Adolescent, David aka Soner découvre la culture Hip Hop qui vient de voir le jour. Il expérimente alors les différentes disciplines de cette culture, tel le breakdance ou le rap, mais c’est finalement dans le graffiti qu’il trouve sa véritable vocation. Depuis Soner, artiste à plein temps, peint avec son temps : la délicatesse de ses œuvres, la précision de son trait ainsi que ses choix de couleurs témoignent de sa grande expérience du graffiti. Débordant de créativité aussi dans un cadre professionnel, Soner met son talent au service d’entreprises en quête d’une identité visuelle forte et originale. Entretien avec cet artiste sans concession mais pas réfractaire aux évolutions de son art.

  

Bonjour Soner, peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je m’appelle David, j’ai 47 ans, originaire du Grand-Est (Metz), travaillant à Luxembourg depuis 21 ans et y vivant depuis une dizaine d’années.

Ton pseudo signifie quelque chose de particulier ?
SONER est mon nom issu du graffiti writing. J’ai eu plusieurs pseudonymes au début des années 90 pour m’arrêter sur celui-ci et ce pour plusieurs raisons. J’aime comme il sonne, les lettres sont intéressantes à travailler et un ami parti bien trop tôt (R.I.P. SHER) m’a suggéré d’ajouter une lettre pour arriver à SONER. Après 17 années passées dans le salariat avec notamment une grosse expérience en agence de communication en tant que graphic-designer, j’ai osé franchir le pas de l’indépendance en 2014 et depuis je suis donc artiste à temps plein.

Comment s’est faite ta rencontre avec la culture Hip Hop ?
J’ai rencontré la culture Hip Hop pendant l’année scolaire 1983-1984, à l’époque de l’émission de Sidney sur TF1. J’étais en CM2, il y avait des grands qui s’entraînaient au breakdance dans une salle juste devant la sortie de l’école et ils avaient déjà un sacré niveau ! Je me souviens aussi de la claque prise quand j’ai vu les Break Machine avec leurs deux morceaux : Street Dance et Break Dance Party. J’ai tanné mes parents pour avoir l’album en cassette.
Je me souviens aussi du clip de FreeezIOU qui intégrait des jeunes en BMX et des danseurs à gants blancs, ghettoblaster au sol, des souvenirs forts qui ont influencé ma vie… Je me suis donc essayé au breakdance à ce moment-là, c’était LE truc, on en voyait partout ! L’esthétique graffiti était présente mais c’était la danse avant tout, c’était tellement fou de voir des mecs tourner sur le dos, sur la tête et faire le robot !

« L’esprit Hip Hop en tant que tel existe toujours dans la tête de ceux qui l’ont vécu, chez les vieux, mais il faut se rendre à l’évidence, tout va tellement vite. »

Et ta rencontre avec le graffiti ?
Je me suis mis à dessiner des lettres plus tard, au moment où j’étais à fond dans le skate. Le rap français a commencé à avoir une couverture médiatique et le graffiti à ce moment en était encore indissociable. Il suffisait de voir les pochettes de la compilation Rapattitude ou le premier maxi des NTM. Dans mon coin, il n’y avait personne ou presque qui en faisait, juste quelques tagueurs plus ou moins en même temps mais pas vraiment quelqu’un qui avait une démarche de faire de la fresque ou du wildstyle. Je m’y suis mis lorsque j’ai eu quelques bombes qui me sont arrivées dans les mains après m’être entrainé longtemps à dessiner sur papier.

david soner t-rexmagazine
Soner

À l’époque, qu’est-ce que le Hip Hop représentait pour toi ? Comment vivais-tu cette culture ?
À cette époque, en 1984, autant ça m’a marqué mais autant je l’ai vécu comme une mode car après l’arrêt de l’émission de Sidney, le phénomène a disparu de ma vue, et puis je n’étais qu’un gamin de 10 ans, ceci explique cela. J’ai enchaîné sur le BMX et le skate. Puis c’est revenu pour de bon en 1990, avec l’arrivée du rap français en major, le phénomène tag/graffiti, la danse (hype et new style en plus du break et des danses debout). Et là je vois que cela n’a pas disparu, le mouvement a grandi, mûri ! Mais à partir de 90, je peux dire que je n’ai vécu que pour ça, totalement piqué, investi, motivé. Je passais mon temps à scruter les bacs de la Fnac, je dessinais plus que j’écoutais en classe, je me faisais mes propres fringues (peinture sur textile, carte d’Afrique faite maison autour du cou).  Et je me coupais les cheveux moi-même pour avoir une hi-top de « blanc » à la Kool Shen ou AKH, un vrai lifestyle !

L’« esprit Hip Hop » existe toujours aujourd’hui tu crois ?
L’esprit Hip Hop en tant que tel existe toujours dans la tête de ceux qui l’ont vécu, chez les « vieux », mais il faut se rendre à l’évidence, tout va tellement vite. Les hip hop heads sont has-been pour les jeunes de 20 ans. Si je peux faire un parallèle avec la génération de nos parents, nous les trouvions has-been quand ils nous parlaient du phénomène yéyé, c’est un peu pareil. Les disciplines se sont séparées et chacune vit sa vie avec plus ou moins de succès et d’avancées. Entre temps, il y a eu la professionnalisation et dans un sens, tant mieux ! C’est une belle évolution pour cet épiphénomène jadis sous-estimé voire raillé par le grand public. La culture Hip Hop comme nous l’avons reçue a eu ses heures de gloire, a touché massivement mais je pense qu’aujourd’hui c’est derrière, cela a muté. Bien sûr il y aura toujours des irréductibles nostalgiques, mais c’est incomparable avec les années 80-2000.

Est-ce que tu étais déjà attiré par le dessin ou la calligraphie avant de découvrir le graffiti ?
Oui j’ai toujours dessiné, depuis l’école maternelle, une vraie passion qui m’a suivie toute ma vie. Le dessin c’était vraiment mon truc ! Mon attrait pour la calligraphie et la typographie sont venus au moment où je décortiquais chaque wildstyle dans les livres et les magazines, peut-être essayais-je de comprendre les lettres dans leurs structures et leurs formes de la manière la plus large possible.

Tu te souviens de ton premier tag ou graffiti ?
Je me souviens de mon premier graff illégal fait avec mon pote Nesh, « Ceci n’est pas un crime ». Je ne savais même pas comment m’y prendre, tout a été fait à l’envers, techniquement parlant, mais cela a fonctionné ! Un peu insensée cette démarche quand j’y repense : peindre de nuit à 30 mètres de chez mes parents, tout le monde savait que j’en était l’auteur bien sûr ! Mes premiers tags c’était sur la ville de Metz, à ce moment-là je l’arpentais en skate de long en large.

Quels sont les graffiti-artists qui t’ont particulièrement inspiré à tes débuts ? As-tu d’autres inspirations que le graffiti ?
Indiscutablement Mode2 pour ses personnages, son style et même ses lettres ! Colt (le classique Publik Enemy ), Bando, Jay, Lokiss et son style déjà futuriste dans les années 80, le lettrage du film Wild Style. Mon livre de chevet était Paris Tonkar. J’ai eu Subway Art et Spraycan Art plus tard. L’école parisienne en général m’a beaucoup attiré : les PCP, les MAC, les BBC…
Aujourd’hui, je suis plus ouvert à d’autres choses comme le design graphique, certains illustrateurs contemporains, certains artistes issus du graffiti qui ont su trouver leur propre langage personnel comme Mad C, Does, Mist, etc. Enfin, tant qu’il y a une touche, une originalité reconnaissable ça peut me parler. Je ne me sens plus trop touché par des gens qui font des wildstyle comme dans les 80s/90s, j’en ai tellement mangé pendant toutes les années 90 et début 2000.

J’ai pu lire que tu avais testé toutes les disciplines du Hip Hop, comment le graffiti s’est démarqué ?
Sans hésitation parce que j’aimais le dessin à la base et parce qu’il n’y avait personne à Metz qui en faisait. Il y avait trop de niveau en danse, j’étais mauvais, et le rap, je n’en parle même pas, la honte ! L’esthétique graffiti était totalement novatrice, inédite, l’outil a un côté attirant, cela a contribué à mon envie de pratiquer. J’ai commencé à vraiment me prêter au jeu de la recherche de style, triturer les lettres pour leur donner de la puissance, du rythme et ce toujours dans un souci extrême de propreté. Je voulais montrer de quoi on était capable avec des bombes de peinture. 

À l’époque quels étaient tes lieux de prédilection pour taguer/graffer ? Et tes thèmes préférés ?
Il y avait tout à faire chez nous. Nous étions une poignée, la ville était une feuille blanche. Rien à voir avec Paris qui avait déjà pris des années de tags et de graffitis en tous genres dans la tronche de façon massive.
La ville, les squats et les voies ferrées pour ma part étaient mes terrains de jeu mais tout ceci avec une certaine timidité quand je vois l’audace des générations suivantes. Et dès mes débuts des plans autorisés sont arrivés, j’ai ainsi eu assez rapidement accès à une certaine reconnaissance hors « street ».
Quant aux thèmes, pendant longtemps je faisais la promotion du Hip Hop et pendant (trop) longtemps c’était axé sur le nom, bien sûr.

Soner - Writing
© Soner – Writing

Comment as-tu évolué au fil des années et t’es fait connaître ? Tu pratiques toujours le graffiti vandale ?
Je suis un insatiable insatisfait. Je veux toujours mieux faire, c’est compliqué ! Mais le fait d’être comme ça m’a permis d’évoluer, de tester plein de choses, de toucher à tout.
J’ai mis tellement de temps pour me trouver. Je me suis tellement éparpillé des années durant, partagé entre ma passion, ma vie amoureuse, mon métier de graphiste, qui était aussi passionnant, et en parallèle je me prenais toujours la tête sur ma démarche, où j’en suis, comment faire évoluer mon travail personnel, comment trouver ce langage au fond de moi qui me correspondrait au maximum. C’est ce qu’il y a de plus difficile pour une personne comme moi qui est beaucoup dans la retenue et la réflexion.
Étant de nature plutôt sociable, j’ai arpenté la plupart des soirées, des concerts, des événements Hip Hop de la région, j’étais vraiment partout ! Je me sentais comme investi d’une mission : « promotionner », faire connaître la culture Hip Hop et être en relation avec tous les acteurs de celle-ci. Les demandes de créations de logos, de covers de mixtapes et d’albums tombaient déjà dans les années 90. Tout ceci m’a permis de me faire connaître dans la région par le biais de la culture, du graffiti et du design graphique.
Concernant le vandale, je n’en fais plus. À l’aube de la cinquantaine, y’aurait comme un problème je pense.

Longtemps le graffiti a été décrié et méprisé car vu comme un acte de vandalisme ou tout du moins illégal dans de nombreux pays, maintenant il est célébré partout, es-tu satisfait de ce qu’il est devenu ?
Oui, j’en suis plutôt satisfait, j’ai toujours travaillé en ce sens. C’est quand même terrible de voir toutes ces commandes, ces festivals dans toutes les grandes villes, etc. cela fait partie du décor aujourd’hui. Nous sommes sollicités et rémunérés (la plus grande marque de respect quand même) pour faire ce que l’on aime, il faudrait être de mauvaise foi pour dire que c’est nul.
Et je me réjouis tout autant de voir que le graffiti vandale perdure aussi, qu’il y a toujours une relève. J’ai toujours ce réflexe de scruter les vandales.

Qu’est-ce qui te motive le plus dans cet art ? À la différence du dessin plus « classique » par exemple ?
Le dépassement de soi je dirais, même si dans n’importe quelle activité artistique c’est présent. Ici il fallait en plus lutter pour dépasser les préjugés, se faire accepter et respecter. Il y avait aussi ce côté compétition, lutte d’égo propre à ce milieu, toute une histoire !
Peindre de grandes surfaces avec toute cette gestuelle, voir le résultat final, c’est kiffant. Rencontrer des gens et échanger avec les passants, les habitants…
Aujourd’hui, ce qui me motive, c’est le plaisir de créer avant tout, de m’auto-surprendre, essayer de toujours faire mieux. Rien n’est figé.

« Je ne suis pas un adepte du c’était mieux avant. L’instant présent est bien mieux ! »

Qu’est-ce que graffer signifie pour toi après toutes ces années d’expérience ?
C’est tellement en moi, 30 ans que je peins avec une bombe à la main sur des murs, la question ne se pose même plus. Mais aujourd’hui, l’appellation de « graffeur » ne correspond plus vraiment à ce que je fais, à la vie que je mène. Je viens du graffiti certes, c’est en moi, dans mon ADN. Mais je suis plus multi-casquettes, affranchi des étiquettes, un maillon de plus dans l’industrie créative. C’est devenu mon métier, ce dont j’ai toujours rêvé. Quelle revanche sur ma période scolaire pas vraiment reluisante !

Qu’arrives-tu à transmettre de plus dans cette pratique par rapport aux autres disciplines Hip Hop que tu as pratiqué ?
Aujourd’hui j’espère transmettre des émotions, des messages, allier le fond et la forme, la technique et le style aidant. Chaque année je reçois des stagiaires, des élèves qui sont en école de graphisme pour la plupart et à qui je transmet un peu de cette culture, de ce savoir-faire en plus du graphisme. Et une bonne partie de mon activité repose aussi sur les ateliers avec différents publics (employés, enfants, jeunes…), la transmission est donc toujours présente.

En parlant d’activités artistiques, que penses-tu de la séparation des différentes disciplines du Hip Hop ? Certains graffeurs célèbres ne se revendiquent plus du Mouvement Hip Hop, pourquoi cet éloignement à ton avis ?
Les disciplines se sont séparées pour vivre leur vie, elles se sont émancipées, se sont professionnalisées. Cela fait déjà bien longtemps que le terme Hip Hop ne fait plus partie du vocabulaire des graffeurs, danseurs et rappeurs. Il faut aussi rappeler qu’elles existaient chacune séparément avant 1973 qui est la date « officielle » de la naissance du Hip Hop. Le rap a évolué comme jamais, il est devenu la musique la plus écoutée par les jeunes, ça aussi j’en rêvais à l’époque, on y est et c’est mortel ! Je ne suis pas un adepte du « c’était mieux avant »., l’instant présent est bien mieux ! Mais tout ceci ne nous appartient pas, ça fait son chemin.
Quand tu vieillis, que tu mûris, tu te rends compte quand même qu’il y avait un côté hyper naïf dans le Hip Hop et la Zulu Nation. Il faut toujours se remettre dans le contexte, nous étions des enfants, au mieux des ados, ou de très jeunes adultes quand toutes ces disciplines sont arrivées en France. 40 ans après on ne peut pas rester bloqué sur cette époque, on serait dans une caricature et c’est contre-productif.

 Soner - Cherifa
© Soner – Cherifa

Est-ce que tu t’intéresses toujours aux autres disciplines tels que le rap, la danse ou le DJing ? Si oui quels artistes aimes-tu ?
J’essaye de suivre l’actualité rap (FR, UK et US) et je suis toujours comme un enfant quand je vois des danseurs et le niveau incroyable aujourd’hui. Mes derniers coups de cœur musicaux se portent sur le dernier Orelsan, SCH, Sam’s, Dinos, Benjamin Epps, Laylow,… Je suis toujours les sorties du label d’Oddisee (Mello Music Group), le dernier Kanye je surkiffe, Dave East, Nas, le dernier Little Simz est dingue ! Niveau DJing je suis complètement largué par contre.

Aujourd’hui chaque ville de France « veut » son festival de graffiti, les œuvres sont protégées au lieu d’être effacées. Que penses-tu de cet engouement actuel pour le graffiti ?
Je suis pour ! Même s’il y a encore du travail pour que l’on soit mis au même niveau que l’art contemporain, en tout cas, ça en prend le chemin, il ne faut pas que ça s’arrête.

Est-ce que tu participes à des festivals de graffiti ? Quel est ce lui que tu apprécies le plus ?
Oui, les derniers en date cette année étaient le festival Constellations de Metz et le Kufa Urban Art de Esch/Alzette (au Luxembourg). Ce ne sont pas des festivals de graffiti writing mais d’art urbain avec certains artistes issus de la culture du writing, l’évolution ici aussi en somme. 

Depuis quelques années il y a des tensions dans le milieu artistique à cause de la rivalité graffiti/street art ? Ton avis sur cette situation ? Et sur le street art en général ?
Je ne suis plus vraiment dans ces débats stériles. Déjà, par quel prisme abordons-nous cette question ? Le prisme de l’artistique ? De la démarche ? De la street credibility ? Ça c’est bien quand t’as 15/25 ans et que tu veux dominer, montrer tes pectoraux. Dès le plus jeune âge on est formaté à être dans la compétition, à écraser les autres, à être les meilleurs, etc. Et on reproduit encore ça avec le graffiti, on divise avec le phénomène street-art.  La vie n’est faite que de ça, c’est usant.  Il y a plein de manières différentes de voir les choses. Le graffiti writing est du street-art ! L’inverse ne peut pas en dire autant, c’est déjà bien non ?  Fût un temps où je me serais battu pour défendre bec et ongle le writing, et pourquoi au final ? Il y a souvent de la jalousie et de la frustration comme moteur des rancœurs.
Il faut accepter les nouvelles générations, les nouveautés. Les choses se font quoi qu’on dise et quoi qu’on en pense. La longévité, l’expérience, la sincérité, la cohérence feront le tri.
La tendance street-art a amené son lot d’opportunistes et son paquet d’aberrations.
Mais la médiatisation « streetartisée » a aussi permis de faire découvrir et de faire émerger de vrais talents qui apportent des choses intéressantes. Cela a aussi mis en lumière des gens issus de la culture du writing et a enrichi la création picturale en général. Le milieu de l’art, à la base, est plein de contradictions et d’arnaques en tous genres. Le marché de l’art est sale. Pourquoi cela serait différent avec une aile de ce marché ?

Aujourd’hui, quels sont les thèmes que tu préfères aborder et mettre en avant ? Est-ce que tu as une technique favorite ? 
Dans mon travail personnel j’essaie de faire passer des émotions, je donne une partie de moi, de mon vécu, et lorsqu’il y a des sujets qui me touchent, j’essaye de les traiter. En tous cas, plus le temps passe et plus j’abandonne l’obsession de l’esthétique à tout prix pour une vraie démarche réfléchie, l’envie de dire des choses prend de l’importance, j’ai envie d’ouvrir le dialogue avec le spectateur.
Quant à la technique, tout se mélange chez moi, la peinture, le numérique, le design graphique, l’illustration, le graffiti… Mes maquettes je les réalise essentiellement en mélangeant dessin fait main, Ipad et ordinateur, que je retranscris par la suite sur mur avec une bonne part d’improvisation sur place aussi.

Comment abordes-tu le graffiti sur d’autres supports ? Est-ce que le graffiti sur toile est toujours du graffiti selon toi ou faudrait-il lui trouver un autre nom ?
Je vais parler pour ma part, j’essaye de m’affranchir des étiquettes. Je me définis comme artiste peintre (issu de la culture graffiti). J’emploie toujours ces techniques combinées à d’autres mais la démarche est différente. Mes toiles ne sont pas du graffiti, c’est de la peinture contemporaine, tantôt dans l’abstraction, tantôt dans la figuration, suivant les humeurs, les inspirations, les attentes et les envies.

« Point Final » de David Soner - Photo  © Purple Monkey
« Point Final » de David Soner – Photo © Purple Monkey

Est-ce que c’est facile de rester actuel dans ton travail au sein de la culture Hip Hop contemporaine ?
J’ai cette chance d’être curieux de nature et me remets en question très souvent car je suis très exigeant avec moi-même. J’ai toujours été à l’affût des nouveautés, par exemple j’utilise illustrator et photoshop depuis 1997 et j’ai fait une exposition à base de mapping en 2019. J’ai certains amis très proches qui sont des tueurs à gage dans le digital et les nouvelles technologies, tout cela me tient à jour pour le moment; je fréquente aussi des gens plus jeunes, cela me permet d’évoluer, de ne pas être passéiste ou aigri. Même ma pratique du dessin a muté. Je n’utilise que très peu de feuilles, je ne fais quasiment plus de dessin traditionnel, toutes mes maquettes sont digitales. J’ai investi dans un Ipad Pro dès sa sortie parce que j’attendais un outil comme celui-ci depuis bien longtemps, c’est une vraie révolution !

Tu sembles avoir une prédilection pour le lettrage dans tes œuvres, jusqu’à l’abstraction parfois, tu t’inspires uniquement de la culture graffiti ou tu vas chercher plus loin ?
Je vais chercher bien plus loin : la peinture classique parfois, le design graphique, certains illustrateurs et typographes contemporains. Et si je veux faire un flashback, je vais voir un peu ce qui se fait encore dans le writing.

Tu fais aussi beaucoup de figuratif (portraits, animaux…) était-ce important pour toi de ne pas te cantonner au lettrage ?
Je m’ennuie vite, je ne me mets pas de limites, je m’efforce d’être juste cohérent et en phase avec moi-même. Toutes les années 90 j’étais un intégriste du wildstyle fait main (ce qui veut dire sans scotch, sans rouleaux…). J’ai tout essayé : le tag, le flop, les chromes, le wildstyle, la 3D, les B-boys, tout ! Autant j’étais paresseux à l’école mais depuis que je travaille dans mes passions, c’est tout le contraire, j’ai une obsession de bien faire, de faire mieux… ça demande du temps et des efforts constamment. Ces dernières années, j’ai reçu des demandes diverses et variées qui m’ont fait évoluer et m’ont redonné du plaisir à trouver de nouvelles choses ailleurs. C’était le cas avec cette série sur des animaux puissants et en voie de disparition.

© Soner - DaGorilla
© Soner – DaGorilla

Il y a à peu près 3 ans, las de voir comment l’Islam et les femmes qui portent un voile se font maltraiter sur les plateaux TV, l’envie de faire quelques portraits de celles-ci m’est venue, sur murs ou sur toiles. Et outre le fait d’en peindre et de les sublimer par ce geste, j’y ai ajouté un discours lorsque je partageais les photos sur les réseaux. Et j’étais agréablement surpris de voir comment les gens étaient bienveillants et réceptifs à ce message. Ça fait du bien de voir ça, on se rend compte qu’il y a une caste, une élite qui propage des saletés mais que le peuple malgré tout reste ouvert et humain.
En tous cas, derrière mon travail, j’essaie de rester fidèle à une certaine éthique, je ne ferai jamais la promotion de choses néfastes, par exemple j’ai refusé des propositions avec des marques d’alcool. Je ne ferai pas l’éloge de la dépravation et j’en ai fini avec le culte de l’égo, j’espère être guéri. 

© Soner - Lumineuse
© Soner – Lumineuse

En janvier 2021 tu as sorti un « sketchbook» intitulé Point Final, quel était ton objectif avec ce livre ? As-tu l’intention d’en faire d’autres ?
Ce livre porte bien son nom, Point Final. Avec lui, je tourne définitivement la page du lettrage, je n’éprouve plus vraiment de plaisir à faire ce genre d’exercice et là j’ai bouclé la boucle proprement. 
Lors du premier confinement tout était à l’arrêt. Aucunes demandes, plus de projets, nous observions médusés ce que l’on vivait sans n’y rien comprendre, noyés par les infos en roue libre, l’angoisse. Mon ami Skule a été hospitalisé au même moment et dans un élan de solidarité nous avons été beaucoup à lui envoyer des dessins. Cet événement était le déclencheur de la création de ce livre. Je me suis repris au jeu. J’ai enchaîné les dédicaces pour des proches et des moins proches qui m’en faisaient la demande. Les semaines défilaient et je me suis retrouvé avec une trentaine de dessins. Je ne voulais pas les laisser mourir dans l’anonymat. J’ai donc eu cette idée des mois après d’en faire un beau petit livre en édition limitée à 200 exemplaires.

La Boîte à M’Alice – Mercredi 3 Mars 2021 – Rencontre avec l’artiste David Soner à l’occasion de l’exposition « Mot pour mot » (MCL – Metz)

Selon toi, le graffiti « à la française » a-t-il quelque chose de particulier dans le monde du graffiti international ?
Dans les années 90 oui c’était le cas. Une vraie french touch. Aujourd’hui c’est plus compliqué pour faire ressortir quelque chose de bien identifiable, internet a fait son entrée et la mondialisation a eu lieu aussi dans cette culture. Si tu vas voir un peu sur Instagram, je mets au défi de regarder un wildstyle et d’en saisir la provenance, ou alors il faut être vraiment méga expert peut-être, moi ça me dépasse.

Quand as-tu compris que ta passion pour le graffiti deviendrait ton travail en tant que graphiste designer ?
Tout s’est emboité et s’est fait de manière naturelle. J’ai eu une opportunité de suivre une formation sur Xpress et Illustrator en 1997, une vraie révélation, moi qui étais destiné à travailler en usine. J’ai trouvé directement un stage qui a débouché sur une embauche à la sortie. Depuis, tout s’est enchaîné. J’ai eu pas mal d’expériences professionnelles en tant que designer graphique et en parallèle je n’ai jamais lâché la peinture et la culture Hip Hop. Au fil du temps, les deux médias se sont mélangés, mon travail de graphiste a enrichi ma peinture et vice-versa.
Aujourd’hui je touche à tout et mon expérience en agence m’a aidé à forger mes identités graphiques et ma communication. La vie est une école, je le vois comme ça. Tout est bon à prendre. J’ai ramé, ramé, ramé mais au final toutes ces années m’ont servi au niveau rigueur, professionnalisme, présentation, etc… sans parler de l’artistique.

Timelapse sur l’œuvre de David Soner à Plobsheim – 2017

Tu as créé deux sociétés, Pschhh ! et Caligrafizm, peux-tu nous en parler ? Est-ce que le graffiti est la principale source d’inspiration dans ton travail ?
Mon background dans le graffiti m’a emmené où je suis aujourd’hui. Le graffiti a boosté mon évolution dans le dessin. Mais le graffiti est une petite partie de mes inspirations pour mes divers travaux pour des clients.
Pour ce qui est de Caligrafizm, j’ai une spécialité dans l’identité de marque, tout ce qui est graphic design print. J’ai dû me mettre au web design en agence pendant quelques temps. En illustration, je m’adapte sur pas mal de choses et je suis même calligraphe pour certaines entreprises.
Quant à Pschhh ça touche à tout ce qui tourne autour de la peinture en spray. J’ai eu l’idée d’amener cette esthétique et ces techniques en entreprise, notamment par le biais de team buildings, de live paintings, où je peux faire participer les gens. Cette année par exemple, j’ai été amené à réaliser une œuvre improvisée en 45 minutes top chrono à La Philharmonie, un endroit prestigieux de Luxembourg et ce juste à côté d’un quartet qui jouait une partition. Un challenge mémorable, physique, sachant que le support mesurait 4 mètres de long sur 6 mètres de haut et que c’était filmé et diffusé sur différentes plateformes dans toute l’Europe.
Toutes ces expériences me permettent de répondre à plein de demandes différentes, je dois constamment trouver des solutions, toujours m’adapter.

© Soner - Agitation
© Soner – Agitation

Tu exerces aussi pour des entreprises à travers ton métier de designer, est-ce un moyen pour toi de faire entrer le graffiti dans des milieux plus fermés et conventionnels ? 
Oui bien sûr, j’essaye toujours de mettre en avant ce côté-là, qui est indissociable de mon travail. Depuis 7 ans, je suis témoin de l’essor des demandes d’entreprises qui désirent habiller leurs locaux de fresques, c’est incroyable ! Il y a du bancaire, des assurances, des grandes marques (automobiles, téléphonie…). Donc avec ou sans cette porte d’entrée, il y a quand même un climat favorable, une envie qui vient d’un public de plus en plus fervent d’art urbain, voire même de graffiti writing !

Considères-tu le graffiti de commande comme du « vrai » graffiti (reproche souvent émis par certains puristes) ?
En effet, le graffiti est un acte illégal, en extérieur. Là on parle de commandes, de business, de décoration, le terme graffiti ne s’y prête plus vraiment.  

Parmi tes œuvres, en as-tu une que tu préfères ? Et pourquoi ?
Incontestablement le mur que j’ai peint qui représente ma femme et ma fille sur une balançoire, je l’ai nommé Le Paradis. C’est ma première façade et mon œuvre la plus personnelle. De plus, j’y glisse un petit message derrière avec une touche spirituelle.

© Soner - Le Paradis
© Soner – Le Paradis

Quel est ton plus beau souvenir en tant que graffeur ?
Mon plus beau souvenir est à venir j’espère ! 

Comment imagines-tu l’avenir du graffiti dans 30 ans ? Et le tien en tant que graffeur ?
J’imagine le graffiti avec d’autres outils peut-être, il existera toujours, vu qu’il existe depuis que l’homme existe.
Quant à moi, j’espère être en vie et à la retraite avec des petits enfants sautant sur mes genoux !

Peux-tu nous dire un mot sur tes futurs projets ? 
Je n’ai pas vraiment de vue à long terme, c’est souvent dans l’urgence. Je ne force pas les choses.

Un dernier mot pour la fin ? une dédicace ?
Merci beaucoup T-Rex de m’avoir accordé ce moment de partage, longue vie à vous.

Le Top 4 - Graffiti de David Soner
Le Top 4 – Graffiti de David Soner

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Interview réalisée par Zoé Lebarbier