Pour bien soigner ses graffiti, il faut faire appel au docteur Wozer. Graffeur depuis l’âge de 13 ans, l’expert du tag met un point d’honneur à la précision du lettrage et à l’esthétisme de ses œuvres. Plongé dans la culture Hip Hop depuis son enfance, le docteur nous exprime sa passion pour cette discipline qu’il décrit comme l’art le plus brut de la rue. Entretien avec un chirurgien graffeur !
Tout d’abord, pourquoi ce pseudo « Docteur Wozer » ? Peux-tu nous raconter l’anecdote autour du choix de ce nom d’artiste ?
À mes débuts en 1998, j’ai changé 3 ou 4 fois de pseudo avant de prendre Wose vers 2002. Ensuite j’ai ajouté un R à la fin pour accentuer le son de mon blase. J’ai cherché des lettres, des enchaînements, le tag en oneline, les flops aussi, donc j’ai pris Wose. Inconsciemment, je pense que les W du graffeur Wire m’ont guidé dans le choix de mon nom d’artiste. « Docteur » c’est pour le côté méticuleux, cette volonté de toujours mettre du style, de soigner les lettres et le flow, en mode laboratoire.
Mais alors qui se cache derrière le Docteur Wozer ? Peux-tu nous dire qui tu es, d’où tu viens et où tu as grandi ?
Je suis né en août 1985, dans le Pas-de-Calais. J’ai grandi dans un quartier d’Etaples-sur-Mer, avec mes parents, mes deux frères et ma sœur. J’ai commencé le graffiti au collège, à la fin des années 90. Depuis 2004 j’organise des événements et des concerts dans la région. Les thèmes sont toujours en rapport avec la culture Hip Hop et le graffiti. Grâce aux ateliers et à la décoration, j’ai la chance de vivre du graff depuis quelques années. En 2013 avec Guilty et Zeko on a créé l’association à but non lucratif Rentre Dans l’Art, basée à Abbeville. Cela nous a permis de monter des projets Hip Hop comme Jam. Les activités sont nombreuses : graffiti, expositions, concerts, ateliers graff et rap. On retrouve aussi des beatmakers comme Tisslar, DJ Nyse « Raggae Dancehall, Rap », il y a également Chris pour les clips vidéo et les photos, et bien d’autres encore.
Tout le monde est d’accord pour dire que tu es vraiment hyper passionné ! Comment t’es-tu lancé ?
Je voulais suivre ce que mon frère faisait alors je passais beaucoup de temps à le surveiller quand il taguait, puis je me suis dit que j’allais m’y mettre aussi. Rapidement, je suis devenu ultra passionné, à tel point qu’au lieu d’aller faire la teuf avec mes potes, je préférais passer les nuits du weekend sur les voies ferrées. Ensuite 2, 3 amis se sont joints à moi. On passait 100% de notre temps à vivre pour le graffiti. J’ai commencé à taguer avec des poscas, du cirage à chaussure qu’on volait à la supérette (rires). J’ai pris du temps avant de maîtriser le lettrage car il me manquait les bases pour être à l’aise. À l’époque, la seule façon que j’avais d’entretenir mon lien avec la culture graff c’était les magazines. Je lisais Get Busy, Radikal, Graffbombz. Il y avait aussi les cassettes VHS comme Attentat à la bombe. Parfois, je parcourais plus de 100 km pour trouver des graffitis à Arras, Dunkerque ou même Lille. Pour obtenir des sprays, on devait prendre le train et faire 300 km aller-retour ! Autant te dire que l’intérieur du train prenait cher sur le retour (rires).
Dès le départ tu as montré ta détermination pour le graffiti. C’était quoi ton premier graff ? Comment cela s’est-il déroulé ?
J’étais mineur donc difficile de sortir où je voulais la nuit, mais j’ai eu la chance d’avoir des parents ouverts d’esprit; ils autorisaient mes missions le soir tant que je rentrais à une heure précise. Hip Hop family quoi (rires). Mon premier « vrai » graff, c’était un lettrage sur un train TER, pas loin de chez moi, un samedi soir. Le spot était tranquille, je me sentais prêt, le lettrage était vraiment pourri, moitié flop/wildstyle, mais le plus important c’était le kiff ressenti ! Adrénaline au max ! Et que dire du support… Il n’y avait pas mieux !
Tu es old school avec un esprit Hip Hop affirmé. Pourquoi avoir choisi le graff dans cette vaste culture ?
Je ne suis pas de la première génération de graffeurs en France. Il y a d’abord eu les pionniers dans les années 80, ceux que tout le monde connait : CTK, BBC, TCG, etc. Ensuite on retrouve les GT, TPK, MAC et bien d’autres. On va dire que j’appartiens à la troisième génération de graffeurs, celle de la fin des années 90. J’ai fait un peu de smurf, je rappais aussi avec des potes à l’époque. Depuis une dizaine d’années, je mixe avec le poto DJ Nyse. Je touche à pas mal de choses mais impossible de consacrer autant de temps à toutes les disciplines. Le graffiti est ancré en moi, c’est un mode de vie ! Bon après, il faut savoir prendre du recul et un peu de vacances (rires).
Tu as une large culture graffiti. Quels artistes t’ont particulièrement inspiré ?
Les incontournables comme Seen, Dondi. En ce qui concerne la scène européenne, il y a Diksa, Pro176, Wire, Kacao77. J’ai énormément de références. Tu en as qui te font des tags de fou, ou des throw-up, d’autres des purs lettrages. Certains styles sont complètement éloignés des miens, mais ils m’inspirent malgré tout.
Aujourd’hui si tu devais faire un top 5 de tes artistes préférés, quelle serait ta liste ?
Je n’aime pas vraiment l’idée de classement car il y a tellement d’artistes qui envoient du lourd. Chacun possède son style. Je pourrais te sortir 50 blases (rires) !
Diksa, Nomad, Jeroo, Ewok, Func8 : je tiens à dire que je les aime tous et que l’ordre n’est pas un réel classement (rires). Et en bonus je rajoute Aroe et Kacao77.
Tu nous parlais tout à l’heure de l’importance du flow à tes yeux. Existe-t-il un style « Dr Wozer » ? Comment tu te définis en tant qu’artiste ?
Comme tous les graffeurs, j’ai développé ma propre patte artistique avec le temps. On a tous des influences, mais au fil des années, on évolue, on aiguise nos propres traits. Maintenant il y a ma sauce, avec la lettre semi-wildstyle, ou block-letters en passant par le flop et le tag. Je dirais que j’ai formé une école. Chez les jeunes que j’ai initiés au graffiti et qui ont continué, on retrouve mes bases de lettres. Bien que leur style évolue, il y a des traces qui restent. Comment je me définis ? Heu… (rires) Graffeur passionné par la culture Hip Hop, et amoureux de la lettre ! Ni plus ni moins !
Techniquement, pourquoi donnes-tu autant d’importance à la lettre ? Quelle place ont les couleurs et les personnages ?
Pour moi la lettre est essentielle car même si les couleurs sont nazes mais que la lettre est belle, c’est quand même bingo ! (rires). C’est comme dans le rap : il faut trouver son flow et jouer avec les lettres. Dans le graffiti, on est dans la même approche de dynamique des lettres et d’équilibre des phases. Après bien sûr avec des belles couleurs c’est encore mieux. Parfois la couleur peut cacher les imperfections, donc pour se remettre à niveau c’est bien de faire du chrome de temps en temps ! Je peins à l’instinct dans 90% des cas car je travaille rarement un croquis pour le refaire ensuite sur mur, préférant peindre selon l’humeur du jour. Mes lettres seront plus vénères ou pas ! C’est aussi un petit challenge de sortir un lettrage en freestyle sur le mur. Donc en ce qui concerne les personnages, leur présence à côté du lettrage dépend également de mon humeur.
On a évoqué les lettres, les couleurs, les personnages. Concernant les lieux et les supports, quelles sont tes préférences pour poser tes graffitis ?
En réalité peu importe, je pose souvent sur mur. L’avantage des trains c’est qu’ils roulent. Au-delà de ça, la peinture se pose toute seule quand l’ambiance est propice. C’est dans ces conditions que l’on fait du propre. Après, il y a bien-sûr des endroits que tu aimes moins que d’autres.
Tu graffes depuis tes 13 ans, tu en as aujourd’hui 35. En 22 ans, comment décrirais-tu ton parcours et ton évolution dans le monde du graffiti ?
Enrichissante humainement et culturellement, bien qu’il y ait aussi des gros abrutis comme dans toutes les disciplines (rires). Le graffiti et plus globalement le Hip Hop m’ont ouvert l’esprit. C’est un univers où je me sens bien. J’ai beaucoup voyagé grâce au graff, même dans des endroits où je n’aurais jamais pensé peindre ou exposer. J’ai rencontré des personnes qui m’ont permis d’évoluer artistiquement. J’en profite pour te big up Diksa ! Tu m’as fait découvrir tant de bons sons. Je me souviens des heures au téléphone à écouter les vinyles de MF Doom ou de Madlib (rires). Merci pour la culture du graffiti, t’es un tueur Diksa !
Le Hip Hop est omniprésent depuis des années dans ton quotidien. Comment vis-tu l’évolution du mouvement ? Qu’est-ce qu’être Hip Hop pour toi ?
Être Hip Hop… Je t’avoue que je ne sais pas si ça veut encore dire quelque chose aujourd’hui. Personnellement, je pense qu’être Hip Hop correspond à une attitude de B-boy. Quand tu as ce caractère, tu t’intéresses à toutes les facettes de cette culture. Cet esprit de découverte va t’emmener vers les origines de nos disciplines, comme le sampling par exemple. Tu vas aller jusqu’à découvrir des artistes des années 50 juste pour prendre une boucle. En fait tu t’ouvres l’esprit et tu t’enrichis.
Je pense également qu’il y a beaucoup d’opportunistes. Quand je regarde l’univers du rap, il y a tellement de bons rappeurs mais peu sont présents sur les ondes. Certains clowns tournent en boucle. Je ne généralise pas, il reste tout de même des bons MC’s, et heureusement certains jeunes savent encore rapper. Je ne vais pas faire le vieux aigri. Si la voie de la musique sort ces profiteurs de la misère, tant mieux, mais pour ceux qui se servent du rap sans vraiment rapper et avoir l’esprit Hip Hop, classez-vous dans la variété française et non dans le rap s’il vous plaît (rires). Même chose concernant certains « street artists » qui font de la daube, mais qui se collent une étiquette de graffeurs. On pourrait discuter des heures de ce sujet tant les exemples sont nombreux, mais il y a des choses plus importantes dans la vie !
On comprend que tu aimes avant tout la sincérité. À tes yeux, quelles sont les valeurs fondamentales du Hip Hop ?
Dans le Hip Hop, l’essentiel c’est de donner du kiff aux gens au travers de notre art. Après, le principe de base c’est le respect de l’autre.
Aujourd’hui le street art est très à la mode, peut-on inclure le Hip Hop et le graff dedans ou est-ce vraiment une pratique à part entière ?
Le graffiti est la discipline la plus brute dans l’art de rue. Le réel problème ce sont les personnes qui gèrent ce business et tout ce qu’elles vont inclure dedans. Je vais être cru, mais c’est mon avis et il n’engage que moi : le street art a tendance à servir de fourre-tout. Cela permet à des gens qui n’ont pas de vécu dans le graffiti de s’inventer une vie, de faire des trucs pourris puis de les vendre partout ! Ça arrive quand les personnes qui gèrent ce genre d’événements ne connaissent rien à la culture graffiti. C’est le cas dans certaines mairies, certaines galeries et j’en passe. Pour eux, seul l’argent a de l’importance et le reste ils s’en tapent royalement. C’est un peu pareil dans la société avec les élites. Certains élus ne savent même pas combien coûte une baguette ou un pain au chocolat. On a des présidents de la république qui n’ont jamais connu de galères, mais qui sortent des lois sur le dos du peuple en étant à côté de la plaque et totalement déconnectés du vrai quotidien…Mais bon, je fais du graffiti, j’évite de me prendre la tête avec le reste.
C’est vrai qu’initialement le graffiti se fait dans la rue, mais cela empêche-t-il qu’il ait sa place en galerie ?
Je ne suis pas contre les expos graff quand elles sont bien faites et bien gérées. L’essentiel c’est de ne pas baisser ton froc et de rester avec ta mentalité. Dans ce cas-là je ne vois pas le souci. Après tout, qui va refuser de vendre une toile et avoir de quoi manger ?
Selon toi, le graff est-il reconnu à sa juste valeur en tant qu’art ?
C’est secondaire pour moi. Que les gens kiffent ou pas, au final ça ne regarde qu’eux. L’art ça veut dire quoi ? Que tu as fait telle école, que tu peins tel style ? Moi je kiffe et c’est le principal. Quand tu vois qu’il suffit de chier, au sens propre, de la peinture sur une toile pour que ce soit de « l’art »… Je n’ai rien d’autre à ajouter (rires).
Il est parfois difficile de vivre de son art, pour le graff est-ce possible ?
Pour la plupart d’entre nous ce n’est pas facile, sauf pour ceux qui détiennent un monopole, mais c’est possible. Après c’est un choix de vie.
Quels sont tes projets pour le futur ?
Avec la crise sanitaire, la plupart des projets sont décalés, donc on en reparlera au moment voulu. Les 2 et 3 Août 2020, notre association Rentre dans l’Art organise la 6ème édition du jam graffiti à Abbeville, on espère que l’événement pourra être maintenu. Il devrait y avoir une cinquantaine de graffeurs sur plus de 300 m de mur !
Toutes les bonnes choses ont une fin malheureusement, notre interview est arrivée à son terme. Quel est ton mot de la fin ?
Merci à vous T-REX, merci à ceux qui font vivre ce mouvement avec passion, big up à mes crews et une grosse pensée à nos disparus ! AOA GANG LBN CLICK AOW BMK 138K !
Retrouvez Docteur Wozer et le AOA Crew sur Facebook et sur le facebook de l’association Rentre Dans L’Art.