Authentique vandale parisien, HIGH s’illustre en loup solitaire depuis des décennies dans les rues et les métros de la capitale. Artiste et musicien international, son amour pour le graffiti n’a pas pris une ride. Rencontre avec HIGH, un soldat parmi des millions.
Bonjour, peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je suis High, graffeur originaire d’Europe et d’Asie mais parisien de cœur. Je ne suis pas né en France. J’étais gosse quand je suis arrivé ici et chez moi ça parlait surtout anglais. Mes activités m’ont mené aux quatre coins du monde et j’ai côtoyé des gens de partout. Je peins uniquement mon blaze HiGH, pas de visage ou de perso, mon blaze, c’est mon tampon
Quand et comment as-tu découvert la culture Hip Hop et plus particulièrement le graffiti ?
Dans les années 90, au collège, le truc c’était d’écrire partout. On défonçait nos cahiers, on griffait les dossiers de chaises, on gravait les tables, les murs, les affiches dans le métro. Graver, écrire son nom sur tous les supports, c’était notre délire. On n’avait pas de style et on s’en moquait. Autour de moi, j’ai le souvenir que tout le monde taguait. Il n’y avait rien d’étonnant à le faire, on n’avait pas conscience que c’était un mouvement.
Pourquoi ce pseudo « HiGH » ?
Petit à petit, il a fallu trouver son blaze. J’ai testé d’autres trucs. Et puis, j’ai découvert la drogue, la bedave ! Mes potes anglophones me disaient que j’étais toujours foncedé ! « You´re high man, you’re high ! » À force de me dire que j’étais high, j’ai commencé à taguer HiGH !
Quelle est ta spécialité dans le graffiti ?
Ma spécialité c’est le tag tout simplement, parce que j’aime ça. J’ai toujours tagué partout et puis j’ai commencé à traîner avec des mecs qui faisaient des terrains. Moi qui étais plus « rue », j’ai vu des gens qui prenaient leur temps, qui avaient leur spécialité. À partir de ce moment, j’ai commencé à soigner mon style.
À ce propos, peux-tu définir ton style ?
J’ai un style assez parisien que je crois un peu old school. Évidemment, mon style change un peu en fonction des actions que je mène. Si j’ai un métro à faire, je vais produire un graffiti avec un fort impact visuel à base de chrome et de noir pour la rapidité et l’efficacité. Si j’ai plus de temps ou que je suis sur terrain vague, je serais plus attentif à la précision en restant dans un style assez classique. Je ne suis pas tellement wild style, j’aime voir mes graffs tout propres !
Quelles ont été tes influences ?
J’ai toujours aimé le travail de SHOE, COLT et MODE2… J’ai été très marqué par les gros noms des 80’s et de toutes les années 90 de manière générale.
Qu’est-ce que le mouvement Hip Hop représentait pour toi à tes débuts et que représente-t-il pour toi aujourd’hui ?
Ce qui m’a plu au début, c’est une énergie collective, une envie de faire bouger des trucs ensemble et d’évoluer. Ça s’est individualisé de nos jours, les médias, les réseaux ont changé, ce n’est plus la même époque.
Grâce au graffiti, quelles furent tes plus belles rencontres ?
Mes plus jolis moments de graffiti, je les ai vécus en faisant des rencontres à travers le monde. Un jour par exemple, je me suis retrouvé au Japon dans un magasin de bombes. J’étais en quête d’action et j’avais repéré dans le shop une équipe qui préparait clairement un coup. Au Japon, on ne s’adresse pas facilement aux inconnus comme en France. À l’époque, il n’y avait pas de traducteurs, ni de smartphones. J’ai fait des pieds et des mains pour simplement leur faire comprendre que j’en étais. Je voulais juste peindre ! On a commencé à sympathiser dans un mélange d’onomatopées, de langue des signes et d’anglais ultra rudimentaire. Ils me disaient : « You » en me pointant du doigt une bière, on riait un peu gênés… Il y avait presque zéro communication à part le graffiti et ça nous a suffit. Aujourd’hui on se parle encore sur internet.
Aussi, une fois en Floride avec des latinos, à l’époque j’étais sorti du graffiti game parce que j’étais à fond dans la musique, je crois qu’on tournait un clip ou un truc comme ça, quand un mec à sorti un marqueur et a tagué un mur. Moi qui n’avais rien fait depuis dix ans, je me suis retrouvé fasciné à nouveau et j’ai ressenti les mêmes émotions qu’à mes débuts ! Ça m’a fait tellement envie que je lui ai taxé son marqueur pour mettre mon blaze aussi et c’est ainsi que je me suis refoutu dedans !
Quels sont tes supports de prédilection ?
Je peins un peu partout, train, métro, rue, terrain un peu, mais surtout vandale. En ce moment, c’est l’hiver, j’ai pas d’équipe. Je suis très seul. Ça ne me déplaît pas, c’est différent seul. Avec ton binôme, quand tu en as un, tu pousses plus les actions, c’est galvanisant ce partage, tu es plus dans l’anticipation parce que tu dois prendre soin de la sécurité de l’autre aussi. Seul, t’es clairement pas aussi attentif ! Souvent les accidents arrivent quand tu pars solo avec tes écouteurs et que t’as personne pour te back-up… Est-ce que j’ai peur de mourir pour autant ? Non, sinon je n’aurais rien fait. Je ne recherche pas l’adrénaline, c’est juste que ça me prend par vagues. À certains moments, en haut de la crête, j’ai envie d’en faire tous les soirs et d’autres semaines dans le creux de la vague, je ne peux même pas voir une bombe en peinture !
Comme dans chaque passion dévorante, il y a des versants négatifs, peux-tu nous en dire plus à ce sujet ?
Côté problèmes comme tout le monde, j’ai eu ma dose : gardes à vue, courses poursuites, procès… Par rapport à l’État français, le graffiti m’a coûté un peu. À côté de ça, le milieu en lui-même est réputé pour ses embrouilles et sa violence. Je dirais que tout dépend de ton niveau d’implication et d’exposition dans le game. Il y a des gens que tu n’imaginerais pas une seconde graffer alors qu’ils défoncent tout depuis des années, des gens qui ne portent pas de casquette Hip Hop ni de t-shirt Wrung [marque streetwear créée par des graffeurs en 1995 – NDLR] et pourtant…! T’en a d’autres qui sont tellement exposés que tu peux les reconnaître pendant qu’ils font leurs courses chez Franprix comme des célébrités ! Forcément en t’exposant moins, tu auras moins d’embrouilles
Est-ce que le graffiti est conciliable avec une vie de famille ?
Évidemment ! À mon avis, si tu arrives à te lever à 4h du mat’ pour aller taper des métros et satisfaire ta passion chelou, tu peux aussi sortir de ton lit pour donner un biberon à ton bébé !
Vois-tu toujours un lien entre le graffiti et rap ? Plus généralement, comment cette discipline se rattache-elle, selon-toi, au mouvement Hip Hop ?
Rap et graffiti, beaucoup de gens ont fait les deux. T’as eu KRS-One, Fat Joe, les NTM et Dany Dan, par exemple. Perso, je ne sais pas rapper ni danser (rires). J’ai préféré continuer à dessiner en fumant des spliffs! À un moment, j’ai bifurqué dans la musique mais ça, c’est une autre histoire.
Tu pourrais me donner la différence entre un bon tagueur et un mauvais tagueur ?
Je dirais qu’il y a de très bons graffeurs qui ne savent pas taguer alors que c’est la base. Un graffeur sachant taguer doit savoir taguer tout terrain.
Est-ce que les nouveaux produits qui arrivent sur le marché t’intéressent ?
Les produits à destination des graffeurs se sont multipliés. À l’époque, j’avais un marqueur Posca 15 millimètres et c’était tout, souvent on remplissait les Baranes de cirage pour chaussures d’encre noire et roulez jeunesse ! Aujourd’hui, y’a des pompes à peinture, des bombes de tous les formats, des caps de toutes les tailles ! Je reste vigilant sur les nouveautés technologiques tout en ne les utilisant pas spécialement. Cette discipline a tellement de facettes ! Maintenant tu as des drones que tu peux programmer et qui peignent à ta place et puis de l’autre côté, t’as un mec comme Rizot qui va créer ses propres pigments en cassant des pierres, en mode retour à l’état sauvage !
Comment prépares-tu une action ?
Je ne prévois pas vraiment mais je sais quoi faire suivant l’importance du truc même si je ne suis pas un grand planificateur de base. Parfois je kicke un truc en plein Châtelet, ça m’arrive aussi de rôder autour d’un plan pendant des jours, c’est selon… Il faut savoir que si la technologie va dans le sens du graffiti, elle va aussi dans le sens de la répression, par exemple avec la multiplication des détecteurs de mouvements. Tout devient plus compliqué.
Heureusement, vous avez eu les grèves et les confinements pour vous lâcher un peu, non ?C’est sûr que pendant le confinement, les graffs restaient plus longtemps ! J’ai fait une grosse affiche qui a duré un an ! Dans le métro, c’était la folie, vu qu’ils fermaient des stations, qu’il y avait moins de trains et moins de personnel, ils effaçaient les trains longtemps après. Aujourd’hui, c’est fini tout fonctionne normalement et presque plus aucun train tapé ne circule.
Tu conçois que le graffiti soit toujours aussi réprimé ? Après tout, les murs sont couverts de publicités et de messages en tous genres…
Ça fait partie des moyens du peuple, on a de tout temps investi les murs. En ce moment, les féministes font très fort en collant leurs affiches. Personnellement en politique, je n’ai aucune revendication. Pour moi c’est un exutoire. Mais le résultat est le même, quand tu oses investir le paysage urbain sans payer, une guerre se déclenche. L’État n’arrive pas à nous contrôler, ça ne rentre pas dans le moule de la propagande publicitaire. Et puis, si c’est un enfant qui fait ça, ça passe encore, mais des mecs de 45 ans organisés comme un commando, qui s’acharnent à aller toujours plus loin dans la peinture, forcément ça interroge…
Depuis quelques années, il y a une tension dans le milieu artistique à cause du street art ? Ton avis sur cette situation ? Et sur le street art en général ?
Écoute, je ne bagarre pas avec les gens du street art. Rien ne t’empêche de tricoter des chaussettes en laine et de les mettre autour des poteaux pour te faire remarquer. Tu peux appeler ça street art et réussir ton coup ! Perso, ce n’est pas du tout mon délire. Idem pour la mosaïque, on va dire sobrement que je ne comprends pas, mais il en faut sûrement ! Ça fait plaisir aux gentils bobos. À Bastille, j’ai vu qu’ils faisaient des visites payantes « Street Art Space Invaders » pour les touristes. Faut bien vivre ! Après, les personnes qui font du street art, il faut le dire, elles n’ont pas souvent les codes du graffiti, ce qui pourrait être considéré comme un manque de respect. Je pense que c’est ça qui créé des tensions. Tu peux être très gentil dans ta démarche mais venir coller ton sticker sur mon tag, toi, tu n’y verras peut-être aucun mal, mais pour moi, c’est me toyer, je ne le prends pas bien, c’est comme m’envoyer un crachat au visage !
À ce propos, il y a tout un tas de règles tacites dans le graffiti, tu pourrais m’en dire une ou deux ?
Oui je vois de quoi tu parles, j’appelle ça les règles des anciens ! Par exemple, les bonnes places sont chères donc il y a des règles de repassage pour que ça tourne un peu. En terrain par exemple, une couleur peut recouvrir un chrome. Dans la rue, un tag à la bombe peut repasser des tags au marqueur. Un flop rempli peut repasser un contour simple parce qu’il ne sera pas considéré comme fini. Si ces règles sont respectées, la personne qui s’est faite repasser n’aura rien à dire. Et super important : on ne repasse jamais une prod sur un train ou un tunnel. C’est sacrilège, la personne a risqué sa vie !
Que penses-tu de la nouvelle génération de graffiti-artists ? Penses-tu qu’ils ont encore cet esprit Hip Hop ? D’ailleurs, ça existe encore « l’esprit Hip Hop » pour toi ?
J’aime bien l’énergie de la nouvelle génération. Le Hip Hop c’est aussi un mode de vie et pas qu’une pensée ou un mouvement. Donc la réponse est oui, les jeunes d’aujourd’hui sont toujours Hip Hop mais à leur manière !
Un mot de la fin ? Une dédicace ?
Dédicace à toutes celles et ceux qui restent vrai(e)s. C’est déjà pas mal ! Et big up à mes crews et leurs membres !
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Interview réalisée par Calinette Cendrée.