David Desharnais aka Monk.E est l’une des figures emblématiques du paysage Hip Hop québécois. Artiste prolifique, il se définit comme un alchimiste du son et de la peinture car ses talents s’épanouissent dans le graffiti mais aussi dans le rap… Indépendant et très attaché à sa liberté, Monk.E a su marquer les esprits avec ses créations artistiques visuelles et musicales mais aussi par son engagement social.
Bonjour David peux-tu te présenter en quelques mots ? Pourquoi ce pseudo ?
Je suis Monk.E, le moine de l’énergie. Alchimiographiste (alchimiste de la peinture) et alchimiophoniste (alchimiste du son) québécois. Artiste souverain auto-produit et auto-promu comptant à son actif plus de 1200 fresques et 19 albums de musique sortis dans 26 pays différents. Sans compter les conférences, les bodypaintings, les expositions, les causes philanthropes et autre projets incessants dus à mon workaholisme obsessionnel.
Comment s’est passée ta rencontre avec le Hip Hop ?
Déjà enfant je dessinais et écrivais des poèmes et des scripts de bandes dessinées. Mes parents, québécois ouverts sur le monde, ont adopté une orpheline haïtienne lorsque j’avais 6 ans. Témoin du parcours de ma sœur, le racisme et les injustices ont été très clairs pour moi dès très jeune et par compassion je cherchais à être impliqué dans le changement.
Ensuite, c’est à travers les films de sports extrêmes que j’ai découvert le Hip Hop. Les vidéos qui auparavant étaient montées sur des musiques punk rock commençaient petit à petit à aussi inclure du rap. Pharcyde, Cypress Hill, A Tribe Called Quest, Nas, etc… Le punk rock m’attirait à cause de sa dimension sociale mais le Hip Hop était de loin plus magnétisant car, en plus de pouvoir transformer mes poèmes en rap et mes dessins en graffiti, son idéologie révolutionnaire et festive me permettait d’y réunir l’ensemble de mes aspirations.
Qu’est-ce que le Hip Hop représentait pour toi à l’époque et que représente-t-il pour toi aujourd’hui ?
De manière générale, le Hip Hop c’est le fond et la forme présentés à travers une diversité de media inspirants pour des communautés souvent oubliées ou censurées sur les plate-formes publiques. De manière personnelle, c’est ma vie depuis que j’ai 14 ans. Ma famille, mon école, ma thérapie, mon gagne-pain. Même si le Hip Hop a beaucoup évolué à travers les décennies, ce qu’il représente demeure inchangé pour moi.
En regardant tes fresques on peut voir beaucoup de portraits d’inspiration inca ou « typés », c’est un truc que tu fais depuis tes débuts ou c’est une influence due à tous tes voyages à travers le monde en mode globe-trotter ?
Ma mère, de manière inclusive, achetait des tableaux d’art haïtien pour que ma sœur ait un lien avec sa culture d’origine. On avait des tapis péruviens et une collection de cactus. Ma maison était un petit musé de l’imaginaire de ma mère qui, de par notre situation de famille prolétaire, n’a jamais eu la chance de sortir du Québec. Très tôt cet imaginaire a été contagieux pour moi. Je cherchais à comprendre le monde à distance, en me plongeant dans les diverses cultures accessibles par les livres et les documentaires. De plus, comprenant très tôt que le discours public était corrompu par le racisme occidental institutionnalisé, je cherchais à présenter sur les plate-formes publiques ce qui y était censuré. La beauté africaine et sa diaspora, le savoir natif d’Amérique et de tous les continents. Mes nombreuses tournées internationales ont par la suite, petit à petit, sculpté ma compréhension du monde et ont renforcé mes convictions artistiques.
Pourrais-tu définir ton style en tant que graffeur et tes influences graphiques ? Tu te considères comme un artiste Hip Hop ?
Je suis un artiste issu du Hip Hop mais mes influences débordent de ce mouvement maintenant. Je trouvais que rebaptiser mon art « post-graffiti » était prétentieux et inexact donc j’ai cherché à créer un terme spécifique à mon processus créatif. L’alchimiographie c’est le processus alchimique à travers l’art visuel. Le graffiti pur est une forme d’alchimiographie pour moi. Transformer une ruelle glauque en musée à ciel ouvert est de l’alchimie pure. Idéologiquement je dirais que c’est ma mission depuis toujours : donner vie à ce qui semble mort et transformer le plomb en or. Au niveau esthétique je suis un mix de mes expériences : surréalisme, graffiti, calligraphie, etc…
Tu viens du Canada, peux-tu nous dire ce que tu penses du niveau canadien et québecois dans le milieu graffiti ?
Le graffiti québécois ressemble au melting-pot culturel de la région. Il y a beaucoup d’influences américaines et européennes grâce à notre emplacement géographique mais aussi pleins d’autres approches uniques et diverses. Des artistes très très inspirants sont issus de chez moi.
Je ne te vois pas faire beaucoup de lettrages, est-ce parce que ce n’est pas ton kiff, que ça ne t’intéresse pas plus que ça ou que tu ne maîtrises pas, tout simplement ?
J’aime et j’aimerai toujours le lettrage. C’est la compréhension de la structure de la lettre qui a fait de moi un bon calligraphe. Le graffiti demeure un kiff esthétique et divertissant pour moi. Cependant j’ai des tonnes d’idées précises à partager qui nécessitent des éléments figuratifs pour que l’histoire soit comptée clairement.
De nombreux graffeurs ayant fait « l’école de la rue » ne se reconnaissent pas et rejettent parfois violemment tout l’engouement (plutôt récent) pour le street art après des années de répression du graff, est-ce ton cas ? Et comment cette problématique est vécue dans le milieu graffiti canadien ?
Même le terme street art, je ne l’aime pas. Je le vois comme une culture colonisatrice. J’étais jugé à l’époque car je faisais de l’art urbain figuratif avant que le street art ne soit à la mode. Mais mon art figuratif respectait les lois de la rue et des courants la gérant. Le terme street art est arrivé avec un certain nombres d’artistes opportunistes n’ayant aucune racine réelle dans la rue. Je serai toujours pour la diversité des styles, des méthodes et des approches mais la considération, le respect des anciens nous précédant et l’authenticité demeurent incontournables.
Ici il y a une guerre évidente depuis presque 10 ans entre le monde des vandals radicaux et celui des projets corporatifs.
Chaque graffeur a ses préférences en ce qui concerne le matériel utilisé, quel type de bombes de peinture préfères-tu et pourquoi ?
Je créé à travers le monde et souvent dans des conditions challengeantes. Je peins habituellement avec ce que je trouve, j’ai rarement le luxe de choisir.
Tu fais aussi du rap en dehors du graff, mais si tu devais n’emporter avec toi qu’une seule de ces deux activités sur une île déserte, micro ou bombe ?
Y a pas d’électricité sur une île déserte, le micro serait inutile.
Quand on dit « esprit Hip Hop », ça te parle ? C’est un concept qui se perd selon toi ou est-il toujours bien vivant ?
L’esprit me parlera toujours. À plus forte raison celui du Hip Hop. Inspiration vient du latin « in spiritus » qui signifie « dans l’esprit » donc toute inspiration provient du monde spirituel. L’esprit du Hip Hop est entièrement responsable de son succès international des dernières décennies. Le concept est grandement dilué quand le Hip Hop devient pop car le mainstream a un esprit propre à lui et pour y être invité le Hip Hop a dû s’y adapter. Cependant l’esprit du Hip Hop originel underground conserve une effervescence impressionnante sur tous les continents.
Je sais que tu as beaucoup bossé avec Gyver Hypman peux-tu nous parler de votre rencontre ?
Je tournais en France pour la première fois en 2006 et j’avais des difficultés à créer de vraies relations humaines. Une amie parisienne m’a dit que son cercle d’amis me recevrait à bras grands ouverts, et c’est ce qui est arrivé. Gyver et sa magnifique famille ont été mes hôtes principaux pour mes 17 tournées en France depuis.
On a fait un album en duo, Le Gris Impérial, et nous préparons la suite tranquillement.
Peux-tu nous donner un top 5 de tes graffeurs favoris ?
Impossible, désolé, la liste change constamment. Chaque année différents artistes deviennent des canaux inspirationnels de l’avant-garde de leur époque. Avec mes 23 ans de graffiti, chacune de mes étapes de développement a été enrichie par ces nombreux pionniers.
Est-ce que vivre de sa musique au Canada est difficile ? Les media y suivent les artistes indépendants autant que ceux signés en majors ?
L’industrie musicale est cruelle. La seule survie professionnelle possible au Québec c’est via les subventions culturelles, chose que j’ai évité toute ma vie. Je suis souverain et autofinancé par ma peinture.
Quel a été ton meilleur featuring sur un morceau rap ? Et ta meilleur collaboration sur une fresque ?
Des tonnes de trucs ont été significatifs dans ma vie. Mais niveau reconnaissance de l’industrie y a mon morceau original avec Kendrick Lamar et mon œuvre visuelle pour Walt Disney.
Est-ce que comme de nombreux MC’s, tu composes des beats et si oui, tu taffes sur quelles machines ? Il y a un beatmaker avec qui tu rêverais de bosser ?
Je suis pas beatmaker mais je co-produit et co-réalise tout ce que j’entreprends : séquencage, arrangements, mix et master.
Y a des tonnes de beatmakers que j’aimerais rencontrer… Y a pas moyen de ramener Jay Dilla à la vie…
Tu as un nouveau projet d’album en cours ? Une nouvelle collaboration avec Gyver Hypman ?
Oui je travaille sur plusieurs trucs simultanément. Des nouveaux morceaux avec Gyver mais aussi beaucoup de musique en Afrique de l’est. Après mes 18 albums de rap, l’influence musicale africaine est douce à mon processus. C’est rafraîchissant.
Mon nouvel album To Suffer with a Smile On en duo avec l’artiste dancehall ougandais Zex Bilangilangi a été publié sur toute les plate-formes il y au mois de mai dernier. Tout a été produit, écrit et enregistré à Kampala en Ouganda et avec des Ougandais.
J’ai signé un deal avec la télévision nationale ougandaise NBS me permettant la promotion de l’album. Lorsque j’ai effectué ma septième tournée en Ouganda pour promouvoir le deuxième single et lancer l’album, j’ai été surpris par le lockdown. J’y suis depuis cinq mois, en attendant que les frontières ouvrent de nouveau.
Nos deux premiers singles sont entrés en rotation et le troisième est sorti début juillet donc espérons un scenario similaire pour cette nouvelle sortie.
Un mot de la fin pour les lecteurs de T-Rex ?
Gratitude.
Retrouvez Monk.E sur les réseaux sociaux : Facebook, Instagram, Bandcamp et YouTube