Grödash
Ghetto Littérature
Année : 2021
Format : EP 5 titres
Localisation : France (les Ulis)
Production : Coazart
Featuring : Templar
Je vais sauter l’étape où je vous parle du parcours de Grödash et de sa capacité à représenter le 9-1. Ce serait non seulement réducteur mais ça éclipserait également ses qualités, déjà sous-cotées, de lyriciste, qui font de lui un vrai poète. De toute façon aujourd’hui, mon boulot c’est de faire la chronique de son EP Ghetto Littérature. Donc pour ceux qui ne le connaissent pas sur le bout des doigts, je vous laisse vous renseigner sur son CV aussi long que la distance qui sépare les Ulis du Congo.
Dans cette sorte de carnet vocal, Grödash voyage léger. Il a décidé de faire accompagner ses mots et sa vision par le talent indéniable d’un seul beatmaker, un certain Coazart. Et son unique collaboration textuelle n’est autre que Templar avec qui il officie depuis des décennies dans le même groupe, Ul’Team Atom. Ainsi, à bien regarder, tout porte à croire que le choix de cet effectif restreint est la volonté claire et affirmée d’un artiste qui veut faire savoir qu’il n’a pas besoin de grand chose pour exister. Une sorte d’alchimiste fin prêt à porter sa légende personnelle aux oreilles des mordus de rap volcanique.
L’écoute de ce EP à l’ambiance sombre et mélancolique donne le sentiment d’assister à un renouvellement de vœux de mariage. Il nous est impossible de passer à côté de la passion presque viscérale de Dash pour cette musique. Il en est piqué. Il en est addict. Et la brutalité de sa voix ne prête à aucune confusion quant à l’engagement de ses tripes dans la bataille. Il tranche dans le vif avec autorité et dévotion comme pour nous faire des offrandes avec le regard possédé d’un prêtre païen. De chaque texte il se dégage une spiritualité à la fois familière et venue d’ailleurs. Il paraît être en transe, à chaque mesure. Il communique avec tous et par tous les moyens à sa disposition. Et même si parfois ses mots et son flow font du pied à un public moins averti, il ne tombe jamais dans la facilité. Les courbettes ce n’est pas son truc mais il joue le jeu de la séduction en maîtrisant son art avec virtuosité.
Ses rimes sont aussi riches que les références qu’il propose, autant dans ses paroles que dans le choix de ses habillages sonores. Je pense notamment au très réussi Jeux pervers dans lequel on peut entendre la voix de Thomas Sankara et ses fameux « abat…» scandés devant ses partisans. D’ailleurs, dans ce morceau, Grödash personnifie l’Afrique et nous fait l’honneur de nous laisser assister à une conversation à la fois sincère et pudique avec son continent. Un monologue intéressant et original qui permet de réceptionner le discours panafricain sous un angle émotionnel. Ses déceptions, ses espoirs et ses colères interprétés avec une justesse saisissante sont les échos de son amour inconditionnel pour ses terres. Un « Je t’aime moi non plus » moderne, humaniste et engagé.
Grödash se dévoile toujours plus. Il vomit ses tripes à chaque morceau car il semble rapper plus par besoin que par envie. Et dès la première chanson, le ton est donné. La voix pitchée du sample du premier track nous plonge dans une ambiance mélancolique. La nostalgie de Ghetto littérature expose aussi bien les sentiments d’inachevé de l’artiste que la difficulté du chemin qu’il a parcouru jusqu’ici. Le tout sans se plaindre. On le sens fier et désabusé. Tantôt il se raconte avec une pointe d’amertume, tantôt il se la raconte avec la fierté d’un guerrier bantou. Il s’offre et propose des performances avec une aisance quasi indécente. Son titre Poignée de punchline est une belle preuve de son aptitude à faire douter certains de ceux qui pensent pratiquer la même discipline. Parfois, entendre Mr. Shizzle c’est avoir la sensation de voir un bulldozer rapper avec l’essence débordant du moteur. Il crache ses rimes avec une rage qui dissimule des sentiments si profonds que ses egotrips finissent souvent par avoir des allures de morceaux à thème et vice-versa. C’est percutant et agréablement déroutant.
Néanmoins, ce penchant a desservi son couplet lors de son rendez-vous avec Templar dans Ne me quitte pas. L’avalanche de punchlines de Grödash, aussi puissante et poignante soit elle, nous fait perdre le fil émotionnel. Son invité est le seul a avoir tenu le cahier des charges de cette chanson au titre évocateur. Effectivement, Jacques Brel a déposé une marque pour l’association de ces quatre mots, malgré lui. Finalement, dans ce titre comme dans d’autres, Dash se lance parfois dans une démonstration outrancière de ses compétences. Un Bukowski du rap sous kush qui sait ce qu’il vaut. Un moindre mal qui fait tout de même du bien dans un contexte rapologique où la tendance nouvelle est à la paresse technique. À sa manière, il nous renvoie aux qualités exigées pour rapper. Par ailleurs, le projet contient le très efficace et bien écrit Voilà. Une vraie pépite, un hymne à la contestation, calibrée pour la scène et dont le potentiel atteindra sans doute son climax lorsque la foule sera emmenée par son auteur.
En réalité, cette œuvre est une déclaration de paix abrupte lancée par un Grödash plus authentique que jamais. Il nous invite à entrer dans son univers qui est un espace où l’accès à certains strates semble codifié. Et je suis tenté de croire que seules quelques taffes de beuh pourrait permettre son déchiffrage complet. Mais mon avis n’est que ma vérité…
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Chronique écrite par Signa.