. Sa plume est sincère, sans réelle prétention, il parle pour lui mais au nom de tout le monde. On peut aisément se retrouver dans ce qu’il dit, c’est ouvertes que les fenêtres sont et large est la vision. Le sixième single Angle mort vient résumer tout ceci.

Il serait très malavisé de l’inclure dans le circuit du rap biz, c’est sans clignotant qu’il négocie ses morceaux. Ils sont courts pour la majorité, car si on fait une moyenne, on doit tourner autour des 3 minutes max. On peut estimer qu’il vise à faire de la scène après la fin de confinement. Et que c’est un projet qu’il défendra au plus proche de son public toujours plus grandissant. Le concept est très bon car si tous les morceaux ne sont pas au même niveau (17 pistes quand même), il y a toujours un morceau, un vers ou une phrase qui jaillit de l’angle mort. La guitare est très présente dans le projet, il en joue diablement bien pour communiquer avec. Sa plume très franche et sa capacité à pouvoir chanter et rapper sur un même morceau offrent une autre dimension à son album. Les titres sans refrains sont en réalité compliqués à réaliser car il faut tenir en haleine les auditeurs avec un unique cycle. Croyez le ou non mais il excelle en la matière car un morceau peut tourner autour d’un refrain. C’est cette harmonie entre single et morceau plus technique qui est plaisant.

Melan se suffit à lui-même puisqu’il a permis à un artiste de lui prêter main-forte sur une seul morceau : Dose avec l’inégalable Davodka. Le tempo y est assez rapide et Melan se met plus qu’au niveau, entre variations de débit et de flow, il donne tout ce qu’il a. Le refrain quant à lui est simple dans l’écriture mais tellement efficace, on a hate de pouvoir sauter dessus durant un concert ! Rapper vite c’est une chose, contrôler son souffle et varier le débit en est une autre. Diplôme délivré avec mention excellente.

Il a de la technique et du style à revendre car il réitère l’exercice sur Pas comme eux. Cette fois il est en solo pour un morceau qui devrait faire bouger facilement les têtes.

« Taleurs j’ai rec un nouveau son s’appelle Nouveau départ
Positive est l’intention, à croire que je ne connais pas.
»

Le second single Nouveau départ est produit par Slin et El Gaouli. Il donne très bien le ton de l’album. Très bien choisi.

« Chacun mérite sa place mais avant ça il faut qu’on s’entende
Persuadé que laisser sa trace nécessite qu’on construise ensemble
»

Et ce qu’il y a de fort avec Melan, outre ce qu’il propose musicalement, c’est le fond, l’image et les messages. Car si chez bien des rappeurs engagés, des paroliers installés et marquants, parfois on peut ressentir de la lassitude. Comme Devil May Cry peut le faire dans l’industrie du jeu vidéo, Melan se sert de son art pour dissimuler des messages « subliminaux ». Si parfois les propos sont clairs (On leur ressemble pas), parfois c’est bien plus subtil. Et là il tient une bonne carte, car il ne rabâche pas la même chose, ne relaie pas les infos du net, aussi vraies soit-elles, mais propose du rap. Soit de la poésie musicale, du flow et le contenu est présent sur le fond également. Comme il est habile pour proposer une musique entrainante et musclée, du chant et ouvrir son coeur, tout est plus acceptable. Cette homogénéité fait que tout l’album tient bien plus que la route et tout se complète. L’angle est mort pour ceux qui n’auront pas trouvé ce projet sous leur sapin ou dans leurs suggestions musicales.

Le cinquième single Ruine, prend la défense de la Terre :

« N’oublie ap c’est les arbres, qui font qu’tu respires
J’gratte, j’m’investis j’le grave avec modestie
J’rappe, le destine à ma culture, mes vestiges
»

Et si la musique la plus complète était l’ultime morceau Quintessence ? Dans les plus pures origines du rappeur et de l’esprit rap. De la créativité (refrain chanté), boucle de piano doublée de violons et des scratches, pour finir par l’essentiel : des textes vrais et bien lissés. Si Toulouse a souvent été oubliée dans le paysage du rap français, il faudra dorénavant compter dessus. Si Melan et Omerta Muzik ont écrit de grandes pages dans son livre, la ville rose n’a pas à trembler pour son héritage. Je serai tenté de dire que cet album est la quintessence de sa carrière. D’autant plus qu’il a produit la majorité des morceaux.

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Chronique écrite par Fathis