Jazzy Bazz
Memoria
Année : 2022
Format : album 17 titres
Localisation : France (Paris, 19e)
Production : Johnny Ola, Astronote, Monomite, Pibé, wavyvaye, Osha, Kezo, Loubenski, Rithier, Mad Rey, Cheval Blanc, Aaronson
Featurings : Nekfeu, Josman, Alpha Wann, Laylow, Edge, Rodbloc

Depuis son premier album Nuit sorti en septembre 2018, Jazzy Bazz ne cesse d’être productif, multipliant singles, maxis et autres. Début 2022, il livre son troisième album intitulé Memoria.

Le projet a commencé à faire parler de lui dès septembre 2021 avec les premiers extraits, la promotion continuant jusqu’à la sortie du très attendu album. Et en effet, il y a de quoi être impatient car Bazz n’a jamais déçu jusqu’ici, il a tracé son chemin et a su démontrer plusieurs choses. S’il a été révélé au grand public via Rap Contenders et le crew L’Entourage, c’est en solo qu’il s’est imposé. Il fait partie de cette génération de rappeurs avec des punchlines à la pelle, des histoires à raconter et des rimes intelligentes.

On peut lui reprocher d’être trop tourné vers la trap ou la drill dans cet album… oh, vraiment ? L’introduction est éloquente car elle est en effet dans ce style, sauf que c’est Jazzy donc dans la sonorité on le ressent.
Le premier titre baigne exactement dans cette ambiance, c’est déconcertant pour certains, d’autant plus que la structure est assez unique. Refrain/couplet/pont/refrain/outro. Ne parlons pas d’un album concept mais d’un album qui se démarque.

L’artiste est très attaché au « spleen » qui désigne un ennui, un dégout ou de la mélancolie, mais Bazz s’attache surtout à la temporalité. En effet, il est mélancolique quand il voit le temps défiler, il y fait référence avec :

« Le temps enlève le bonheur aux enfants pour en faire des adultes. »

Entrée réussie.

Le morceau marquant qui suit est Panorama avec Alpha Wann en feat. où l’ego trip est à l’honneur comme souvent avec ce dernier. Il laisse un couplet à son compère et tuent le refrain ensemble. Pour ce titre, il n’y a pas de sample, les producteurs Marty Santi & wavyvaye ont composé le beat eux-mêmes.

En parlant de connexion, l’autre qui fonctionne très bien, c’est celle avec le rappeur Josman, voilà ce qu’en disait Jazzy Bazz : « Josman, on discutait un peu depuis un moment, on s’est peut-être croisé une ou deux fois et moi, surtout, j’écoute sa musique depuis toujours donc j’avais beaucoup saigné une tape à lui qui s’appelle 000$ et j’avais suivi tout le reste. Je voulais faire un morceau avec lui parce que je trouve que c’est l’un des meilleurs. Donc je l’ai contacté, il m’a dit oui, et on a bossé ça bien. » (Jazzy Bazz – MouvRapClub de Janvier 2022)

Jazzy rappe donc les couplets de ce titre, Albiceleste (terme désignant un motif à rayures alternant blanc et bleu ciel et surnom de l’équipe de foot argentine) rappelant qu’il a de la famille originaire d’Argentine, ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’il y fait référence. Dans ce morceau Jos explique qu’il n’a plus vraiment confiance et préfère ne pas s’attacher car la descente aux enfers peut parfois être interminable.

L’album assez introspectif et éloquent sur le personnage, on y apprend qu’il doute de lui malgré son talent. Cela s’étend également à la nature des hommes en laquelle il n’a tout bonnement pas confiance. Il met en avant leurs défauts, leur volonté de dominer et de contrôler les autres mais aussi le capitalisme dans lequel il est également lui-même piégé. C’est l’ego trip sa thérapie, il peut s’évader ainsi, se créer un autre Moi, un autre univers et de cette façon dissimuler son insécurité et mettre en avant ses qualités.

Il m’est impossible de ne pas mentionner Élément 115 où sont réunis deux des meilleurs MC’s du moment et de leur génération. Jazzy Bazz et Nekfeu y partagent tous les couplets et placent moult références à leur ancien crew. C’est seulement leur deuxième collaboration en duo malgré tous les sons en commun. L’écriture est millimétrée, la production reste en retrait pour mettre les flows au premier plan. C’est un déferlement de punchlines et de jeux de mots tout au long du titre.
L’élément 115 du tableau périodique correspond au Moscovium dont le symbole chimique est Mc, pas un hasard donc. L’utilisation de cet élément radioactif (donc instable) comme titre, nous fait comprendre que le rappeur est lui-même sur le fil dans sa vie de tous les jours sans qu’on ne sache, par l’utilisation de métaphores, de quelle instabilité précisément il parle : économique, musicale, sentimentale, psychologique. Le morceau est en tout cas une réussite.

Les croyances les plus fortes du rappeur concernent Dieu au point qu’il y consacre carrément l’excellent titre D.ieu. L’éternel ego trip est de la partie mais c’est tellement bien écrit qu’on en redemande.
L’autre passion qu’il a, c’est sa ville, Paris, lui qui est issu du XIXe arrondissement. Après le très réussi P-Town, il en remet une couche avec ce qui est pour moi la claque de l’album P-Town Blues. Il kicke comme souvent, sur un piano mélancolique et un beat trap, le parfait résumé du personnage. On sent vraiment le spleen de l’artiste qui en place une pour tous les rappeurs qui ne lui arrivent pas à la cheville. C’est presque un tout droit, pas de refrain. Ce n’est pas un hommage ni une critique à sa ville mais le blues d’un Parisien raconté à travers la musique.
Il laisse ensuite un peu de temps à l’auditeur avant de reprendre car il cale l’unique interlude de l’album juste après ce son.

Le disque se termine parfaitement avec .RAWLaylow est en featuring. À noter que le saxophone qu’on y entend est joué par le père de Jazzy, lui-même prof de musique. Et c’est ce qui en fait l’un des meilleurs morceaux de l’album. L’association d’une prod. trap et de la partie acoustique (ce solo de saxophone vient d’une autre planète !), c’est un régal. Véritable bombe, trop courte, à l’image d’autres sons du projet. Et c’est bien la seule chose qu’on peut lui reprocher, si on cherchait un défaut réel à l’album.

Ce dernier se conclut sur Destinée qui est dans l’esprit du morceau précédent avec cette superbe prod. d’Astronote, très jazzy et moderne à la fois. On peut aussi y voir une évolution dans l’instrumental, du début jusqu’au moment où il dit « On doit passer à une nouvelle étape ». Le break permet d’amorcer la transition qui reste minime mais le beat semble plus riche et plus rapide. Tout ça marque bien le pas en avant, la maturité et l’expérience acquise par le rappeur jusqu’à aujourd’hui.

L’album constitue une véritable réussite, tant pour l’artiste que pour le paysage rap français en général. Les pistes ne frôlent pas toutes l’excellence mais elles sont très bonnes en général. Certaines atteignent un palier, dépasse le cap aidées en cela par des productions de grande qualité, dans la continuité de l’évolution du MC, par un affinement de son écriture, une déferlante de punchlines, un subtil mélange d’ego trip et de constats de société. Jazzy Bazz arrive également à évoquer sa vie, ses sentiments et ses problèmes sans être répétitif ou égocentrique.

Il est dur de passer à côté de ce projet tant il se démarque. Il n’est pas seulement constant mais plutôt dans une ligne ascendante et c’est à souligner. Jazzy Bazz reste un artiste indépendant qui construit son réseau et ses affinités pour livrer ce qu’il peut faire de mieux. À aucun moment il n’est mis en danger par les prestigieux invités présents sur le disque, il leur tient la dragée haute sans sourciller.
N’ayons pas peur des mots, l’album est un pur bijou.

Chronique écrite par Fathis


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