Rappeur d’origine comorienne, Napoleon Da Legend grandit à Brooklyn, NYC et réussit la performance de faire vivre ses deux cultures dans sa musique. Ainsi il pratique aussi bien le rap le plus pur que l’afrobeat le plus joyeux et s’essaye aussi depuis peu à la langue de Molière dans ses textes. Très investit dans la culture Hip Hop (notamment dans sa facette sociale), Napoleon Da Legend tourne énormément en Europe ces dernières années et développe encore son goût pour l’ouverture sur d’autres façons de faire de la musique. Entretien avec un rappeur surprenant et au dynamisme contagieux afin de découvrir son parcours et ses valeurs.
Bonjour Napoleon peux-tu te présenter en quelques mots ? Pourquoi ce pseudo ?
Je m’appelle Napoleon Da Legend, je suis un MC d’origine Comorienne qui fait du Hip Hop et de l’afrobeat. À l’époque je jouais au basket, j’avais une grande gueule, petit de taille mais redoutable et dangereux avec le ballon. On me surnommait « Napoleon » quand je jouais au street ball. Quand j’ai commencé à rapper, il était tout naturel de retenir ce blaze. J’ai ajouté « Da Legend » pour amplifier l’arrogance et le poids du nom. Je réécris l’histoire de ce nom très connu à ma manière par le biais du Hip Hop.
Quel a été ton premier contact avec la culture Hip Hop ?
Je suis arrivé en Amérique à l’âge de 4 ans environ. À Washington DC puis dans le Maryland qui est l’état d’à côté. On écoutait les radios Hip Hop et RnB WPGC 95.5 et WKYS 93.9 qui jouaient des morceaux Hip Hop. Puis les potes rappaient des morceaux que je ne connaissais pas et ils me disaient qu’ils les avaient entendu sur Yo ! MTV Raps et Rap City. La manière de s’habiller, de parler, les graffitis étaient déjà partout, mais c’est en regardant les clips de rap à la télé que j’associais ça à une culture qui est le Hip Hop. C’est le rap qui m’a éduqué sur la culture Hip Hop avec des artistes comme A Tribe Called Quest, Wu-Tang, KRS-One, Ice Cube, Gang Starr, etc.
Que représentait la culture Hip Hop pour toi à tes débuts et que représente-t-elle aujourd’hui ?
Pour moi, c’était « notre » voix, notre manière d’être et de faire. C’était ce qui nous soudait entre nous dans un monde qui semblait nous traiter comme des aliens ou une sous-classe, que ça soit à l’école ou quand on était dehors. C’était une véritable identité, une source de fierté et un journal qui communique les codes dans notre communauté. C’est vite devenu une passion, je voulais écouter les nouveaux morceaux, on se prêtait des albums, etc. La musique, les lyrics et le flow des rappeurs m’ont tout de suite accroché. C’était un nouvel univers qui pouvait s’étendre à l’infini.
Que pense-tu de l’éloignement progressif des disciplines phares du Hip Hop (MC, DJ, danse, graffiti) au cours du temps ? C’est une fatalité irréversible selon toi ou au contraire une évolution naturelle ?
Ce qu’on perçoit comme « éloignement » est le produit des médias mainstreams qui ont arrêté de mettre le projecteur sur ces disciplines. À l’époque c’était nouveau et ça fascinait surtout les gens qui n’étaient pas du milieu ou les endroits que le Hip Hop n’avait pas encore atteint. Maintenant que la musique Hip Hop est partout et que c’est celle qui vend le plus, on est passé au stade « télé réalité » et au culte de la personnalité pour vendre davantage de disques. Le Hip Hop à l’origine de la culture n’était pas un business, maintenant c’est une grosse industrie avec en priorité la recherche du profit, ce qui correspond à nos sociétés où travail et argent sont synonymes de survie. Je pense que ces disciplines continuent à évoluer et à se pratiquer à un haut niveau sans le spotlight d’avant qui est maintenant pointé plutôt sur les stars de la musique (artistes/producteurs). Encore une fois c’est un reflet du monde et de la société dans lesquels on vit, le noyau du Hip Hop ne va jamais disparaître tant que des gens restent passionnés et l’utilisent pour s’exprimer. Les gros médias qui influencent le plus grand nombre reviendront une fois que les gens vont se lasser du mode « télé réalité » et que les fans de musique auront encore plus envie d’authenticité. Les médias plus spécialisés ont l’avantage d’être plus libres et de chercher des pépites et des histoires plus intéressantes pour un public fatigué des formules marketing maintenant prévisibles et réutilisées. C’est une guerre culturelle quelque part mais l’expression humaine authentique et l’art ne peuvent jamais être éteints donc ces disciplines vont continuer à survivre et même à se renforcer.
Est-ce que tu t’intéresses aux autres disciplines du Hip Hop (Djing, graffiti, danse) ? Qui sont les artistes graffiti, les danseurs ou les DJ’s dont tu apprécies le travail ?
Je m’intéresse plutôt à l’aspect musical, le rap et la production. Ceci dit j’apprécie la beauté du graffiti, son intensité et son jeu de couleurs ainsi que la danse. L’esprit Hip Hop est bien présent et ressenti dans toutes ces disciplines. Tu veux laisser une trace dans le monde, tu veux montrer que tu existes et que tu n’est pas un mouton donc tu oses te surpasser et faire quelque chose de tellement difficile, de tellement beau de manière à ce que ça ait l’air parfois même facile au regard de ceux qui ne s’y connaissent pas. Et tu le fais avec tes propres moyens, c’est ça le Hip Hop, tu te donnes les moyens de t’exprimer et de te faire remarquer. J’adore le DJing et je connais de très gros DJ’s en Amérique et en Europe auxquels je fais attention. Par exemple : DJ Boogie Blind, DJ Bazarro, Evil Dee, DJ Nameless, DJ Stresh, DJ Nixon, Kheops, DJ Eclipse, C-Reality, Fred One, DJ Toshi, SoulBuck pour n’en citer que quelques-uns. Ceux qui passent mes sons ont tendance a être les meilleures j’ai remarqué (rires). Le bon goût s’infiltre à tous les niveaux.
Qu’est-ce qui t’as motivé à devenir rappeur ? Quelles étaient tes influences ou tes inspirations à l’époque ?
Ce sont mes potes qui ont rendu le rap accessible à mes yeux. Avant ça j’étais tellement fan, je ne m’imaginais pas faire ça, les rappeurs pour moi c’était des surhumains, des super-héros venus d’un autre coin de l’univers. Je percevais le génie de cette discipline qui pouvait me faire ressentir tellement d’émotions différentes. Grâce au rap, je n’étais jamais seul non plus. Mon pote Tita m’a prêté son 4 pistes et j’ai commencé à enregistrer sur des instrus, ça me passionnait. Quand je m’intéresse à un sujet ça devient rapidement une obsession donc je cherchais à découvrir les meilleurs rappeurs du moment et du passé aussi. Mes inspirations allaient de Nas, Jay-Z, Wu-Tang, Jadakiss, Fabolous, Rakim, Big Pun et Kool G Rap en passant par Pharoahe Monch, Royce the 5’9, Cam’ron et Big L.
Beaucoup commencent par être des passionnés avant de devenir des artistes à part entière, c’était quoi le déclic pour toi ? Quand est-ce que tu t’es dit « c’est ça que je veux faire, c’est ça que je veux être » ?
J’étais un super fan de rap. Matador, le cousin d’un pote, était un peu plus âgé que nous (il est ensuite aussi devenu un ami) et il enregistrait des sons chez lui. Un été, il s’est regroupé avec d’autres potes à moi (sans que je le sache), tous d’origine africaine comme moi (Comores, Guinée, Cameroun, Gabon) et ont enregistré un album (Sessions d’été). Quand ils me l’ont montré à l’école, j’ai pris une vrai claque comme vous dites chez vous. C’est là où mon ami m’a prêté son 4 pistes. J’ai tout de suite commencé à écrire et à enregistrer des morceaux. Je n’avais pas de mic et j’utilisais mon casque comme mic. On se rencontrait chaque semaine pour faire des morceaux et ça m’a donné envie de faire du rap sans vraiment savoir comment m’y prendre. Je savais aussi que quelque part mes parents n’allaient pas trop être chauds par rapport à ça mais bon, ma mère me laissait tranquille tant que je ne faisais pas trop de bruit. Aujourd’hui encore je fais presque tout avec mon casque.
Tu es l’un des premiers rappeurs à avoir fait un featuring avec le Saïan Supa Crew en 1998 sur le titre La Solution présent sur leur premier maxi, peux-tu nous parler de votre rencontre et de ton travail avec eux ?
C’est quelque chose que peu de gens savent. Justement le frère de mon pote qui rappait avec nous et qui se nommait Jackal C à l’époque vivait à Paris mais visitait Washington DC plusieurs fois par an pour voir la famille. On s’entendait très bien et on partageait ce virus de la musique. Un été je suis allé à Paris chez ma tante pendant quelques semaines et mon ami qui allait aux studio Nomad a Stalingrad nous parlait du Saïan Supa Crew et de DJ Fun avant qu’ils soient signés en maison de disque. Il m’a emmené avec lui et je les ai tous rencontré, c’était avant la mort tragique de KLR dont j’ai fait connaissance à ce moment-là, que son âme repose en paix. C’était la première fois que je voyais un vrai studio d’enregistrement et après cette première visite, je venais tous les jours assister au maximum de séances possible. Il y avait une bonne ambiance créative, on sentait que c’était un style nouveau et que bientôt ils seraient signés car il y avait des gens de maison de disque qui passaient souvent. Durant cette courte période, j’ai enregistré mes premiers morceaux solos, d’autres avec Jackal C; on avait un groupe qui s’appelait les Com’X, on est même apparus sur une mixtape de Cut Killer, mais je me souviens plus du nom, et plusieurs morceaux avec certains membres du Saïan. Ils préparaient leur premier maxi en tant que groupe car ils avaient tous leurs propres formations et carrières solos. Ils nous ont invité, moi et Jackal C, en tant que Com’X sur le titre La Solution qu’on a écrit sur place au studio. Il y avait cet esprit compétitif entre nous et le groupe mais aussi entre les membres même du groupe, on sentait que chacun d’entre nous voulait se démarquer. Si je me rappelle bien, beaucoup d’artistes sont passés enregistrer au studio Nomad et ont enregistré après le départ du Saïan (je restais au studio de l’ouverture à la fermeture et je ratais souvent le dernier métro pour rentrer à la Défense où habitait ma tante). On était 9 sur le tire La Solution avec des voix et des styles super variés, des couplets, des passe-passes, du chant, il y avait tout dans ce morceau. J’ai posé une intro et une outro en anglais. Ceci dit mes deux couplets étaient en français et c’était peut-être la première fois que je rappais dans cette langue, ce que je n’ai plus fait jusqu’à très récemment. Le maxi Saian Supa Land est sorti et le groupe s’est fait signé sur Source, un label de Virgin, on était pas surpris mais surtout très contents pour eux car on les connaissait et qu’on était fans de ce qu’ils faisaient aussi. Ils était forts, très techniques et avaient un style unique dans le rap français. Malheureusement peu de temps après (je me souviens pas si c’était avant ou après la signature), KLR, AIR V et deux autres passagers sont morts dans un accident de voiture après un concert. On pouvait pas y croire. KLR m’avait marqué de par sa gentillesse et son énergie positive, je me rappelle l’avoir vu progresser très rapidement de semaine en semaine en tant que MC. On partageait le même rêve de se faire connaître dans le monde du rap et il était si près de le voir se réaliser, ce qui rend cette tragédie d’autant plus triste.
Tu rappes en anglais ainsi qu’en français, pourquoi as-tu choisis de rapper dans les deux langues ? Tu es plus à l’aise en anglais ou en français ? Et niveau rythmique, quelle langue est la plus facile à manier pour un MC ?
Je rappe plutôt en anglais à priori. J’ai plus de 24 projets à mon actif qui sont tous en anglais (à une ou deux exceptions près). Ce n’est que très récemment que je me suis remis au français. Mes parents se sont séparés et ne vivaient plus en Amérique, j’ai alors passé beaucoup d’années sans pratique. Comme ma vie était aux USA, j’avais pour objectif de percer en Amérique parce que quand on te connaît ici, on te connaît partout donc la langue française ne m’était pas utile dans ce que je faisais à cette période. En plus dans cette phase de ma carrière, je ne voulais pas spécialement que le public américain me reconnaisse comme étant le rappeur que sait rapper en plusieurs langues. Étant compétitif en tant que MC, je ne voulais pas que les rappeurs américains puissent me donner ça comme excuse pour dire que je suis bon. Dans ma tête je voulais être le meilleur sur le même terrain de jeu qu’eux, un point c’est tout, et donc en parlant la même langue. Comme le dit l’expression « il ne faut pas courir deux lièvres à la fois », je me suis donc consacré au rap américain à 110%. Cela a changé ces trois dernières années car j’ai fait quelques tournées et dates en Europe et notamment en France, en Suisse et en Belgique. Je comprenais bien la langue, mais j’étais très mal à l’aise pour la parler. Après ma première tournée, j’ai dit à mon pote Architeknic qui a organisé deux de mes tournées que la prochaine fois j’allais m’y remettre. À part quelques phrases en français sur scène, je bloquais mais fin 2019 j’ai accepté de faire ma première interview en français sur un site qui a un grand public comorien. L’interview a fait plus de 100 000 vues en une semaine. Mes origines comoriennes sont importantes pour moi et j’y suis retourné à plusieurs reprises quand j’étais jeune et j’ai remarqué que le français me permettait de mieux communiquer avec les comoriens. J’ai voulu essayer de faire une chanson en français peu après et à ma grande surprise c’est venu très naturellement. La première chanson que j’ai enregistrée était De Rien, je voulais la sortir en single en 2020 et au début de l’année j’ai eu l’idée de faire un projet anglais/français où je faisais deux versions de chaque instru. C’était un test en fait qui m’intéressait car connaissant le rap français « classique » et étant dans le bain du Hip Hop en Amérique, j’ai des références et une perception assez unique des deux univers. Le francophone typique ne comprend pas vraiment les textes et les références des rappeurs américains comme moi. Je rappe en anglais et en français de la même façon, c’est la même approche, ce sont les mêmes flows. La grande majorité des rappeurs français rappe comme il se doit dans un style unique à leur région et leur monde, moi c’est du rap kainri en français en fait. En plus, comme c’était la première fois que je faisait vraiment ça (à l’exception d’Afrostreet 2 sorti en mars où j’ai ajouté 3 titres en français juste avant la sortie de l’album pour préparer un peu mon public), je voulais aussi faire les titres en anglais pour donner une référence aux deux publics, sachant aussi que les DJ’s qui jouent mes sons en Amérique et en Angleterre (et ailleurs) n’allaient pas passer des morceaux en français qui ne conviennent pas à leur public. Par exemple, à New York, Peter Rosenberg de HOT 97 et DJ Eclipse à Shade 45 passent la version anglaise de Champs-Elysées (de Joe Dassin, ndlr). Ça m’a permis de faire la promo du même projet sur deux territoires très différents. Sinon, je suis bien sur plus à l’aise en anglais, je parle mieux en anglais, je réfléchis en anglais et traduit les mots en français ensuite dans ma tête quand je parle. La prononciation des mots en anglais m’est plus naturelle, je dois m’appliquer beaucoup plus en français et refaire des passages plusieurs fois pour qu’ils me conviennent. Au niveau de la rythmique c’est pas un problème, le flow me vient naturellement aussi bien que les textes. Moi j’aime pas trop réfléchir quand je rappe, ça enlève le feeling et la beauté de la chose. Le rap c’est pas un devoir à l’école, c’est une expression, une conversation, une danse. Les rappeurs qui se prennent trop la tête seraient sur le banc en NBA, pendant que les fans se régalent de voir Jordan, Steph Curry, Lebron ou Iverson jouer. C’est comme quand je jouais au basket, tu répètes le mouvement tellement de fois qu’après tu n’y penses plus, ça devient instinctif et tu t’amuses à le faire même quand il y a la pression. Au final, la langue française fait partie de mon identité et de mon histoire aussi, ça fait partie de qui je suis. Mon rap, c’est moi, tout court…
Tu as des origines comoriennes, on pourrait t’entendre rapper dans la langue de tes parents un jours ?
Je maîtrise encore moins le comorien, que j’ai perdu avec les années. Dans le morceau Coelacanthe sur l’album Afrostreet 2, je dis quelques phrases en comorien. J’espère reprendre cette langue dans l’avenir et un jour avoir assez de vocabulaire pour écrire un couplet ou une chanson complète. Mais chaque chose en son temps, je suis pas pressé de le faire. J’ai fait un projet en français parce que je me suis rendu compte que j’en étais capable, je me découvre en même temps que le reste du monde. Quand j’écris en anglais, souvent je m’impressionne moi-même, mais je sais de quoi je suis capable. En français c’est tout nouveau pour moi, c’est comme si j’avais un alter-ego en moi que j’avais ignoré pendant des années et qui ressort frais, énergétique, fâché et un peu arrogant par moment. Il me gronde de ne pas lui avoir donné la parole toutes ces années (rires)… Maintenant je lui donne de quoi manger.
Tu as fait un featuring avec Raekwon ainsi qu’avec Sean Price (RIP) sur ton premier album Awakening et tu as participé au clip du titre Wise Men, peux-tu nous parler de ces collaborations et du travail en studio avec ces artistes ?
D’abord, à mes débuts, jamais je n’aurais pu imaginer faire des morceaux avec Raekwon ou Sean Price (RIP). Pour Raekwon, c’est un pote à moi qui connaissait son frère et qui a organisé le truc, je n’ai jamais rencontré Raekwon en personne qui vit je ne sais où. J’ai écrit la chanson, mon pote a envoyé à son frère et il nous l’a renvoyé avec le couplet et la dédicace. Pour Sean P, je venais à peine de déménager à Brooklyn et je commençais à me faire connaître là-bas en montant sur scène pour kicker durant des concerts. J’ai rencontré Steele de Smif-n-Wessun et DJ Bazarro qui était proche des Beatminerz aussi, ils m’ont remarqué tout de suite. Encore une fois un ami d’un ami m’a branché avec Sean Price et nous a mis en contact par téléphone. Il a dit qu’il serait prêt à faire un morceau avec moi et le soir même j’ai écrit le texte de Wise Men avec le refrain, je l’ai envoyé et un jour après à ma grande surprise, il m’appelle en me disant que j’ai tué mon couplet et me rappe quelques phrases du sien qu’il était en train d’écrire. Il m’a ensuite invité chez PF Cuttin à Brooklyn où il posait le couplet, J’étais comme dans un rêve. C’était un couplet géant et il m’a dit qu’il s’était inspiré de mon flow et de mon énergie. Direct je lui ai demandé s’il serait prêt à faire un clip de cette chanson, il a dit oui mais seulement si c’est pas un clip de rap « New York » banal. Des potes et moi on a écrit le concept de la video que Niro (2Bal 2Neg) a réalisé et filmé à Harlem.
Sur les deux volumes de Steal This Mixtape, tu utilises des beats de tes producteurs favoris (J-Dilla, Madlib, RZA,…) pour poser tes rimes, revenant ainsi aux origines du concept de mixtape. Si tu devais choisir un beatmaker qui t’inspire particulièrement ou avec qui tu adorerais travailler, lequel serait-ce ?
Quel choix difficile ! Les trois me tiennent à cœur, mais si j’avais à en choisir un seul ça serait Madlib. Il est très prolifique comme moi, il est aussi super versatile et son oreille pour les samples est sublime. C’était tellement facile d’écrire sur ses instrus. C’est un pote qui me les proposait et j’ai appris à apprécier son travail comme ça.
Maintenant quelques mots à propos de ton dernier album, comment se sont déroulées les prises voix, qui a mixé, qui a masterisé, qui a réalisé les visuels et pourquoi ces choix ?
Pour Charles de Gaulle, j’ai produit le tout à part De Rien et Your Welcome qui a était fait par Khronos Beats. J’ai enregistré le tout seul dans ma chambre à Brooklyn et j’ai fait le mix et le mastering ici aussi avec l’aide de mon casque et de ma car stereo. J’ai fait le design de la pochette du CD aussi. Pour De Rien j’ai seulement filmé un teaser avec mon téléphone sachant que les gens allaient s’attendre à un clip. Mais on était encore en quarantaine ici et j’avais pas de quoi faire tout un clip. Quand je fais des projets maintenant je visualise tout, les chansons, la couverture, les visuels, la couleur du son, etc… Avoir une idée de l’ensemble du projet me motive à construire les chansons. Tout doit avoir un but, un sens, un objectif. J’écris seulement quand j’ai un but en tête, sinon je vais nulle part. Mais surtout, je me fais plaisir et j’ai pris un grand plaisir à le faire.
Est-ce que tu composes aussi des beats ? Pour toi ou pour d’autres ?
Je compose en effet des beats, comme on peut voir sur Bronze Saints où j’ai repris des samples des Chevaliers du Zodiaque, King of the North Star (Ken le Survivant en France), les deux volumes d’Afrostreet et Charles de Gaulle. Je m’y suis mis par nécessité car j’avais des idées que j’arrivais pas à bien expliquer à d’autres producteurs. J’ai déjà vendu des beats en scred mais je ne m’affiche pas de cette manière. La grande majorité de mes prods étaient créées pour moi. Quand j’ai une idée, il faut que j’arrive au bout de la chose sinon ça m’empêche de dormir.
Quel est le titre qui te représente le mieux sur ton dernier album ?
Ils représentent tous une partie de moi et de mon caractère. Je pense que De Rien représente bien l’attitude du projet parce que c’est la première chanson en français que j’ai écrite et c’était genre « j’suis fort, ouais j’y peux rien » genre c’est pas de ma faute, je savais même pas que j’en étais capable. J’ai sorti un gros nombre de projets tous très différents ces trois dernières années (une vingtaine peut-être) et ce qui a initié ça c’est l’énergie créative. Par exemple Tupacrypha est un projet où je rend hommage à Tupac Shakur (RIP) et c’est lui qui est le narrateur tout au long de la mixtape. Je venais de virer mon manager et j’avais rien sorti en 2017 parce que j’ai beaucoup voyagé et fait deux tournées européennes. Donc, j’ai eu l’idée de rendre hommage à 2Pac parce qu’à Bushwick (Brooklyn) les gars m’appellent « Light Skin Pac » quand ils me voient parce que je fait beaucoup de morceaux et que j’écris vite. Du moment où j’ai eu l’idée jusqu’à ce que le projet soit complètement fini, ça m’a pris 5 jours en tout. Les gens ont apprécié et ça m’a donné confiance en ce que j’étais capable de faire. C’est comme Charles de Gaulle qui m’a appris que je pouvais rapper en français et le faire sérieusement. Jay-Z parle de « The Gift & the Curse », quelque part ça doit être un don. J’y pensais pas avant parce que je fonçais, mais je commence à m’en rendre compte.
Est-ce que tu sais comment les anglophones perçoivent ton rap en français ?
J’en suis étonné mais ils kiffent. La majorité d’entre eux n’écoute pas de rap français. Mais quand ils ont entendu les freestyles en français que j’ai sorti sur Facebook et Instagram, beaucoup d’entre eux m’ont envoyé des messages privés me disant qu’ils aimaient le style. Comme j’ai dit avant, c’est la même voix et le même flow donc si tu aimes ma musique tu vas aimer la vibe même sans comprendre. Mais bon, si certains ne calculent pas je comprends parce que c’est pas pour eux. Le rap français c’est pour les francophones, y en a assez dans le monde. J’ai beaucoup donné aux anglophones, il fallait que j’agrandisse le territoire. Les Français n’aiment pas le « american cheese » et, en général, les américains ne savent pas apprécier le fromage français. Je veux vous donner le choix… De rien ! (rires).
Être Hip Hop aux USA ou en France, c’est très différent selon toi ?
Oui et non, le Hip Hop a sa spécificité dans les différentes villes des USA déjà. Par contre, l’esprit est le même. Entre Hip Hop heads on se reconnaît, pas de chichis, c’est l’amour, le courage de se surpasser et le partage qui nous guide. C’est universel dans la communauté dite « Hip Hop ». J’ai fait le Hip Hop Kemp en République Tchèque en 2019 avec mon groupe Supa Kaiju (avec Sicknature du Danemark) et l’énergie de ce festival m’a montré que quand la grosse caisse et la basse sortent des enceintes on est tous dans la même vibe. Maintenant, au niveau musique, je trouve que le patrimoine musical Hip Hop en France est très riche et peut rivaliser avec les Américains dans certains domaines (je sens les regards que certains me lancent quand je dis ça). La langue française est très riche, certaines chansons introspectives ou sur la société par des artistes comme Solaar, IAM, Kery James, Youssoupha, Oxmo Puccino, Lunatic et plein d’autres, sont de véritables trésors. Le rap français a un potentiel illimité. Quand tu vois aussi les performances de groupes comme NTM, tu peux les programmer avant ou après n’importe quel groupe américain. Il y a du bon dans le deux régions du monde et ceux (en particulier les français) qui bloquent exclusivement sur le rap US alors qu’il existe du très bon rap français sont des gars qui s’assoient quand ils pissent.
Penses-tu que ton histoire personnelle baignée par différentes cultures te permet de te différencier musicalement des autres rappeurs ? Tu voudrais t’essayer à d’autres styles d’ailleurs ? Plus « africain » par exemple on va dire.
Je pense que mon histoire personnelle, mon parcours (de Paris jusqu’à Washington et New York), mon background (Comorien, Français, Américain) me différencient que je le veuille ou non. Partout où je posais les pieds, j’étais différent et on me le faisait comprendre. Souvent c’était pas facile à assumer surtout à mon jeune âge parce que je voulais faire partie du lot. Mais avec la maturité j’ai appris à assumer à fond cette différence et à en faire ma force. De toute façon, quelque part j’ai toujours pris le plus long et le plus dur chemin, j’avais des rêves de jouer au basket avec des gars qui faisait deux fois ma taille par exemple. Mes parents ont divorcé et ont quitté les USA et j’ai décidé d’y rester sans famille pour faire ma musique sans qu’on me juge. Le rap en fait était le parfait « véhicule » pour faire briller cette différence et illustrer toutes ces cultures et ces expériences que j’ai vécu. Je fais aussi de l’afrobeat. J’ai fait 2 albums (la série des Afrostreet) où je mélange de l’afrobeat, du rap, du reggae, du zouk et du dancehall. Le public américain n’avait pas vraiment capté que j’étais Africain d’origine de par mon allure et mon anglais « Tupacesque ». Ça m’a permis de retourner à mes racines en termes de musique et de montrer aux gens que j’aime écouter et faire différents styles de musique. Mais au niveau rap, j’ai pas de flow prévisible, je nage en fonction du beat, donc si la musique sonne bien, que ça soit du Hip Hop traditionnel ou pas, je plonge dedans comme Greg Louganis. J’aimerais continuer à faire plus d’afrobeat, etc. ça me rince le cerveau un peu. J’ai écrit des milliers de chansons de rap, il faut changer la saveur de temps en temps. Je continuerais à me faire plaisir et aussi à prendre des risques, c’est dans mon ADN.
Y a-t-il un artiste français avec qui tu aurais aimé ou aimerais faire un featuring ?
Si j’avais le choix, j’aimerais faire des featurings avec Akhenaton (je viens de cocher cette case !) et Shurik’n, des gars qui ont des choses à dire avec une épée très aiguisée. J’aime beaucoup Oxmo Puccino, sa voix et sa poésie. En terme de reggae, ça serait Tiken Jah Fakoly et Tiwony. Sinon je pourrais citer plein de monde mais les featuring c’est pas comme du shopping, parfois on se dit que ça pourrait donner un truc bien mais il faut le côté humain aussi. Parfois, il est possible de rencontrer des artistes que tu aimes en terme de musique mais du côté humain ça passe pas. Et vice-versa, avec des artistes que tu ne calculais pas, mais vous vous entendez très bien et vous avez des choses en commun. L’autre jour Lartiste a retweeté un de mes freestyles, je ne connaissais pas sa musique mais il a un goût exceptionnel, ça je le confirme (rires). Le respect doit être mutuel et les intentions bonnes mais franchement ces choses là arrivent naturellement, pas besoin de forcer.
Tu as sorti 2 projets à trois semaines d’intervalle, un en anglais (Chikara) et un en français (Charles de Gaulle), pourquoi ce concept de deux albums en deux langues différentes ? C’était pas plus simple de mettre des titres en anglais et en français sur le même album ? Quel sont les points communs entre ces deux projets ?
Ceux qui me suivent vous diront que mes projets tombent comme les bombes à napalm des avions américains au Vietnam. J’enregistre des projets avec différents producteurs, et pour moi-même parfois. En mars 2020 j’ai sorti Afrostreet 2 et je comptais sortir Charles de Gaulle après mais j’ai oublié que j’avais fait Chikara (qui veut dire Force en japonais) avec un producteur italien peu connu, Onion Cuore. Afrostreet 2 et Charles de Gaulle, je les ai sorti moi-même, Chikara est sorti sur Chopped Herring Records (label indé UK) en vinyle et CD.
Sur Afrostreet 2 j’ai fait des titres en français mais Chikara je l’avais terminé l’année dernière avant d’avoir écrit mon premier titre en français donc j’aurais pas pensé à le faire. Charles de Gaulle était conçu pour être mon introduction officielle dans le rap français tout simplement. Y a pas de règles dans le Hip Hop, je fais ce qui me chatouille ce jour là, j’ai donc pris une décision et je l’ai concrétisée avec amour et au feeling.
Y’a pas de points communs entre ces trois albums, ce sont des univers complètement différents. Chikara c’est à base de samples 100% japonais, avec lyrics plutôt introspectifs, Afrostreet 2 c’est afrobeat et samples 100% africains, musique d’ambiance festive et dynamique, Charles de Gaulle c’est un cassage de gueule verbal, avec un rap français 100% made in Brooklyn. Faut pas essayer de comprendre, ce sont les dieux du rap qui sont aux commandes dans mon cerveau, moi je me lève le matin, c’est tout.
Quels sont tes derniers coups de cœur en rap US et en rap FR ?
J’écoute beaucoup de musiques différentes en vrai. Pour le rap français, j’ai bien aimé Yasuké de IAM à la fin de l’année dernière. Je trouve fou qu’après toutes ces années dans le game, tu vois qu’ils sortent des albums qui viennent du cœur. Pas comme certains où on sent que derrière le rideau la maison de disque leur met un flingue sur la nuque avec toute une équipe de ghost writers. En rap US, j’aime le dernier album de Ka, et ceux de Royce da 5’9 et RA the Rugged Man. J’aime les artistes qui ne sortent pas dix fois le même album. Les albums sont là pour être réécoutés donc pas besoin de faire toujours la même chose. Mais chacun son droit, je parle en tant que fan. Souvent, j’entends le public demander la même chose d’un artiste, moi je préfère participer à leur évolution parce que je cherche à évoluer moi-même. Ceci dit il faut avouer que la combinaison du croissant et du chocolat chaud ça reste à chaque fois toujours aussi bon, je le reconnais.
Et si tu devais faire le top 5 de tes rappeurs préférés ?
Mon top c’est : Nas , Jay Z, Kery James, Akhenaton et 2Pac.
Selon toi quel est l’avenir du rap dans 20 ou 30 ans ? Et plus globalement l’avenir de la culture Hip Hop ?
La rap va s’améliorer. On a tendance à se faire manipuler par la nostalgie mais le patrimoine du rap va être de plus en plus riche. Les grands artistes d’hier vont donner naissance aux grands artistes de demain. Les artistes auront le courage de parler des vérités difficiles. Il y aura toujours des artistes médiocres avec du très bon marketing, je ne vois pas ça disparaître dans l’immédiat mais l’esprit Hip Hop ne peut pas être éteint tant que le peuple a la lutte en lui et une envie de créé un monde meilleur. Il y aura des artistes « A.I. » (Artificial Intelligence), ils essayeront de programmer des Napoleon Da Legend mais ça sera de la musique sans âme. Le Hip Hop s’adaptera à la politique du moment car il s’adapte à tout, pour le meilleur ou pour le pire. Le Hip Hop fera aussi naître de vrais leaders qu’on devra protéger pour le bien de nos communautés.
Et toi tu te vois où dans une vingtaine d’années ?
Je me vois près d’un lac entouré de verdure et d’animaux, loin du bruit et de la pollution des grandes villes. Avec un studio bien équipé, continuant à produire de la musique qui me plaît. Peut-être que j’aurais écrit quelques livres aussi. J’aiderais d’autres à créer et participerais à des ateliers pour les jeunes artistes, pour leur donner de bonnes bases et du courage dans un monde où on essaie de nous convaincre qu’on est pas essentiels. J’aurais un champ de fruit et de légumes histoire de manger des choses fraîches pour compenser des années de junk food. Un panier de basket aussi, parque ça me manque par moments. J’espère avoir vu beaucoup de nouvelles villes mais bon, mes paroles dans mes chansons sont plus prophétiques que mes interviews. Il s’est déjà passé plein de belles choses dans ma vie que j’aurais pas pu imaginer.
Quels sont tes futurs projets ?
Je bosse sur beaucoup de projets intéressants. Il y aura des collaborations très inattendues, j’ai pas fini de sortir des projets en 2020. L’année 2021 sera fracassante aussi mais je préfère garder la surprise. Sur le terrain de jeu, on ne prévient pas de la manière dont on va scorer. Attendez-vous a beaucoup de 3 points, des beaux dribbles et des posters dunks genre Allen Iverson et Jordan qui fusionnent.
Un mot de la fin ? Une dédicace ?
Je tiens a remercier les gens qui me soutiennent et qui comprennent ce que je fais et ce que j’apporte à la culture Hip Hop. Restons soudés et vigilants dans ce monde qui change vite, essayons de se comprendre avant de juger trop rapidement. Grosse dédicace à tous les Hip Hop heads francophones, quel que ce soit leur rôle dans la culture car on joue tous un rôle très important et on est tous ensembles au final. Love is love.
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