« La culture Hip Hop m’a ouvert l’esprit ». Une phrase qu’Edgar Sekloka aime répéter. Aujourd’hui écrivain et rappeur, le natif de Puteaux est avant tout un amoureux des mots. Passionné d’écriture depuis sa tendre enfance, l’ancien membre du collectif Chant d’Encre s’est forgé une personnalité grâce au rap. D’origine béninoise et camerounaise, Edgar Sekloka vit pour une cause : s’enrichir culturellement. Rencontre avec un rappeur au cœur d’humaniste.

Salut Edgar, peux-tu nous dire où tu as grandi et nous raconter un peu ta jeunesse ?
Je suis né dans le 15ème arrondissement de Paris et j’ai passé toute mon enfance et ma jeunesse à Puteaux, dans les Hauts-de-Seine. Né d’une mère camerounaise et d’un père béninois, j’ai grandi avec ma mère, mes oncles, ma sœur et mon frère. J’ai une double culture mais mon père est décédé quand j’avais 10 ans, je ne l’ai pas vraiment connu. Mes racines camerounaises sont donc plus fortes et ma famille m’a beaucoup transmis. J’ai passé toute ma vie à Puteaux, c’est un lieu auquel je suis énormément attaché. Avec ma famille, nous étions des prolétaires dans une ville de riches. On ne roulait pas sur l’or mais je n’ai jamais manqué de rien. À Puteaux les gens ont des moyens et il y a la possibilité de faire beaucoup de choses. J’ai eu la chance d’être épargné par la violence des quartiers et j’ai grandi dans un climat assez serein. Je me suis vraiment développé intellectuellement à Puteaux.

Très tôt tu as manifesté un intérêt pour l’écriture, tu as même fait des études littéraires. Comment expliques-tu cette attirance précoce pour le monde artistique ?
J’appartiens à une famille où il n’y aucun problème d’expression. J’étais timide mais mon entourage m’a vraiment mis à l’aise. Ma grande sœur a joué un grand rôle dans mon développement artistique, je suis obligé de lui faire une dédicace (rires). C’est une femme formidable, dès le départ elle m’a énormément boosté.
Le déclic a été ma rencontre avec l’écriture. Dès petit, j’avais rapidement compris qu’écrire est un moyen puissant de dire ce que je ressens. Je me souviens de mes premiers textes avec humour, ils étaient naïfs. À l’époque, en classe de 6e, je balançais ma haine envers Jean-Marie Le Pen et les personnes racistes. Écrire m’a permis de me projeter sur le monde et de mieux réfléchir. Mon cadre familiale m’a donné de l’ouverture d’esprit et de la lucidité sur plusieurs sujets sociaux comme le statut de la femme, la religion et plein d’autres choses.

photo par Hashka

Quelle a été ta première rencontre avec la culture Hip Hop ?
Au lycée j’étais un fan de la culture Hip Hop ! Je me souviens d’un mec qui copiait toutes les K7 de rap américain et ça me fascinait. J’ai adhéré à cette culture parce que j’aime son audace, sa capacité à briser les codes et à questionner la société. J’ai peu participé aux soirées danse ou à des battles et j’ai toujours aimé le graff mais je ne me suis jamais investi dedans. Ce qui me parlait c’était vraiment le rap ! Cette musique m’a marqué dès l’enfance. À l’époque j’avais deux passions : le foot et le rap. Mon quotidien c’était taper le ballon et gratter la feuille. Quand je parle de ma construction en tant que personne, je suis hyper reconnaissant envers le rap parce que rapper m’a donné confiance en moi et ça m’a beaucoup enrichi humainement. Je n’ai jamais vu le rap comme un art communautaire appartenant à une seule catégorie de la société. J’ai toujours vu le rap comme une force pour dénoncer l’injustice et la souffrance. Ma vision du rap est celle d’une musique puissante pour aborder des sujets de société. À mon sens, c’est en cela que le rap parle à tout le monde.

« Aujourd’hui on fait beaucoup de musique jetable. »

Au départ, que représentait la culture Hip Hop pour toi et que représente-t-elle maintenant ?
Le Hip Hop est une culture globale qui s’exprime au travers de différents arts mais aujourd’hui le Hip Hop se centre beaucoup sur le rap. Le problème c’est que la dimension économique a pris trop d’ampleur dans le rap. On est dans une machine conçue pour faire de l’argent et vendre à outrance. Les médias accentuent cette réalité, ils mettent l’accent sur ce qui marche en termes de marketing plutôt que sur l’humain. Avant c’était différent, le rap avait un esprit fort parce que les lyrics comptaient énormément. Ce n’était pas le règne du show-business, l’important c’était l’harmonie des sonorités et surtout le sens des mots dans la chanson. Je suis désolé de le dire, mais aujourd’hui on fait beaucoup de musique jetable !

Aujourd’hui, quelle-est ta définition du Hip Hop ?
Le Hip Hop est une culture inclusive qui accepte les gens. On retrouve cette idée d’inclusion dans le rap qui accepte l’intégration d’autre musique à travers l’utilisation très fréquente du sample. Le Hip Hop n’est pas un fourre-tout pour autant ! Il y a toujours une identité marquée par un esprit critique et contestataire. Une volonté de délivrer un message engagé. Le Hip Hop c’est également la culture de la connexion. Il n’y a pas de barrières et les gens vont facilement les uns vers les autres.

photo par Hashka

Durant plusieurs années, tu as fait partie du collectif Chant d’Encre. Tu as également formé un duo remarquable avec Gaël Faye au sein du tandem Milk, Coffee and Sugar. Quels sont tes meilleurs souvenirs de cette période? Quels ont été les apports artistiques de ces années-là ?
On a vécu des moments incroyables ! En intégrant Chant d’Encre j’étais quelqu’un qui aimait bien briser les codes. Le collectif m’a permis d’aller encore plus loin. Chant d’Encre a développé mon désir d’oser et de découvrir de nouveaux horizons artistiques. Notre devise : travailler les lyrics et dépasser les barrières culturelles quelle que soit l’instru. On cherchait toujours à impacter dans le fond avec nos paroles et dans la forme avec nos mélodies ! On a testé plusieurs univers, on a innové, on a même fait de l’a cappella. Grâce au collectif j’ai vraiment pu acquérir une large culture musicale et m’ouvrir. Avec Gaël on a évolué avec exactement le même état d’esprit ! On a vécu une aventure humaine qui nous a fait grandir. Cela a été possible grâce à notre manager ! Je ne peux pas parler de ces années sans la mentionner. On transmettait des valeurs humaines par notre musique et ce qu’on disait dans nos chansons, elle le rendait réel au quotidien. Elle s’est vraiment démenée. En tant qu’artiste on aime écrire et se concentrer sur la création, mais tout ce qu’on fait, on le réalise dans le but d’être entendu. Elle faisait toujours en sorte qu’on ait ces opportunités et les subventions nécessaires.
Chant d’Encre, l’aventure Milk Coffe and Sugar, ça m’ apporté confiance et maturité.

Tu parles souvent de ta richesse culturelle, notamment tes origines béninoises et camerounaises. Quel est l’influence de ta culture sur ta musique ?
Je suis dans une quête identitaire. Cette recherche de moi passe par le fait de connaître mes pays d’origine. J’ai été élevé par ma mère et je suis proche de mes oncles et de mes tantes du côté maternel. Ils m’ont transmis la culture camerounaise, plus précisément les traditions bamiléké. En revanche, je connais moins le Bénin. J’ai encore beaucoup à apprendre. Quand on parle des relations entre la France et l’ Afrique, on retrouve un rapport de dominant à dominé en raison de l’histoire coloniale. Ces réalités sont présentes à l’intérieur de moi parce que j’ai hérité en même temps de la culture africaine et de la culture française. Je cerne bien les enjeux de cette relation complexe. Tout ça, ce sont des choses que l’on retrouve dans mes chansons parce que je traite beaucoup de ces sujets. Au niveau musical, il y a aussi une forte empreinte de mes pays d’origine dans les sonorités.

« En Afrique, on a le droit à une culture Hip Hop encore plus engagée.»

On ne parle pas souvent du Hip Hop en Afrique. Selon toi quelle est la place du Hip Hop là bas, notamment dans tes pays d’origine le Bénin et le Cameroun ?
Aujourd’hui nous sommes à l’heure de la mondialisation et du digital. C’est également le cas pour l’Afrique. Juste à cause de cette vérité, on peut déjà dire que la culture Hip Hop est forcément présente sur le continent. Il y a des choses que je n’aime pas en Occident mais qu’on retrouve aussi en Afrique. Selon moi, la différence c’est qu’en Afrique il y a une forte conscience politique en raison de l’importance des enjeux. Au niveau des libertés individuelles, les Européens et les Français bénéficient de certains droits dont toutes les populations africaines ne disposent pas. Là-bas ils regardent la politique d’un œil très attentif alors qu’ici on a l’impression que cette conscience politique ne surgit qu’en temps de grandes élections. En Afrique, on a le droit à une culture Hip Hop encore plus engagée. Quand on s’intéresse au rap, il y a vraiment des artistes talentueux. J’ai vu des rappeurs incroyablement forts. Ils se mettent parfois en danger pour faire de la musique et défendre leurs idées. Je peux citer en exemple le rappeur militant camerounais Valsero. On est dans une culture Hip Hop où on ose et on prend des risques.

En tant qu’artiste, tu as un style assez polyvalent. Tu fais aussi bien du slam que du rap. Quand on parle de la culture Hip Hop et de la musique, on associe directement le Hip Hop au rap. Selon toi quel est la place du slam dans la culture Hip Hop ?
Le slam est une forme de rap, mais il a ce côté plus poétique. Il fait moins « voyou » (rires). Pour te donner une image, je dirais que le slam c’est un rap qui peut rentrer dans une bibliothèque sans soucis. Selon moi le slam a toute sa place dans la culture Hip Hop, c’est une autre facette du rap. En réalité slam et rap sont des cadres artistiques dans lesquels chacun peut s’exprimer, mais c’est le même genre. Quand Brassens et Renaud chantent, est-ce qu’on les différencie ? Non ! Pourtant ils ne s’expriment pas avec le même niveau de langage, leurs styles sont différents. Malgré cela, pour les deux on va dire qu’ils font de la chanson française ou de la variété. Concernant le rap et le slam ça devrait être pareil ! Il faut se défaire de cette manie de toujours vouloir mettre des étiquettes sur les choses pour les séparer.

photo par Hashka

D’ailleurs tu organises beaucoup de battles de slam et des ateliers d’écriture. Quel est l’objectif que tu cherches à atteindre au travers de ces évènements ?
L’objectif c’est avant tout d’échanger. Ces rencontres donnent lieu à des temps de partage. On s’exprime sur nos valeurs et on s’enrichit les uns les autres. On découvre aussi de magnifique talents. Ces ateliers amènent également à l’organisation de concerts et cela permet à certains de faire des premières parties. Ces moments représentent parfaitement l’esprit Hip Hop : échange, partage et humanité. Il y a une vraie osmose entre les gens ! J’ai vraiment passé des moments de pur kiff. Mes ateliers sont des lieux d’expression où chacun peut venir parler et dire ce qu’il a envie de dire ! Peu importe que l’on soit d’accord ou pas sur un sujet, on est là pour parler. C’est aussi ça le Hip Hop, être capable de se mélanger.

« Beaucoup d’artistes ont démissionné avec les valeurs du Hip Hop »

Dans une interview pour RFI, tu décris le rap actuel comme reflet d’une société spectacle. Selon toi cette « société et ce rap spectacle » sont-ils compatibles avec la culture Hip Hop ?
On est dans une société où le divertissement occupe une place centrale. les gens n’aiment plus les sujets qui font trop réfléchir. On le voit par exemple avec une jeunesse qui a moins de sensibilité et d’intérêt pour ce qui est politique. Les médias encourage cette réalité, ils font la promotion du divertissement et mettent en avant des contenus qui font vendre. Le mot d’ordre est d’amuser le peuple. Le morceau de Rocé intitulé Spectacle permanent illustre très bien ce que je dis. On peut divertir de manière instructive mais aujourd’hui ce qu’on nous propose c’est un divertissement fatiguant. Beaucoup ont démissionné avec les valeurs du Hip Hop et tellement d’artiste ont renoncé à de beaux principes pour l’argent.

Peux-tu nous raconter l’histoire et l’inspiration autour de ton dernier album Musique Noire ?
L’idée m’est venue en regardant Le migrant, un court métrage de Charlie Chaplin. J’ai été très touché par le thème de la déportation. L’inspiration m’est également venue de la lecture. L’ouvrage d’Amiri Baraka, Peuple du blues, m’a conduit à écrire sur la traite négrière et la création de la musique noire dans la souffrance. Le déclic s’est également produit la première fois que j’ai entendu la mélodie de ma chanson intitulée Pourpre. J’ai directement eu envie de mettre des paroles sur la musique, je voulais trouver un texte à la hauteur de cette mélodie empreinte de douleur. Cela a mit du temps mais une fois le texte trouvé, le reste s’est enchainé rapidement. En réserve, j’avais déjà plusieurs chansons qui abordaient le thème de la souffrance. C’est à partir de là qu’est né l’album.

Dans une interview, tu décris le rap français comme une des premières musique noire que tu aies rencontrée. Pourquoi qualifier le rap français de musique noire ?
Au départ le rap est un genre souterrain, c’est une musique de contestation qui sert également à raconter un quotidien difficile. Quand tu rappes, tu racontes ce dont tu souffres. Le rap c’est une musique pour les personnes opprimées, celles qu’on a mises de côté et délaissées. La musique noire, notamment au temps de l’esclavage, c’est la même chose. C’est le cri des gens qu’on a oppressés. C’est la musique de ceux qui partagent leurs douleurs et leurs peines.

« Le Hip Hop doit contribuer à faire avancer la société vers la paix »

Ta musique est très engagée, on le voit encore plus dans ton dernier album Musique Noire. Qu’est-ce que tu as pensé de cette année 2020, notamment des grands combats sociaux contre le racisme envers les populations noires, que ce soit aux Etats-Unis ou en France ?
C’est très bien. Je suis content de voir des jeunes conscients de l’ampleur des injustices et de la présence du racisme dans notre société ! Je suis fier de voir une jeunesse capable d’emmener un mouvement ! Durant cette période, France 2 avait réalisé un documentaire sur l’histoire de la colonisation. On peut dire ce que l’on veut dessus mais ce documentaire a le mérite de prendre le sujet à bras le corps et d’aborder certaines questions tabous, c’est une forme de progrès. Il y a des gens qui se mobilisent vraiment pour faire avancer les choses. Il faut aussi veiller à ce que ce type de combat contre l’injustice sociale ne soit pas instrumentalisé. On l’a vu récemment avec la mort de Samuel Paty. Certes on ne parle pas de racisme mais le sujet était la liberté d’expression. On a vu le débat être ramené sur la question des communautarismes. Certains en ont profité pour véhiculer la haine ou des idées discriminatoires. Derrière ça il y du racisme. Le Hip Hop doit contribuer à faire avancer la société vers la paix, mais il est nécessaire de veiller et dénoncer ceux qui s’y opposent.

L’actualité de 2020 c’est aussi et surtout la pandémie du corona virus et le confinement. Selon toi, ces moments vont-ils avoir un impact sur le rap et le monde du Hip Hop ?
C’est sûr que cette période va avoir de l’effet. Cela a tellement impacté la société que ça va impacter le Hip Hop, notamment le rap. Le rap c’est un miroir de la société, il y a des textes qui vont être nourris par les choses que nous sommes en train de vivre aujourd’hui. Il va falloir du temps pour analyser et comprendre vraiment ce qui se passe, mais dans sa richesse, le Hip Hop va forcément l’exprimer d’une façon ou d’une autre.

Le Hip Hop c’est également du graff, de la danse, du DJing. Pourrais-tu nous citer un artiste coup de cœur dans chaque discipline Hip Hop ?
Graff : Artof Popof
DJing : DJ Dee Nasty
Danse : Fanny Polly, c’est plus une rappeuse mais elle danse aussi.

Bien sûr on sait que tu es avant tout un fan de rap, alors on te propose un défi supplémentaire en te demandant un top 5 de tes rappeurs favoris ?
Kenny Arkana
Medine
Casey
IAM
Général Valsero
…et Rocé parce que je me dois de le mettre.
5 choix c’est cruel (rires) ! Il y a tellement de personnes à mettre. J’en profite pour saluer tout ceux avec qui j’ai bossé et bien sûr je n’oublie pas Gaël et tout le collectif Chant d’Encre.

« Je dois beaucoup de ce que je suis au rap »

Si tu devais faire un bilan de ton parcours musical, que dirais-tu ?
Le terme bilan est trop sérieux (rires). Il est encore trop tôt pour le faire mais j’estime être quelqu’un de chanceux ! J’ai rencontré de très belles personnes sur mon chemin. Et en premier lieu ma famille, chez nous on est des artistes (rires). J’ai eu la chance d’être entouré de supers amis et d’une manager hors du commun ! Ce que j’apprécie le plus dans mon parcours c’est sa richesse culturelle et humaine. J’ai rencontré tellement de personnes qui m’ont fait grandir dans ces domaines. J’ai aussi eu l’avantage de ne pas avoir connu le show-business ou le succès trop tôt, ça m’a préservé de bien des problèmes. J’ai vraiment pris plaisir dans des choses simples et je suis heureux d’avoir vécu ma vie comme ça. J’aime beaucoup le dire mais la musique m’a ouvert sur le monde et je dois beaucoup de ce que je suis au rap.

photo par Lalita, graphisme par Hashka

Dans cette période difficile certains sont pessimistes mais nous on a fait le choix d’être positifs et de croire en l’avenir. Alors pour le futur, quel est le plus grand rêve que tu souhaites accomplir en tant qu’artiste ?
Mes rêves sont simples, je souhaite continuer mon développement et réaliser des concerts et des tournées. Puis pourquoi pas un jour créer un label.

Après ces paroles positives, quel est ton mot de la fin ?
Tout simplement merci. Merci à vous pour votre passion T-Rex.

Entretien réalisé par David Mabiala


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