Michel Onomo, dit Meech, danseur et chorégraphe professionnel, tombe très jeune dans la culture Hip Hop. Après des débuts de B-boy, il se tourne vers la danse dite «debout» puis, très vite, choisit de se spécialiser dans deux courants qui deviennent ses styles de prédilection : le newschool et la house dance, pratiques avec lesquelles il s’impose lors de nombreuses compétitions, en France comme à l’étranger.
Bonjour Meech, peux-tu te présenter ?
Je suis Michel Onomo, dit Meech. À travers ma démarche personnelle de danseur issu de la culture africaine et Hip Hop, j’interprète et je chorégraphie. Inspiré par mon patrimoine d’enfant des terres d’Afrique, je développe à travers ma compagnie un geste pur, un mouvement pleinement accompli : le Ghôst Flow Movement. J’ai l’ambition de répandre mon art, de le transmettre et de m’équilibrer avec ce qui est fondamental et vital pour moi. Mettre à l’épreuve ce qui va devoir m’échapper car, comme pour tout artiste, tout ce qui est montré ne t’appartient plus… J’ai besoin de savoir ce qui doit exister et ce qui doit coexister. Je ressens constamment une envie de partager et de transmettre ce qui, pour moi, est une nécessité et de découvrir dans mes recherches ce que je pense du monde……
A quel âge as-tu commencé la danse ? Est-elle la première discipline artistique par laquelle tu as commencé ?
En 82, je marchais dans les traditions camerounaises.
En 84, je dansais devant l’émission H.I.P. H.O.P.
En 87-89, je dansais dans les rues de Saint-Blaise (Paris 20e) et à cette époque c’était très chaud !
En 90, je dansais dans le 91 avec MKF Association, ma première famille artistique et fraternelle.
J’ai débuté par le rap et la danse mais j’ai aussi pratiqué le basket-ball comme un art.
J’ai pu voir que tu pratiquais un style particulier de danse avec ton Collectif Ghôst Flow Movement, peux-tu nous nous en dire un peu plus ?
Ghôst Flow est le style que j’ai créé en 2013. Il incarne l’idée de transcender un mouvement ressenti lié à ton parcours. Une gestuelle a été élaborée avec mes élèves issus de ma formation à l’École Du Sud. Et une écriture musicale expérimentée d’abord avec des prods que j’ai créé d’abord seul, puis avec Gyver Hypman et après en 2016, avec Franck II Louise lors d’un solo en coproduction avec la Villette, Garde Robe, Le CCN de la Rochelle, Kader Attou et en regard extérieur, Bintou Dembélé.
Tout ceci se traduit par une phrase : « Un geste pur, c’est un mouvement pleinement accompli….»
Tu es également chorégraphe ?
Oui effectivement, je suis le chorégraphe de ma propre compagnie, la Compagnie Michel Onomo, avec laquelle je travaille sur un projet de création qui s’appelle Hôp et qui s’inscrit dans un vocabulaire corporel et dans un cheminement personnel et artistique que j’ai mené à travers Ghôst Flow et qui est une véritable nouvelle écriture chorégraphique.
Tu peux nous en dire plus sur Hôp ?
Hôp est un subtil mélange entre l’espoir (hope en anglais) et le Hip Hop. Avec ce projet j’entends faire ressurgir les traces de cette culture urbaine, Hip Hop et underground, dans laquelle j’ai fait mes armes. À partir de la spontanéité, du ressenti et de l’inconscient de mes danseurs, je reviens à la nature profonde même de nos sens. Je m’interroge aussi sur le sens que l’on donne à sa propre histoire.
Il y a quelques années, tu as fait parti de la Compagnie SanRancune de Thony Maskot. Es-tu toujours en connexion avec lui ? Vous faites toujours des représentations ensemble ?
Oui, je fais toujours partie de SanRancune qui est dans notre histoire une continuité du Grand Groupe Elite 1 Point C’est Tout mené par Thony Maskot. J’ai toujours conduit mes projets en parallèle avec Thony Maskot et Joseph “Go” N’guessan qui sont mes mentors et je travaille en collaboration avec eux sur des projets de transmission, de valeurs, d’éducation artistique et de recherches chorégraphiques. La Thony Maskot School est la première école de danse Hip Hop de France, elle reste une des bases dans mon histoire. Nous sommes actuellement en train d’intégrer des élèves de la formation pour les emmener sur le chemin de la professionnalisation, comme Thony Maskot l’a fait pour nous, on le fait à notre tour pour les autres.
Tu as aussi produit un documentaire Des Racines et des Fruits, j’aimerais savoir ce que ce projet représente pour toi ? Comptes-tu en réaliser d’autres ?
J’ai toujours travaillé sur la mémoire de la culture Hip Hop. J’ai réalisé un premier documentaire qui s’appelle École Du Sud en 2004 autour d’une stylistique proche banlieue avec des groupes dont je faisais partie. Je voulais donner la parole à mes interlocuteurs pour qu’ils partagent leur histoire autour de la danse…
Le deuxième documentaire, Des Racines Et Des Fruits, est né en 2009 d’une problématique dans laquelle on se retrouvait nous, danseurs de cette époque, sur le partage intergénérationnel d’une histoire de la danse Hip Hop en France. Dans ce documentaire j’ai voulu faire participer les membres de groupes reconnus par le milieu : Sidney, AKTuel Force, Macadam, Black Panthers, Jeu De Jambes, Black Blanc Beur, Boogie Sai, O’Possee, Pascale Obolo, Lion Scot, etc. J’ai réalisé un dernier documentaire en 2018 (Une Envie De Clubbing), autour de ma vision de la culture club et plus précisément de la house music et des danseurs de clubs.
J’ai entendu dire que tu faisais aussi de la musique (rap en l’occurrence). Peux-tu nous en parler ? Est-ce une nouvelle page artistique dans ta carrière ou juste la continuité de ton art ?
J’ai commencé à rapper en 1996 avec les MKF, dans le 91. Puis plus sérieusement avec un groupe qui s’appelait Envoyé Spé avec Nicky Lars. En 2012, j’ai réalisé un live solo autour d’un ego trip sur mon expérience de « garçon de la rue » et de témoin des belles lueurs mais aussi parfois des malheurs causés par ce que peut être la relation citoyen et institutions. La relation homme/femme est un sujet que j’ai un peu traité mais qui inspire aussi mes textes. J’écris toujours mais comme j’ai beaucoup d’opportunités avec mes différentes casquettes en tant qu’auteur, danseur et chorégraphe, j’ai ralenti ma carrière de MC, mais je la conserve. Je me retrouve souvent à faire des projets pluridisciplinaires où tous mes talents, ceux de danseur, de MC ou de DJ (enfin plutôt comme selecta, et non comme les DJ’s professionnels à qui je donne tout mon respect pour leur travail du scratch et d’exigence artistique) sont employés et c’est hyper passionnant.
Que penses-tu de l’univers Hip Hop d’aujourd’hui et plus particulièrement de l’univers de la danse ?
Je pense que, comparé au rap, il y a plus d’authenticité artistique dans la culture Hip Hop. Elle se dilue pourtant dans plusieurs choses, comme le phénomène que j’appelle « hybridification de la culture ». La connexion entre les institutions et l’artiste fait qu’à un certain moment de la carrière de l’artiste, il se pose des questions à propos du long terme. La pratique de la culture a aussi évolué avec l’avènement des réseaux sociaux qui ont dilué l’essence de l’esprit Hip Hop…
Beaucoup s’y retrouvent, beaucoup ne s’y retrouvent pas. Certains naissent dans une nouvelle bulle « open door » dans laquelle j’ai moi aussi évolué. Mais la chance que j’ai eu c’est d’être proche des valeurs de la Zulu Nation et des Black Panthers, donc je sais où je vais, ce que je fais et j’ai bien l’intention de m’imposer artistiquement à ma manière, en collaboration avec toutes les personnes ayant le même « sens » artistique que le mien. Je reste ouvert sur la nouveauté et je garde un lien fort avec l’ancien : je me situe entre les deux générations, l’ancienne et la nouvelle ! J’ai beaucoup de chance d’avoir rencontré toutes ces gens qui m’ont permis d’être la personne que je suis aujourd’hui et je voudrais leur dire : MERCI !
As-tu des conseils pour la nouvelle génération de danseurs ?
Pas tellement en vrai. Je suis observateur et formateur donc autant j’apprends avec eux, autant je n’ai pas envie de faire le donneur de leçons. Mais si je devais leur dire une chose c’est : Restez Authentik !
Il paraît que la danse va devenir une nouvelle discipline au Jeux Olympiques, penses-tu qu’il s’agisse d’une bonne initiative pour le Hip Hop ?
« C’est bien fait pour nous…» (rires) Il paraît assez normal qu’une danse reconnue par l’ONU comme la plus pratiquée au monde soit aujourd’hui à une telle place. Sauf que la danse Hip Hop ce n’est pas du sport ! J’entends à ce que ce « sens » là soit respecté. L’entrée aux J.O. apparaît comme une opportunité ou une reconnaissance ? Moi je dis qu’ils sont en retard ! Je peux dire « merci » pour ce que ça va engendrer…mais ça peut être grave si la notion de sport contamine le Hip Hop !
Il faut aussi faire attention aux mots : break, breakdance, breaking, B-boying et ne pas parler de la culture Hip Hop dans son ensemble pour une discipline seulement ! Ce n’est pas la danse Hip Hop qui va aux Jeux Olympiques, c’est le break. Je pense aussi que les retombées économiques et l’organisation des systèmes sportifs va endommager le milieu du B-boying et engendrer une idée de classement. Dans la culture Hip Hop il n’y pas de premier ou de meilleur, on y parle surtout de « paix, d’amour, d’unité et d’amusement ». Je porte aussi une grande attention au port du drapeau qui je pense est une des choses hyper importante à ne pas négliger. Je suis quand même content de cette opportunité pour la danse mais j’émets des réserves quant aux répercutions sur la culture Hip Hop dans son ensemble.
Tu dis qu’il n’y a pas de premier ou de meilleur dans le Hip Hop ? Pourtant le Hip Hop est aussi basé sur les compétitions ? Les battles de danse ou de DJ’s et même maintenant les battles de MC’s ? N’est-ce pas une manière de déterminer les meilleurs dans chaque discipline ?
Le Hip Hop, selon moi n’est pas basé sur des compétitions mais sur l’essence de seulement 5 des 8-9 mots issus de la Zulu Nation : « Peace, Love, Unity & Having Fun ». Sur ces bases des tas de choses ont été bâties et c’est l’idée de construire avec rien, d’utiliser ses talents et ses capacités à faire quelque chose à partir de rien qui est primordiale. Toujours se surpasser et même quelques fois pour régler des conflits entre les boss des gangs ou groupes rivaux, tout ceci demande de changer une énergie négative en une énergie positive, par le biais de l’art ou de la performance. De fil en aiguille, toutes ces disciplines nouvelles ont pris le chemin de la compétition et ont développé une économie. Vouloir être le vainqueur aujourd’hui est perçu comme un indicateur de talent, mais seul le temps défini qui est un artiste, ça ne vient pas d’un classement. De ce que l’expérience m’a appris, il n’existe pas de « meilleur artiste », mais simplement des créateurs qui ont laissé un impact dans leur génération et ont traversé les âges : Michael Jordan, Michael Jackson, Daniel Balavoine, les Nicholas Brothers ou Fela par exemple.
Je constate que toutes les disciplines du Hip Hop se sont séparées et qu’elles ne sont plus soudées comme au début. J’aurais voulu avoir ton avis là-dessus ?
Tout ce qui est relatif à l’évolution du système c’est surtout dû aux graffeurs et aux rappeurs, car ce sont les premières disciplines qui se sont professionnalisées et qui ont signé des gros contrats. Quand le rappeur d’une famille, d’un groupe ou d’un crew a signé, souvent il délaisse les autres et le groupe se disloque. Voilà les conséquences quand on prend le risque de laisser un système infiltrer une culture. Il n’y a pas vraiment de fautifs, puisque qu’on est tous responsables de ce que nous faisons. À chacun et à chacune de se rappeler que nous avons des responsabilités multiples face aux décisions que l’on prend et qu’il ne faut pas oublier l’impact que peuvent avoir nos choix, qu’il soient économiques, sociaux ou culturels. Pour comprendre ça, il faut être bien entouré. Mais comme la culture Hip Hop ne cesse d’évoluer, qu’elle se réinvente sans cesse, je n’ai absolument pas peur et je suis hyper optimiste quant à l’avenir de la culture Hip Hop.
Un mot de la fin ?
« M2’E c’est Splifff Splarrr… »
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