Mani Deïz & Ul’Team Atom
Mauvais Présage vol. 1
Année : 2020
Format : EP 7 titres
Production : Mani Deïz, Gyver Hypman
Featurings : Rocé, Swift Guad
Quand le talent est réel et présent depuis le début, il s’affine et traverse les époques et toutes les épreuves auxquelles il est soumis. Ul’Team Atom, un groupe dont j’ai déjà parlé et que je suis depuis un bail, est de retour depuis quelques temps maintenant.
Pour l’année 2019 : ATK x Ul’Team Atom – Prestige (je vous renvoie à ma chronique) et sa suite : Prestige 1998. Aujourd’hui, en 2020, les compagnons d’armes d’ATK, s’associent à l’un des meilleurs beatmakers français du moment : Mani Deïz.
Laissons les professionnels faire leur travail. Le crew composé de Fik’s Niavo, Grödash, Reeno et Templar, tous des rappeurs qui ont fait leurs preuves, a donc décidé de se concentrer uniquement sur ses performances au micro et de confier la production dans son intégralité à Mani Deïz. Ce genre de projet est comme toujours à double tranchant mais le talentueux producteur exploite tous les fils pour ne pas nous enfermer dans un style unique et réducteur.
L’album, tout comme les précédents, est sorti sur le label Addictive Music, le projet sera suivi d’une suite nommée Mauvais Présage Vol. 2. Les auditeurs qui se tournent vers ce projet savent à quoi s’attendre et à qui il est destiné. Le crew a toujours proposé un rap technique, engagé, avec des messages et proche de ce que le rap français a l’habitude de délivrer.
Le premier single clippé, Costume Blanc, est sorti début 2020 et la vidéo montre les artistes habillés en blanc kicker du mic dans un vieil entrepôt. Blanc comme la couleur du deuil en Asie, où comment annoncer qu’ils vont fumer la concurrence et proposer punchlines et autres figures de style à travers un rap toujours aussi bon. Ce morceau mentionne à plusieurs reprises le passé et leurs débuts, on est dans le bain !
« À cette période, beaucoup des miens découvrent le pénitencier
Et quand ils sortent, soirée péniche, ils laissent leur pénis penser »
Fik’s – Costume Blanc
Le morceau est idéalement positionné pour plusieurs raisons : il ne comporte pas de refrain, tous les rappeurs posent un couplet, ce qui permet de clairement tous les identifier, chacun y affirme son style et pose l’ambiance musicale du projet. Il démarre en tant que premier single, le reste est question de goût.
Sur le second morceau et troisième single répondant au nom de Mauvais Présage, la formule change. Si le clip est réalisé avec des moyens simples et met les protagonistes en avant, il est suffisant pour suivre le son. Contrairement au titre précédent, il y a un refrain, très bon au passage, réalisé par Sepideh (à ne pas confondre avec la chanteuse iranienne du même nom), sûrement backé par le crew. Le morceau est de nouveau bien écrit, dans la lignée du précédent, sombre et direct.
« Je navigue à l’aveugle, raconte ma vie à la feuille
Depuis le temps que je croque la pomme, je suis peut-être une filiale d’Apple ? »
Templar – Mauvais Présage
On change d’ambiance sur Super Pouvoir. Grödash prend les commandes en posant le premier couplet et en assurant à son tour un très bon refrain ! Swift Guad, est aussi présent, habitué des prods magistrales du grand Mani Deïz, il se fait évidemment plaisir et régale nos oreilles. Tout son complet est un hommage aux super-héros, mêlé de métaphores et de comparaisons. La production est toute aussi magique, elle va chercher un sample plus orienté rock, avec un son qui nous incite à monter le volume pour tout faire péter.
Le message politique bien appuyé et bien construit arrive ensuite clairement avec Caméra Cassée et ce qui fait encore plus plaisir, c’est de pouvoir entendre Rocé. Lui, il sait de quoi il parle ! Grand personnage du rap français, il vient poser ici un couplet où aucun mot n’est mal aligné. Le message est clair et Reeno et Fik’s font clairement le taff eux aussi. Et si toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire, un artiste est quelqu’un qui s’exprime et qui touche des gens. C’est quelqu’un qui peut influencer et inculquer des idées et donc des vérités. Si on ne le fait pas, qui le fera ? Le rap n’a clairement plus cette image, ce rôle, mais ne minimisons pas son influence, il aura toujours son importance dans la société. Merci au groupe de le rappeler avec ce morceau.
Le second single, Défiguré, apporte une touche plus douce au projet avec un sample qu’on entend tout le long à travers une petite voix. Le clip est dans la lignée des précédents sauf que Fik’s y réalise une petite introduction en affirmant que « Ton bonheur ne fait pas celui des autres ». Ainsi, le message est clair et c’est destiné plutôt à ceux qui ne veulent pas les voir réussir, les ont vus réussir, mais ne l’ont peut-être pas souhaité. C’est tout le paradoxe de ce milieu. C’est bien quand tu rappes avec moi, mais je préfère que tu ne réussisses pas, au moins tu es avec moi. Car si tu réussis, j’aurais la pression et je voudrais faire pareil, mais si je n’y arrive pas… Donc c’est plus simple d’empêcher l’autre de réussir. Comme des crabes, on se tire vers le bas, car la main tendue, ça épuise.
« Ce n’est pas du cinéma, j’m’endors avec des idées noires
Il m’arrive de chercher mon chemin, alors s’il vous plaît aidez-moi »
Reeno – Défiguré
Arrive la note la plus positive de l’album avec le magnifique L’entonnoir. Enfin, ne vous laissez pas non plus bercer par ce sample, Mani Deïz prouve ici avec brio ce qu’il peut faire. Passer d’un son sombre, hardcore ou profondément ancré dans la mélancolie à un son bien plus jazzy et fun. Vraiment un son qui apporte une vague de fraîcheur dans un projet qui annonçait tout sauf un bon présage. Pourtant, le morceau, écrit et rappé avec un respect total de la langue française, vient pointer les violences policières et leurs abus. Et hélas, l’actualité leur donne plus que raison. Rien ne s’arrange, les jours passent et seules les victimes changent… La justice est débordée et rien n’est fait pour nous protéger. Quant au morceau, on ne l’oubliera pas, ils y ont pris des risques, Mani Deïz a réalisé une prod. qui laisse une place à un refrain chantonné comme le fait très bien Reeno.
« L’instinct d’survie c’est tout c’qui rend mon bled hostile
Silence, on pille, on viole, on tue quand l’ONU joue les playmobils »
Grödash – L’entonnoir
Enfin, l’album se termine avec Rien ne change qui fait appel à Gyver Hypman pour une ambiance plus sobre et conclure parfaitement ce projet. On se rend compte que l’album ne souffre quasiment d’aucun défaut, des prises de risque aux invités, tout est réussi. Personne ne cherche à s’attribuer tout le mérite, ils ont agi en tant que groupe. Ils n’ont pas cherché à être présents sur tous les morceaux, de par les styles et les envies de chacun, ils laissé de la place aux invités et à chaque membre du groupe. C’est dans cette force qu’ils ont su puiser, rien ne vient donc lasser l’auditeur, le projet est court, direct et ciblé. Ils prouvent encore une fois, qu’ils n’ont besoin de personne d’autre qu’eux-mêmes pour s’exprimer au micro.
Ils ne sont pas à la recherche du nouveau tube de l’été, ni du meilleur ingé son pour l’exploitation du vocoder. Ils sont là pour « kicker, représenter, revendiquer » et de nouveau le pari est réussi. Les pages du rap français feront évidemment de nouveau de la place à ce groupe. Ce groupe qui continue de montrer qu’on peut rester vrai et fidèle à soi-même tout en s’inscrivant dans une nouvelle ère. Mani Deïz quant à lui, n’a vraiment plus rien à prouver, c’est de l’amusement total pour ce génie de la production qui semble pouvoir créer ce qu’il souhaite. Il a délivré des beats à tous types de rappeurs, collaboré dans tous les coins de la France et plus. Il peut changer de style comme de chemise et s’adapte ainsi aux attentes. Encore une réussite pour ce projet qui fera parler de lui, on imagine ainsi que si un volume 2 a vu le jour, c’est que la connexion a bien marché…
Chronique écrite par Fathis
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