Acteur de longue date du rap français, Ali a bâti sa carrière de rappeur avec trois albums, dont certains sont devenus des classiques pour beaucoup, il s’est ainsi imposé dans l’histoire du Hip Hop comme un des grands monuments du rap hexagonal.
Rencontre avec cet artiste qui fonctionne par coup de cœur et qui se définit comme un « Hip Hop Core ».
Bonjour Ali, on va partir du principe que tout le monde ne te connaît pas alors peux-tu te présenter et nous parler de ton parcours ?
Je m’appelle Yassine Sekkoumi alias Ali [ndlr : Ali signifie Africain Lié à l’Islam mais c’est aussi le prénom de son grand-père, ndlr].
Je suis membre du label Hip Hop indépendant 45 Scientific dont je suis artiste, coproducteur et cofondateur avec mon ami de longue date Géraldo.
Notre premier projet est le vinyle Civilisé, sorti en 1999. Le label a été officiel à partir de 2000 et nous a permis de faire, entre autre, l’album Mauvais Œil et depuis, mes projets Chaos & Harmonie, Le Rassemblement et Que la Paix Soit sur Vous, voilà une partie de mon parcours !
Peux-tu nous dire ce que représente la musique pour toi et quels liens tu as avec cette musique qu’est le rap ?
Cela représente énormément de choses. La première rencontre avec le rap était en 1986, j’avais 11 ans, aujourd’hui j’en ai 45, c’est un rapport qui perdure depuis 34 ans.
Une histoire d’amour donc ?
Une histoire d’amour oui, sur laquelle j’aimerais amener une précision. Je me considère « amoureux » en tant que « Hip Hop Core ». Être « amoureux » en tant que « Hip Hop Lova » peut concerner tout le monde, sans être forcément un acteur au sein du Mouvement, un Lova peut être un chef en restauration, un sportif, travailler à l’usine, à la banque… Être un « Hip Hop Head », c’est être un fervent participant, un activiste. Et être un « Hip Hop Core », c’est être au cœur du Hip Hop, faire partie de ceux qui sont le battement du Mouvement à travers les différentes disciplines, soit par leur assiduité, leur longévité, ou les deux à la fois, l’essentiel avec amour. Il y a des passionnés et des amoureux mais ce n’est pas pareil, la passion quand elle n’est pas domptée peut te posséder, te torturer, tandis que l’amour te porte, te fait perdurer, et te permet de t’épanouir. Donc c’est ça, une histoire d’amour en tant que « Hip Hop Core », depuis le noyau, le cœur, l’essence…
Te considères-tu comme un artiste Hip Hop ou juste comme un rappeur ?
Il va falloir bien distinguer les choses parce que de nos jours chacun défend sa perception, ce qui est normal. J’ai pris du recul à un moment par rapport à l’identité en elle-même parce que tout le monde se disait Hip Hop. En 34 ans tu vis les choses, tu observes autant que tu t’exprimes, tu vois qui vient et qui part. Il y a eu une période où beaucoup de gens se disaient Hip Hop, et j’ai vu des gens venir juste pour récupérer l’étiquette et qui n’avaient pas de fond, pas d’essence, pas de liens avec notre culture, j’ai pris un certain recul, et malgré le recul oui je suis artiste Hip Hop. Pour moi le rap et le Hip Hop vont de pair, quand on rappe et qu’on n’est pas Hip Hop, on perd en essence et on va vers autre chose. C’est comme être breakdancer et dire « je ne suis pas Hip Hop », ça n’a pas de sens.
Pour ma part, je reste centré sur l’essentiel, cet essentiel est que le Hip Hop, comme le blues, le jazz, le reggae, la soul ou le R&B, est un héritage que l’Homme Noir a pu amener à travers une souffrance et une réalité. Ce n’est pas juste une forme extérieure qui n’a pas de fond, pas d’origine, donc je suis un artiste Hip Hop de ce point de vue de l’héritage. Quand la forme est récupérée par le premier venu, je commence à me détacher de cette vision là. Hip Hop oui mais avec ceux qui vivent les choses de l’intérieur, qui comprennent, respectent et se battent pour le faire perdurer.
« J’ai toujours vécu le Hip Hop en tant que forme d’art, d’expression, et je trouve malhonnête ou maladroit de ne pas respecter l’origine afro-américaine de cette culture. On fait notre musique à notre façon tout en respectant l’origine. »
Que représentait le Hip Hop à tes débuts et que représente-t-il pour toi aujourd’hui ?
Pour ma part ça a été depuis le début un moyen d’expression sous toutes ses formes, et aussi de la performance et de l’excellence, que ce soit pour le graffiti, la danse ou le rap. Depuis mes premiers jets d’écriture jusqu’à aujourd’hui en 2020, ça n’a pas changé. Ça reste comme tout art, une forme d’expression.
Les différentes disciplines du Hip Hop que sont le DJing, la danse, le graff, le rap et le beatbox sont devenues autonomes, penses-tu qu’il pourrait encore y avoir des interactions entre les différentes disciplines ?
Pour ma part rien n’a changé mais ceux qui voient les choses d’un point de vue de la forme sans le fond peuvent voir les éléments comme séparés. Mais avec tous ceux qui sont là depuis la première heure, il n’y a que de la bienveillance et du respect entre nous, nous savons très bien les efforts qu’il faut fournir pour perdurer et les épreuves de vie par lesquelles il faut passer tout en continuant d’avancer. Être présent, malgré toutes les années passées, fait que l’on se comprend naturellement. Que ce soit avec des danseurs ou des graffeurs, on se respecte et on sait qu’on est ensemble.
Il est évident qu’aujourd’hui la technicité et la forme ont changé, il y a une sorte de métamorphose de ce que nous avons connu aux premières heures mais c’est normal, et heureusement, c’est une évolution technique. On n’a plus cette force fédératrice qu’on avait à un certain moment mais je pense et j’espère que ça reviendra, ça va être une question de temps et ça dépendra aussi des volontés et des moyens.
Continuer, transmettre ? Très bien, mais il ne faut pas que cela soit vide d’essence et de sens, le Hip Hop est une culture vivante. Pour beaucoup d’entre nous, nous sommes issus de la culture underground, elle doit rester telle quelle et ne doit plus être un tremplin pour des gens qui nous infiltrent juste pour pouvoir faire leur affaires. Nous qui sommes sur le terrain, nous nous devons d’extérioriser la chose de la plus belle des façons. J’aimerais voir le Hip Hop débarrassé de tous les « infiltrés », opportunistes et autres éléments qui ont parasité, au sens littéral du mot, le Mouvement.
L’art en lui-même doit être fort, fort et puissant. Je pense effectivement qu’il y a toujours des moments, des cycles, où les gens reviennent aux fondamentaux, et se rassemblent entre pratiquants des différentes disciplines. En tout cas j’espère et j’aspire au meilleur parce que le Hip Hop est une belle force d’expression. Avec le recul, que ce soit avec le graffiti, la danse, le rap, le beatboxing ou d’autres pratiques, il y a véritablement un bien-être, un bienfait qu’on peut ressentir et qui peut rejaillir et être partagé, c’est beau. Cette beauté-là, il faut la défendre.
Toute forme d’art peut produire du bien-être selon toi ?
Ça te permet de te sentir vivant, de partager. Certains vont être dans des fréquences de tristesse ou de mélancolie, ils vont transmettre cette tristesse ou cette mélancolie. Que ce soit la tristesse ou la joie, peu importe, l’art fait rejaillir ta couleur intérieure. Le graffiti est l’exemple même de l’expression de la couleur qui est en nous.
« Il y aura toujours une distinction entre les opportunistes et les amoureux de notre musique. »
Y a-t-il des disciplines du Hip Hop qui t’attirent ou des artistes que tu suis ou avec qui tu pourrais travailler ?
Toutes les disciplines me parlent. Tant qu’il y a de l’adresse et de l’émotion, ça me touche ! Concernant le MCing : Hifi, Karlito, Arsenik, Specta, Jaeyez, K-Reen, Keydj, Sir Doums, Ekoué, Le Bavar, Case Negre, Mic Pro, R.E.D.K, Tito Prince, Ron Brice et le 12’’, 3e Œil… entre autres, sont les MC’s avec qui j’ai posé ou avec qui j’ai des projets et il y a d’autres artistes avec lesquels nous sommes en discussions, nous apprenons à nous connaître pour voir si nous sommes sur la même longueur d’ondes.
Pour le beatmaking, j’œuvre essentiellement avec Géraldo, j’ai des projets avec Ouz One de Wave Clique. J’ai œuvré avec Hi-Fi, Big Leust du 7degrees, Junkaz Lou, MK-Zoo, Crown, Aayhasis et Astronote : la plupart ont participé à l’album Que La Paix Soit Sur Vous. J’ai aussi un projet avec Karlito (Mafia K’1 Fry) et Pone (FF). Au moment de cet interview, je suis focus sur mon prochain album dont les beats sont tous produits par Géraldo a.k.a. Generaldo.
Pour le DJing, j’ai œuvré avec DJ Ombre sur Mauvais Oeil, sur Chaos et Harmonie les scratches ont été posés par DJ Inov, quant à DJ Stresh il a posé ses scratches entre autres sur les titres Tsunami sur l’album Le Rassemblement, Dialogue et La Bonne Nouvelle sur l’album Que La Paix Soit Sur Vous.
Pour la danse j’apprécie Xavier et Karima et tout l’Aktuel Force (RIP Karim Barouche), Yugson du Wanted Posse, Bruce de Juste Debout, Walid du O Posse et B-Boy Junior. Dans un registre plus contemporain j’aime beaucoup l’art de Leïla Pasquier.
Pour le graffiti, Junky Spray (aussi nommé Junkaz Lou quand il est beatmaker) a fait des tableaux inspirés par des titres de Chaos et Harmonie. Je trouve que son lettrage c’est le futur, il est très loin, très en avance. On avait œuvré pour un projet en 2013 sur lequel il avait retranscrit des textes de Chaos & Harmonie.
Grand respect aux monuments Mode2 et Banga. J’ai participé à un événement à la Street Dream Gallery de Banga au marché Malik, l’état d’esprit du Hip Hop originel y est préservé.
Pour le beatbox, j’ai eu l’immense bonheur de performer avec Rahzel au Batofar.
Je connais beaucoup de monde, la liste est longue, ça prendrait trop de temps, alors sincèrement désolé pour ceux que je ne peux pas nommer. Grosse pensée à tous les B-boys et B-girls, quand tu aimes, le respect est là naturellement. Tellement nombreux, tellement de talents, chacun avec son histoire à raconter…
Quand on retire ceux qui pratiquent uniquement dans un but lucratif ou pour une reconnaissance purement égocentrique, il ne reste que l’amour véritable et la contribution. Chacun à sa perception et en ce qui me concerne, s’il n’y a pas d’amour, tu es une coquille vide. Peu importe le chemin que tu prends, l’amour c’est l’essence de toutes choses. S’il n’y a pas d’amour dans ce que tu entreprends, peu importe ton cheminement, ça ne va être que du vide, on en revient au noyau, au cœur, à l’essence…
Il y a quelque chose que j’ai appris : la bénédiction et les bienfaits naissent à partir de cette essence qu’est l’amour. Donc pour perdurer et ce qui te permet de tenir, ce n’est que cette énergie là. Le reste vient après. L’ego fait partie du rap. On a de superbe textes à travers Big L, Dany Dan ou Ron Brice sur la même lignée, et pourtant ils sont Hip Hop, le love est là avant même l’ego. Nous avons des entrepreneurs issus de notre culture comme Kenzy ou Géraldo, et tu sens que malgré l’entrepreneuriat, le love est présent.
Malgré le collectif, il ne faut pas oublier que nous sommes des individus et que l’on se doit de respecter les différents points de vues, la particularité de chacun. C’est ce qui donnera plus de richesse et de nuances aux disciplines.
Déjà à l’époque de Lunatic, que j’ai beaucoup écouté, je te percevais comme le côté lumineux du duo. Quand je regarde ton parcours, ça confirme que tu es plus lumière qu’ombre. Que peux tu nous dire à ce sujet ?
Je pense qu’on a tous une part d’ombre et de lumière en nous, j’essaie juste de laisser les ténèbres pour la lumière, ça aussi c’est Hip Hop : rendre le négatif positif.
Bien sûr, mais je trouve que même quand tu faisais un texte bien street, on pouvait percevoir de la philosophie et de la lumière dans tes paroles.
Ça, c’est l’héritage des années 80/90 comme chez les Poor Righteous Teachers, on peut être de la rue mais ramener de la lumière dedans. Qu’on le veuille ou pas, la rue a ses mauvais et ses bons côtés. On peut garder des parcelles d’espoir même dans les zones d’ombres. On vit quand même dans une époque où certains revendiquent ce côté ténébreux comme s’il s’agissait d’une réalité absolue. Tout le monde n’est pas porté vers l’amélioration ou la lumière. J’ai eu l’avantage d’avoir commencé très jeune et d’avoir eu de bons professeurs comme Marley Marl, Large Professor et des bijoux sont nés de cette école comme Intelligent Hoodlum. En tant qu’adolescent, il m’a fait un cadeau avec le fameux Street Life (Return of The Life). Il y a de la musicalité, de l’âme, du love (« Love is Life and Life is Love ») il y a de l’intelligence dans le texte, dans le clip : c’était ambiance vie de rue et pourtant le message c’était « Return Of The Life ». J’ai été aussi profondément touché et marqué par l’album de Smif-N-Wessun , le monumental Dah Shinin avec la puissante phrase « If I Shine U Shine » et aujourd’hui je suis heureux et reconnaissant qu’avec Tek & Steele une fraternité soit née, c’est puissant…
On a cette lumière en nous, il est bon de le rappeler malgré l’obscurité. Je n’aime pas la victimisation mais on ne vit pas dans une société simple à vivre, et le rap revendicatif a plus que jamais droit à la parole. C’est pour ça qu’il y a un côté sombre dans le rap qui met justement en lumière le côté sombre de la société de notre époque.
Comme j’ai pu hériter de cette lumière à travers des artistes comme Intelligent Hoodlum ou Smif-N-Wessun j’essaye à mon tour d’entretenir cette lumière et, comme je le répète souvent, cette lumière n’est que l’émanation d’un amour intense, que seul le cœur peut contenir.
Que penses-tu de l’influence du rap US en France ?
Il y a des gens qui sont dans l’héritage d’essence et de culture peu importe l’évolution, ils vont quand même faire perdurer l’essence. Je pense à des frères comme Ron Brice, il est vraiment dans l’héritage et j’espère qu’il fera partie à son tour des transmetteurs pour les prochaines générations. Heureusement qu’il y a des sœurs et des frères qui transmettent la culture même si l’on reste minoritaires, le faire est très important. La musique rap a été adaptée à la mentalité française, des gens sont venus maladroitement, sans respecter l’essence ou bien ils sont venus faire de la récupération et repartir aussi vite qu’ils sont venus. On est inondés de gens qui n’ont aucun respect pour la culture. Ils sont très prolifiques sur la quantité mais manquent de fond. Ça peut ne pas nous parler mais dans leur monde, ils sont sûr d’eux à 100 %. Il y a beaucoup de gens qui pratiquent du rap d’étiquettes. Nombreux sont ceux issus de cette tendance qui ne respectent pas la source. J’ai toujours vécu le Hip Hop comme une forme d’art et d’expression et je trouve que c’est malhonnête ou maladroit de ne pas respecter l’origine afro-américaine de cette culture. On fait cette musique à notre façon, en respectant l’origine. Je ne connais aucun pratiquant de kung-fu qui ne respecte pas l’origine chinoise de cet art, au contraire ils cherchent à approfondir, les maîtres vivants en France vont se perfectionner en Chine, pareil pour l’aïkido il est naturel de se référer au Japon, tout le monde trouve cela normal.
Que penses-tu justement des artistes capables de tourner le dos à ceux qui les ont poussés vers le haut ?
On a une notion d’héritage donc je n’oublierais jamais Moda même s’il a arrêté le rap. Moda restera un frère à vie. Je me rappelle, pendant mon enfance, qu’un de ses textes m’avait donné de la force et l’envie de me dépasser. On ne peut pas manquer de respect à ceux qui nous ont passé de la force à certains moments de nos vies, au contraire. C’est malheureux parce que l’on voit des gens, de loin, évoluer dans l’industrie et, longtemps après avoir été influencés, devenir donneurs de leçons par rapport à des aînés et des anciens, et même envers ceux qui les avaient inspirés plus jeunes. Heureusement qu’il reste de vrais B-girls et de vrais B-boys.
Concernant « aînés » et « anciens », j’aime distinguer les termes. Un ancien, c’est quelqu’un qui a arrêté le rap, c’est comme un ancien combattant. Un aîné lui est toujours actif. Et, pour continuer dans dans les distinctions, il y aura toujours une différence entre les opportunistes et les amoureux de notre musique.
En même temps ça ne doit pas être un problème parce qu’on doit continuer à fédérer en tant qu’acteurs du Mouvement, chacun à son rythme car les plus belles choses se font naturellement. On ne doit ni forcer ni rendre les choses trop cérébrales, parce que l’on risquerait de perdre énormément en essence. Par contre on a un devoir d’excellence dans chacune des disciplines. On ne doit pas se reposer sur nos lauriers et rester dans nos zones de confort, au contraire, les efforts, le surpassement, l’excellence mènent à la Grâce, et la Grâce ne peut provenir une fois de plus que du noyau, du cœur, elle est la plus belle expression de l’essence.
La voie de l’indépendance est-elle un choix ? Si tu pouvais, ferais-tu autrement ?
Il y a des chefs cuisiniers qui sont plus B-boys que certains rappeurs. Tu as des gens en maison de disques qui sont plus B-boys que des rappeurs qui se disent Hip Hop. Tu as des gens qui ont grandi dans le Hip Hop et qui ont peut-être rappé à un moment mais dont la situation est peut-être devenue insoutenable et ils se sont sentis peut-être plus utiles, plus efficaces dans un autre domaine. Même dans l’industrie il y a des gens qui sont vraiment Hip Hop.
Tu peux être dans l’industrie pour aider certaines personnes à faire un album plus Hip Hop que ce que l’industrie propose. Malheureusement comme c’est ficelé, ils n’auront pas une grande marge de manœuvre mais ils seront quand même là, ça ne leur enlèvera pas la passion ni l’amour de la culture.
Pour ma part, l’indépendance est importante. C’est une question de point de vue que je partage avec certains. Passé 40 ans, l’âge de raison, j’ai eu le temps d’avoir suffisamment de réflexions et de maturité par rapport au cheminement et ainsi me sentir heureux et satisfait d’avoir emprunté cette voie malgré les difficultés de parcours. Ça m’a permis de m’exprimer tel que je le ressentais pendant tout ce temps et ça n’a pas de prix, j’en suis infiniment reconnaissant. Rien n’est figé, personne ne sait de quoi demain sera fait et j’espère finir mes vieux jours comme quelqu’un qui a combattu en tant qu’indépendant. Certains s’épanouissent dans l’industrie, j’aimerais continuer de m’épanouir en tant qu’indépendant, c’est ma façon d’être, mon état d’esprit.
J’ai une vision concernant l’industrie et l’indépendance, ce sont deux univers totalement différents. Dans l’industrie, tu es dans une arène et les gens décident, pouce en bas ou pouce en haut, et tu meurs ou tu vis pour divertir le peuple. En indépendant, tu es sur un champ de bataille, ce n’est plus un jeu, c’est une question de vie ou de mort, non plus pour divertir mais pour une cause sérieuse. Donc pour durer autant, si ce n’est pas par amour, je ne sais pas ce qui peut te faire avancer autant… J’aspire profondément à l’indépendance et à l’interdépendance.
« Il y a eu une période où beaucoup de gens se sont dit Hip Hop et j’ai vu des gens venir juste pour récupérer l’étiquette et qui n’avaient pas de fond, pas d’essence, pas de liens avec notre culture, cela m’avait fait prendre un certain recul… Et malgré ce recul, oui je suis artiste Hip Hop. »
Pour revenir sur cette image de l’arène, j’ai l’impression que le public accueille souvent bien ce que l’industrie lui propose malgré un manque de qualité. Le public est-il devenu facile ?
Ce que l’industrie nous propose c’est de l’alimentaire industriel. On ne nous propose pas du pain riche en éléments nutritionnels mais de la baguette industrielle. Le chiffre avant l’essence. Les gens prennent souvent du temps à comprendre la profondeur du travail d’un artiste, et concernant l’art véritable, les gens se rendent comptent du talent de quelqu’un souvent après sa mort. Quand on vous donne quelque chose de compréhensible tout de suite, ça va plus vite. Je prends, je jette, on est en plein dedans. On est voué soit à disparaître, soit à être récupérés donc pour s’en sortir, il faut une vraie force, un véritable équilibre et de la patience. Il y a des enjeux de transmission et d’héritage. C’est quelque chose qui a pour ma part, une valeur profonde qui mérite d’être défendue.
Si tu devais faire écouter un titre de ta discographie, lequel tu choisirais ?
Rien ne me vient en tête.
Un beau message ou un morceau qui parle de toi alors ?
Je ne pense pas que ce serait un morceau qui parle de moi. Mais je dirais : Le Rassemblement dont il existe deux versions, l’originale de Géraldo et la version remix de Cris Prolific. Toutes les deux sont excellentes.
Paix aux Hommes, Femmes et Enfants balayés par le temps. / Dispersés là où l’horizon s’étend.
Si tu devais choisir entre Dr. Dre et DJ Premier pour produire un son sur ton prochain album, qui choisirais-tu ?
Sans hésitation, DJ Premier !!! J’ai saigné Step in the Arena. Ce que DJ Premier et Guru, paix à son âme, m’ont apporté, c’est incomparable. C’est le cœur qui parle !!!!!
Peux-tu nous donner le top 5 de tes rappeurs favoris ?
C’est un exercice que je me suis interdit de faire. C’est une question classique mais j’aime tellement le Hip Hop et le rap dans leur ensemble, et même en tant que rappeur je trouve ça injuste.
Il y a des gens qui sont des bijoux, des monuments d’écriture ou de kickage, de très bons techniciens, les mettre en dehors de ce top 5 serait injuste. En plus ça reste subjectif parce qu’on peux juger sur tout et rien, l’écriture, la technique, le storytelling. Pour moi faire un top 5, ce serait trahir des artistes que j’aime… Je n’ai pas de top 5, j’ai un top innombrable…
Comment imagines-tu le rap français dans 20 ou 30 ans ?
Vu que je ne suis pas dans le fictif, je ne vais pas l’imaginer. Je suis spirituel tout en étant terre à terre. Je vais plutôt évoquer mes souhaits, mes espérances.
J’aimerais que le rap soit débarrassé de toutes ses infiltrations, sous toutes ses formes, que ce soit intellectuelles, opportunistes, dans le sens positif de la chose, qu’il reprenne sa nature de forme d’expression tout en préservant le côté festif, cela s’appelle une homéostasie. Je souhaite que ça se passe naturellement, que les gens qui n’aiment pas la culture ou qui la prennent de haut s’en aillent d’eux-mêmes. Je ne vais pas dire aux gens de s’en aller, qu’il ne font pas partie de notre culture, ce n’est pas ma façon de faire. Il faut que nous puissions faire perdurer cette culture, qu’on puisse honorer la source et l’héritage, que la jeunesse du Hip Hop connaisse Kool Herc et M’widi, Roxanne Shanté et B-Love. J’aimerais que l’excellence perdure et que l’on s’améliore sans cesse. On pourra se regarder dans les yeux et se dire que l’on s’est battus pour préserver quelque chose de beau, et se battre pour ce qui est beau, c’est noble, c’est ça le Hip Hop de la noblesse qui a jaillit des terrains vagues, des gens à qui on a dit ce n’est pas possible et qui tansforment inlassablement la négativité en positivité. Donc j’espère que dans les années à venir cet état d’esprit perdura et portera de beaux fruits.
Pourrais-tu nous livrer ton ressenti sur le rap actuel ?
Je reste vraiment focus sur ce que j’aime. Ron Brice et les 12″, ça me fait chaud au cœur de les entendre. Vraiment chaud au cœur parce que c’est bien écrit et quand je les écoute j’entends tout ce que j’ai écouté en frais depuis des années. Ici en France, on a les 12″ et aux states Griselda et tout le rap classique new-yorkais que j’aime. Il y a de la qualité, de la fraîcheur, ça rappe, ça kicke, et c’est Hip Hop depuis le fond jusqu’à la forme.
J’ai un ami qui bosse avec un petit jeune très très fort techniquement mais rien que la façon dont ils ont mixé son travail, ça a commencé à s’aseptiser, peut-être inconsciemment. C’est à dire qu’il y a moins de gras, moins de basses, les kicks commencent à devenir plus secs, plus creux, excessivement synthétiques. Dans le Hip Hop il y a de la couleur, de la rondeur, du gras, de la basse. Tu retrouves la même rondeur dans le reggae, dans le jazz ou dans la soul. S’il n’y a pas cette basse, tu as perdu énormément donc tu peux faire des infras, ça reste Hip Hop mais pour moi ce fameux kick, cette fameuse basse, c’est la base. Quand ça cogne et quand ça vibre, que ça réveille des choses positives, ça me donne envie de continuer. Tant que le rap actuel respecte les fondamentaux tout en s’exprimant avec la forme actuelle ça me va, je fais partie de ces artistes qui ne séparent pas la musique par rapport aux générations, il y a simplement de la mauvaise et de la bonne musique.
Que peux-tu souhaiter aux gens en cette période particulière liée au covid19 ?
Au moment où je te réponds, on vit le déconfinement et on nous parle de reconfinement. C’est le bon moment pour me demander : Est-ce que j’ai vécu ma vie pleinement ? Est-ce que je donne le meilleur de moi-même ? Après ce confinement est-ce que je vais me donner les moyens de vivre pleinement, de devenir la meilleure version de moi-même, et surtout ne pas oublier, m’en rappeler ?
On a des prises de conscience mais malheureusement on oublie aussi vite que c’est venu. Donc il faut se rappeler de sa prise de conscience pour mieux vivre, vivre pleinement et donner le meilleur de soi, contribuer, réapprendre à mieux vivre ensemble, car cette vie est sacrée.
Un mot de la fin? Une dédicace ?
Grand respect à votre magazine ! Fraternelle salutation à toute votre équipe et à tous vos lecteurs. Félicitations et surtout une belle et longue continuation. Paix!
Retrouvez ALI sur ses réseaux : Facebook et Instagram.
Interview réalisée par Voicebless