Royce 5'9 - The Allegory

Royce 5’9

The Allegory
Année : 2020
Format : Album 22 titres
Localisation : USA (Detroit)
Production : Royce, DJ Premier, Symbolyc One, Miki Cardolvillis
Featurings : Conway, Westside Gunn, Benny the Butcher, KXNG Crooked, Vince Staples, G Perico, Grafh, Cyhi da Prynce…

Royce 5’9 – anciennement Royce Da 5’9’’ – est l’élève studieux et brillant du rap par excellence, l’épitomé du MC. Il n’a jamais cessé de tirer le meilleur de son poste dans le Hip Hop, MC. En vrai passionné, il consacre sa vie à la maîtrise des arcanes du rap. Père de famille, MC talentueux et maintenant producteur, Royce 5’9 ne cesse d’ajouter des cordes à son arc à chaque sortie. Book Of Ryan, sorti en 2018, était un album très personnel et introspectif, comme en témoigne le magnifique Cocaïne, vibrant hommage à la relation qu’il entretient avec son père au travers de la vie et surtout l’addiction de ce dernier.

The Allegory en revanche est un album tourné vers l’extérieur, en particulier vers ses semblables, i.e. l’homme afro-américain. En référence à l’allégorie de la caverne de Platon, cet album s’écoute comme on lit un manuel pour comprendre le monde dans lequel l’auditeur évolue et les règles qui le régissent selon le MC de Detroit. Royce se place lui-même en garant de la réalité, à l’instar du philosophe. Il utilise sa plume pour nous éclairer le chemin en dehors de la cave. Ses recherches, aussi diverses que variées, l’amènent à remettre en question les codes normatifs constitutifs du vivre-ensemble. La pertinence de l’action de Trump, les dangers de la vaccination, l’état délétère des prisons étasuniennes dû à l’incarcération de masse, le conditionnement des corps noirs par l’héritage de l’esclavage et des lois Jim Crow [lois racistes promulguées dans les états du sud des USA en 1877, empêchant notamment les noirs de faire valoir leurs droits constitutionnels, ndlr], la gestion de l’argent, jusqu’au fonctionnement de l’industrie du disque ou encore du danger des addictions, tout passe dans l’usine à fabriquer des concepts nommée Royce 5’9.

« My brethren, I’m not a legend, I’m not a vet
Do not address me as second, I’m the best
You niggas always sleepin’, I’d rather stay woke
They say you are what you eat, but I never ate goat ! »
Royce 5’9 – I Don’t Age

Premier constat, The Allegory démontre à nouveau, si besoin était, la virtuosité et la maîtrise lyricale de la moitié de Bad Meets Evil. Son principal atout selon moi.
Hormis ses talents de lyriciste, il faut aussi souligner que Royce 5’9 a produit tous les morceaux de cet album. Son inspiration va des percussions africaines (Dope Man), aux prod. boom bap minimalistes (Pendulum, I Play Forever) en passant par des chansons aux accents d’hymne à la gloire de l’afro-américain (FUBU, Black Savage).

Rpyce 5’9 – Tricked (extrait de l’album The Allegory)

Cela dit, la carrière de Royce 5’9 en tant que producteur démarre seulement maintenant et cela s’entend. Il a tout récemment été crédité de la production de beats pour d’autres, notamment sur le dernier album d’Eminem. Cependant, il a une marge de progression. Peut-être est-ce dû à l’absence, somme toute relative, de Mr. Porter au beatmaking. Créer un beat reste une entreprise bien plus simple et aisée que produire un album et je m’en réjouis.
Malgré tout, on entend le perfectionnisme et la prise de risque dans les intrus et l’agencement des samples. Cette combinaison est une caractéristique particulière qu’on retrouve chez le MC depuis le début de sa carrière. Sa versatilité et sa technicité lui permettent aisément d’éclater n’importe quelle prod. sur laquelle il pose.

Le format de l’album est plutôt conventionnel, hors des schémas courts actuels. 1h08, 22 titres dont 5 interludes et de nombreuses collaborations (DJ Premier, les membres de Griselda, Eminem, KXNG Crooked, TI, etc). L’artiste a réalisé l’album librement et le fil conducteur du projet selon lui a émergé par hasard ou plutôt par entrainement et tâtonnement. Une approche très scientifique de la création finalement qui souligne habilement le thème de l’album : essai, erreur, correction, reproduction.

« Hoppin’ up out the Chevy, Pac, Biggie,
Machiavelli OG like Nas or Reggie,
culture like Ox in Belly
Vulgar like Akinyele, focus like Dr. Sebi
We did it your way, but now the culture is boppin’ to our Sinatra medley »
Royce 5’9 – Black Savage

Royce 5’9 – Upside Down (extrait de l’album The Allegory)

Comme indiqué plus haut, la prise de risque est omniprésente. À fortiori, au niveau des sujets évoqués. Le morceau Black Savage le montre brillamment. Black Savage est une charge politique promouvant la culture afro-américaine, mettant en lumière les talents, anciens comme nouveaux, qu’il estime. Pour info, cette chanson provient d’une commande de l’association Inspire Change, issue du partenariat de son MC favori, Jay-Z, avec la NFL, la ligue de football américain des États-Unis, dans le cadre du programme Songs Of The Season. Une initiative pro-black illustrant l’attachement de Royce à la défense et l’avènement des afro-américains.

Royce 5’9 – Black Savage (extrait de l’album The Allegory)

La pochette de The Allegory met par ailleurs en lumière l’attention que Royce porte aux symboles et aux détails. Sur le billet cramé dans le coin, le centre de l’Amérique est transféré à Détroit et les inscriptions sont détournées afin de souligner d’une part la main-mise de l’homme blanc sur le principal instrument du pouvoir, la monnaie, et d’autre part, l’inégalité inhérente aux rapports entre les puissants et les autres dont il se fait partie. « This note is known to divide and kill society » [Ce billet divise et tue notre société, ndlr] peut-on lire notamment sur le billet à l’effigie d’un Georges Washington stylisé.

L’album ne se veut pas qu’une diatribe contre le système. En effet, en bien des occasions, Royce invite également l’auditeur à la responsabilisation (Ms. Grace, Dope Man, Tricked), quand il n’est pas juste en train de flexer (I Don’t Age, Thou Shall) ou d’adresser un message d’espoir à la nouvelle génération (Rhinestone Doo Rag, Young World) ou encore de remettre les pendules à l’heure comme c’est le cas sur Overcomer dans lequel il s’adresse directement à Yelawolf via une invective on ne peut plus claire.

« In reaction to slithers from lizards mouth
Yelawolf this is your first and your last pass
I ain’t gon’ put it on blast, your punk ass know what this about
You think it’s ’bout being loud or tryna be hostile
‘Til you get found face down on the ground outside of Kid Rock house
Though you a vulture pundit, I hope you get sober from this
Men lie, women lie, so do numbers »
Royce 5’9 – Overcomer

Royce 5’9 – Overcomer (ft. Westside Gunn) (extrait de l’album The Allegory)

Finalement, The Allegory est un album très dense. Le défaut de ne pas avoir de ligne directrice est de se retrouver avec un patchwork un peu informe. À titre personnel, j’aime beaucoup car le manque de linéarité me rassure en tant qu’artiste. De plus, les interludes semblent venir aérer les différents blocs thématiques, à l’instar de Transe-Lucide de Disiz qui est un bel exemple d’utilisation des interludes dans ce but.
Seulement, on ne s’improvise pas philosophe, sociologue ou encore producteur du jour au lendemain, aussi brillant soit-on. L’opus regorge de gemmes musicales, lyricales et d’informations pertinentes. L’ironie est que Royce utilise un concept occidental pour décrire et dénoncer la condition de l’homme noir plutôt que de s’appuyer sur des philosophies afrocentrées. Comme quoi il est difficile de s’extirper de son environnement naturel et fatalement, à l’image de cette chronique, c’est un joyeux bordel. Jouissif tout de même.



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Chronique par Michel KDB