Prince Fellaga cultive une musique exigeante où l’écriture et le rap ont repris leurs droits. Musicalement, il a su créer un univers singulier qui s’étoffe à chaque projet, avec un slow flow distinctif et une écriture à la fois libre et ciselée, entre récits et réflexions métaphysiques. Son dernier LP Mystic Messengers témoigne de cette démarche avec des collaborations prestigieuses : Planet Asia, Kinetic 9 (Killarmy), Dany Dan, Faf Larage, Roi Heenok, Cassidy (X-Men)… Un projet dense et généreux, annonciateur de grandes choses.

Qu’est-ce qui t’a donné envie de prendre le micro ?
Par mimétisme. Mon grand frère avait un groupe de rap dans les années 90. J’ai commencé par la danse et la musique est arrivée naturellement. C’était l’époque où Jermaine Dupri produisait Kriss Kross. J’étais gamin, un peu plus jeune qu’eux, j’avais neuf ou dix ans. Mon frère m’avait écrit huit mesures sur un morceau que j’interprétais en live lorsqu’il faisait des concerts. J’étais devenu une sorte de mascotte. Je me souviens de ma première scène comme si c’était hier : j’ai ressenti une énergie incroyable. À ce moment-là, j’ai été piqué. Ressentir l’euphorie du public, voir la foule en feu… Ça m’a donné envie d’écrire mes propres textes.
Tu es tombé directement dans le rap ?
Si mes souvenirs sont bons, j’ai d’abord écouté Michael Jackson, ce qui est assez classique, puis le rap est arrivé grâce à mon grand frère. Il ramenait à la maison des disques de Run DMC, Public Enemy, Rakim, Fu-Schnickens, Wu-Tang… En rap français, j’ai été bercé par MC Solaar, IAM, NTM, Timide & Sans Complexe…
Quels sont pour toi les morceaux classiques qui ne te quittent pas ?
En rap français, sans hésitation, X-Men avec J’attaque du mic et Retour aux pyramides. Ils ont apporté une nouvelle manière de faire swinguer la langue française. Encore aujourd’hui, ils sont une source d’inspiration. Prodigy de Mobb Deep, aussi bien en solo qu’avec le groupe, reste une référence. Keep It Thoro est un morceau qui m’a marqué. J’écoute également Capone-N-Noriega, Nas… J’ai une vraie affinité avec la scène de Queensbridge. Mais aussi Wu-Tang, les Dipset et Cam’ron.
Qu’est-ce qui t’a mobilisé dans le rap ?
L’aspect technique, l’esthétique de la langue, la musicalité du flow. Dans les années 90, chaque artiste avait son identité : Sages Po, La Cliqua, Time Bomb en France, Wu-Tang, DITC, De La Soul aux États-Unis… Personne ne sonnait pareil. Le Hip Hop a redéfini nos imaginaires. À l’autre bout du monde, des gars comme moi pouvaient s’identifier à cette culture.
Aujourd’hui, le rap est partout. Gain ou déperdition ?
Le Hip Hop existe depuis cinquante ans, c’est une évolution normale, mais pas forcément prévisible. Là d’où je viens, on passait pour des extraterrestres en écoutant du rap. Aujourd’hui encore, ce n’est pas forcément évident. Le rap reflète la société : si le niveau général baisse, cela impacte aussi son expression artistique. Il y a encore d’excellents artistes mais ce ne sont pas toujours eux qui sont mis en avant. L’uniformisation créée par les réseaux sociaux a aussi un impact. L’excellence est rare et précieuse.
Prince Fellaga – Mystic Prince Fellaga – Mystic
Tu as vécu longtemps à Marseille et collaboré avec des figures locales comme le Rat Luciano… Comment s’est faite cette connexion ?
J’ai vécu à Marseille sept ou huit ans, d’abord dans le quartier de La Plaine, puis à la Belle de Mai. Nous avions un studio avec des amis artistes. On croisait souvent le Rat Luciano et un jour, on l’a invité sur un projet, il a accepté. Nous avons aussi tourné un clip ensemble. Le Rat a cette capacité de te transporter, de créer des images fortes. C’était un honneur de l’avoir sur un morceau.
Mystic Messengers semble plus sombre que tes projets précédents. Pourquoi cette évolution ?
Je ne recherche pas la reconnaissance, ce qui me plaît le plus, c’est l’échange. Le live reste le moyen le plus direct de partager sa musique. Cette liberté me permet d’explorer, d’affiner mon exigence. Je suis peu connecté à ce qui se fait actuellement donc je limite les influences. Cette direction musicale s’est imposée d’elle-même. Sur le projet précédent, j’avais travaillé exclusivement avec Kheyzine. Pour Mystic Messengers, j’ai voulu impliquer encore plus Phil (mon saxophoniste) et mon DJ Double Tee. J’ai aussi introduit des instruments comme la batterie, tout en gardant un esprit sampling. Le sample est l’élément central du projet.
Pourquoi avoir appelé ton dernier projet Mystic ?
Je suis fasciné par la mystique, les démarches spirituelles, ce qui se joue dans l’invisible. Je suis intuitif. Dans un monde où la matière prime, j’ai besoin de me tourner vers la spiritualité. J’ai vécu des expériences qu’on pourrait qualifier de surnaturelles. La spiritualité m’aide à donner du sens à la vie, à la mort, aux signes que nous envoie le divin. Mes lectures sont essentiellement tournées vers ces thématiques : Rumi, Ibn Arabi, Shams Al Maarif…
Comment se sont faites les collaborations de Mystic Messengers avec des rappeurs français et américains ?
Des rencontres, du réseau, du culot et beaucoup de détermination. J’ai voulu inviter des artistes qui me touchent et qui ont des choses à raconter. Mystic Messengers est comme une ligue de MC légendaires. L’art est paradoxal : à la fois intime et universel. J’écris en solo mais j’aime le côté collaboratif de la musique. Chaque invité a apporté une couleur particulière au projet.
On parle d’un nouvel âge d’or du rap français. Es-tu d’accord ?
Je vis un peu dans ma bulle donc difficile de juger. Le rap s’est démocratisé, ce qui a ses avantages et ses inconvénients. Il a gagné en visibilité, en acceptation, mais s’est aussi dilué. Chaque époque a ses contraintes, son positif et son négatif. Les rappeurs qui m’ont donné envie d’écrire ? Sans aucun doute IAM, la Fonky Family, X-Men…
Qu’est-ce qui te motive à écrire ?
L’amour des mots. J’aime jouer avec la sémantique, explorer l’étymologie. L’écriture est une thérapie, un exutoire. Il y a un aspect intuitif, mystique, quelque chose qui me dépasse. C’est un besoin, un processus quasi automatique. Ce sont les mots et les schémas de rimes qui dictent l’avancée d’un texte.
Interview réalisée par Amine Bouziane
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