Ahmir Thompson, plus connu sous le nom de Questlove, batteur emblématique de The Roots, a sorti en 2013, à 42 ans, son autobiographie. Il aura fallu 10 ans pour enfin avoir accès à une traduction française par les Éditions BPM et Libertalia.
Une autobiographie qui n’en est pas une
N’importe qui se serait contenté de dérouler sa vie de manière linéaire, de parler de son enfance et de son parcours de vie, tout ceci ponctué par ses accomplissements artistiques. Mais Questlove ne fait rien comme tout le monde.
Passionné par la création de manière obsessionnelle, il interroge d’emblée le format de l’autobiographie.
C’est finalement ce sens de la question, de la recherche, d’une certaine volonté de comprendre et d’expliquer qui sera le fil rouge de ce livre. Conscient de cela (il en fera d’ailleurs l’objet de son blase), il va donner à son récit une autre tournure. Il va s’ancrer dans l’Histoire même de la Musique.
Issu d’une famille de musiciens, c’est son père Lee Andrews, leader de la formation Lee Andrews & The Hearts qui le met rapidement à la batterie et l’emmène en tournée. De plus, né en 1971, Ahmir était tout à fait prédisposé à se prendre le Hip Hop en pleine tronche. Cependant, il ne l’évoquera pas comme un simple auditeur mais comme un acteur de ce Mouvement. On pourrait croire qu’il arrange l’Histoire à sa sauce, quand bien même son apport au Mouvement Hip Hop et Neo-Soul est évident, mais Questlove a eu l’idée brillante de faire intervenir d’autres personnes dans cette autobiographie. Ainsi, nous pouvons notamment lire les échanges de mails entre Ben Greenman, le co-auteur et l’éditeur de l’ouvrage. On assiste alors à la construction du livre et on comprend mieux l’attitude de Questlove dans sa volonté d’être juste. Mais c’est surtout l’intervention de Richard Nichols, en note de bas de page, qui est formidable.
Nichols a été l’éminence grise de The Roots depuis leurs débuts jusqu’à son décès en 2014. Le livre lui est d’ailleurs dédié. Ses interventions dans le bouquin permettent de mettre un autre éclairage et de préciser les souvenirs d’Ahmir. L’autobiographie n’est donc plus ici une réécriture subjective d’une histoire personnelle, elle gagne en objectivité et confirme aussi l’importance de Questlove dans la Musique.
Et cette importance est réelle. Dans une démonstration plutôt convaincante, Questlove présente déjà l’histoire de The Roots comme celle du « dernier groupe de Hip Hop sur Terre ». Cette dimension de groupe est d’ailleurs conductrice tout au long de sa vie : du quintet de son père à The Roots, en passant par l’influence des Native Tongues jusqu’à la création des Soulquarians, Questlove a activement œuvré pour que ces énergies formidables fassent évoluer la Musique. Il a ainsi participé à ces évolutions, en acteur de premier plan, à travers sa contribution à la Neo-Soul et l’album Voodoo de D’Angelo en est un exemple frappant.
L’histoire de la construction des albums de son groupe nous en apprend aussi énormément sur la manière dont Questlove aborde la création. Pour lui, tout doit faire sens et cette exigence devient obsessionnelle. L’artwork, le titre, l’agencement des morceaux, le rapport au Mouvement Hip Hop, tout est réfléchi et Questlove essaie sans cesse de maintenir un équilibre entre volonté artistique et attentes du public. Cet aspect-là de son travail est d’ailleurs illustré par un dialogue du film de Spike Lee, Mo Better Blues, qui inspire le titre du livre. De cette recherche d’équilibre naîtra un constat lucide : Questlove (et The Roots) ne sera jamais une « star » mais son apport artistique est incontestable et la Musique ne serait pas la même aujourd’hui sans eux.
Au-delà de son histoire propre, c’est l’amour de la Musique qui transpire aussi dans ce livre. Il est d’abord établi que le batteur de The Roots n’est pas qu’un simple auditeur. Il inscrit ses écoutes dans les moments de sa vie, il décortique les crédits des albums, lit les critiques (auxquelles il attache une importance énorme), il cherche à comprendre…
Son rapport à la Musique est viscéral (l’homme est aussi DJ et la manière dont il construit ses sets est racontée ici de manière passionnante). Il nous offre d’abord sa sélection d’albums année par année pour les années 80 et 90 avec certains des titres qui ont le plus marqué ces années-là. Son récit est aussi ponctué tout du long de références diverses aussi évidentes que surprenantes.
Cette autobiographie, qui au final n’en est pas vraiment une, est le témoignage d’un acteur important du monde artistique contemporain, d’un amoureux de la Musique et d’un passionné de la création. En ça, ce livre peut toucher même un lecteur qui ne serait pas forcément fan de son groupe.
À propos de tous les projets dans lesquels il s’est impliqué, Ahmir Thompson fait part de ses doutes, évoque l’importance de l’entourage et confie sa fragilité par rapport à la construction de son œuvre. Une œuvre qui aujourd’hui va au-delà de la Musique puisqu’il touche aussi au cinéma ou même à la gastronomie. Étant un homme toujours avide de connaissances, qui veut sans cesse comprendre et créer, Questlove ne fait rien comme tout le monde et c’est bien ça qui en fait un artiste à part.
Playlist « Mo Meta Blues »
Le foisonnement de références musicales dans ce livre a amené la construction d’une playlist de plus de 350 titres regroupant toutes les sources présentes dans le livre. Parfois, quand seulement un album est cité, nous avons choisi le morceau le plus connu ou le plus emblématique qui en est issu.
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Chronique écrite par Piem