Producteur et beatmaker, notamment au sein du collectif Altered Channel (avec Kyo Itachi et Azaia), ex-MC & DJ, le français Venom est aussi le fondateur du label Marvel Records sur lequel est, entre autres, sorti un album du old timer Blaq Poet. Venom nous parle aujourd’hui des influences qui l’ont construit pour en faire l’un des acteurs les plus talentueux de l’underground rap contemporain.
Bonjour Venom, pour commencer, peux-tu nous dire ce qu’on écoutait chez toi dans ton enfance et quels sont tes premiers souvenirs liés à la musique ?
Tout d’abord, respect à T-REX, rare descendant d’une espèce éteinte !
Dans mes premières années de vie j’étais entouré des frères de mon père à Saint-Denis, ils surfaient tous sur un genre musical différent, Bob Marley, The Police et Kassav’ pour mon oncle Christophe. Franck lui était dans le rock, le heavy metal avec The Clash, Iron Maiden, etc… Mon oncle Norbert (paix à son âme) c’était plutôt les Rolling Stones et Hendrix et enfin Frédéric était possédé par le funk de D-Train et Shalamar. Ma mère était fan de Prince, et mon père était batteur, il écoutait beaucoup Santana et James Brown. J’ai baigné dans un océan de musique.
Puis une période sombre est venue nous mettre la tête sous l’eau, nous étions pris à la gorge ma mère, mes frères et moi et les seuls téléporteurs imaginaires que j’avais étaient les cassettes de The Police et les magazines Strange (qui regroupaient les publications des comics US Marvel pour la France, ndlr) que j’avais taxé à un de mes oncles. Ce souvenir lié à la musique n’est pas le premier mais c’est le plus important de ma vie.
Tu nous racontes ton premier contact avec la culture Hip Hop ?
Quand j’étais gosse je parcourais secrètement les Betamax et les VHS de mon père, à la fin d’une cassette il restait des bouts d’enregistrements et je suis tombé sur un gars qui dansait habillé en agent de la circulation au milieu des autos-tamponneuses, c’était H.I.P. H.O.P. l’émission de Sidney, je n’avais jamais rien vu de pareil. J’ai croisé la route de Sidney plus tard qui se souvenait de cette séquence et m’a révélé que c’était Solo le breakdance cop ! Respect éternel à Solo.
Te souviens-tu du premier disque que tu as acheté (rap et/ou non rap) ?
Rap : NTM – 1993, J’appuie sur la gâchette
Non rap : Madonna – Like A Virgin. J’étais dingue de cet album. Plus tard en réglant ma visée sur les producteurs, j’ai compris pourquoi quand j’ai réalisé que c’est Nile Rodgers et Bernard Edwards de Chic qui étaient derrière cet album.
Quel était ton MC favori à l’adolescence ? Est-ce que c’est toujours le même aujourd’hui ?
Je n’ai jamais vraiment eu un artiste favori que j’allais brandir et défendre comme si c’était un ami. Il y avait tellement de diversité et d’univers comme c’est redevenu le cas aujourd’hui. Le matin tu étais dans le Wu-Tang, l’après-midi dans le G-funk, le soir avec les Native Tongues et enfin, une nuit réussie s’accompagnait de new jack/R’n’B.
Si tu devais faire un top 5 d’albums de rap (français ou autres) ?
Pour le rap français : Minister Amer – 95200, Democrates D – La Voie du Peuple, Assassin – L’Homicide Volontaire, la compilation L432 et NTM – 1993, j’appuie sur la gâchette.
Quel est le rappeur français que tu as le plus écouté ?
Black Jack et Mickey Mossman de Democrates D, leur voix m’ont suivi tout ma vie.
Le Crime est leur track le plus connu mais la puissance du discours sur le reste du disque m’a attrapé et ne m’a jamais relâché. J’aimerais d’ailleurs rencontrer Mickey Mossman pour en discuter avec lui.
J’avais des potes jumeaux quand j’étais plus jeune qui venaient des Bosquets à Montfermeil, la première fois que j’y suis allé j’ai senti l’énergie présente dans leur musique, ça m’a confirmé ce sentiment de sincérité dans le disque. J’ai le souvenir d’y avoir rencontré pour la première fois un Imam asiatique.
Quelles sont tes trois 3 punchlines préférées ?
« Retire tes habits chérie » Chazz Michael Michaels dans Blades Of Glory
« I drop science like Cosby drop the babies » ODB – Brooklyn Zoo
« There is a hole in the ozone layer, and you think I give a fuck about who’s the biggest player ?! » Jeru The Damaja – Scientifical Madness
Quel artiste/groupe ferais-tu écouter à quelqu’un pour lui faire découvrir le rap ?
A Tribe Called Quest sans hésitation.
Quel titre est, selon toi, le plus représentatif de la culture Hip Hop ?
Treacherous Three – Feel The Heartbeat
Le groupe ou artiste qui possède la discographie la plus impressionnante selon toi (rap ou non) ?
Pour moi c’est Prince, orthographié sous toutes ses formes, son catalogue est infini, avec ses productions pour Sheila E, The Time, The Family, Jill Jones, Vanity 6 puis Appolonia 6, MadHouse, Eric Leeds…Entre les albums et les maxis, c’est la section la plus volumineuse dans ma collection de disques.
Quel est le genre musical qui t’inspire le plus pour composer ?
Tu devrais plutôt me demander quel genre de films !
Tous ceux dont plus personne n’a rien à cirer mais avec lesquels je prends un pied pas possible.
Quel est le style musical que tu ne peux absolument pas écouter ?
Par principe tout ce qui glorifie directement le diable et dégrade les femmes, autrement je peux trouver une mélodie qui me transperce dans n’importe quel genre.
Quels styles musicaux hors rap écoutes-tu régulièrement ?
Tous les genres possibles, avec une majorité de new wave, funk, heavy metal, disco, jazz, jazz rock/fusion, rock FM.
Peux-tu nous donner tes 3 albums favoris hors rap ?
Trois c’est impossible mais je t’en donne 10 dans le désordre:
Prince – Dirty Mind,
Nina Hagen – Fearless,
John Coltrane – A Love Supreme,
Ratt –Invasion of Your Privacy,
Pat Benatar – Crime Of Passion,
Sade – Diamond Life,
Evelyn Champagne King – So Romantic,
The Police – Zenyatta Mondatta,
Rufus & Chaka Khan – Street Player
Vanity 6 – Vanity 6.
Le genre musical que tu aimes mais qui « agace » ton entourage ?
J’écoute rarement de la musique avec les gens, j’ai toujours été seul avec ça, sauf avec mes gosses que j’éduque avec ce que j’aime et une poignée de personne que je sais réceptifs. Donc je ne me retrouve jamais dans ce genre de situation. Par contre j’ai un vieux souvenir, des mecs de ma zone qui craquaient et sortaient de ma voiture le cerveau oppressé par l’album MOP – First Family For Life que je blastais constamment et à un volume du tonnerre !
Un petit plaisir musical « coupable » à nous avouer ?
Aucune culpabilité! J’assume tout ! Haha ! J’aime aujourd’hui des chansons que beaucoup (dont le moi de 1995) trouveraient risibles comme Egma – Never Gonna Loose Your Love (de l’euro dance parfaite !) ou la musique de la pub pour Hit FM de 1984 au début de la VHS UGC du Justicier De New York. Mais ce n’est pas un problème pour moi, j’ai appris à ne suivre que mon instinct et mes sensations. Je veux que la musique que j’écoute me remue. Aime ce que tu aimes le reste on s’en tape. Les débats sur la musique c’est de la masturbation et ça finit toujours par une éjaculation de conneries.
Tu peux nous citer un artiste qui, selon toi, n’est pas assez connu ?
Laurent Melki. Un illustrateur de génie, une légende encore vivante avec une histoire et une passion que j’ai rarement retrouvé ailleurs.
Le son qui te met de bonne humeur ?
Christopher Cross – All Right
Et celui qui te fait réfléchir ?
Tears For Fears – The Working Hour
Quel est le son qui te fait voyager ?
Fania All Star – En Orbita
Et pour te détendre ?
A Taste Of Honey – Don’t You Lead Me On
Et sinon tu écoutes quoi en ce moment ?
Nems & Jazzsoon Gorrilla – Moonsoon, du rap pur et dur.
Et le dernier Busta Rhymes.
Quel est le beatmaker qui t’as le plus inspiré à tes débuts ?
DJ Premier, sans conteste. Un mec discret caché sous une casquette avant l’avènement des réseaux sociaux. Que tu reconnaissais à la première seconde d’écoute.
Je trouvais ça hyper puissant. Ses découpages étaient moins impressionnants et travaillés que Pete Rock ou Sermon, mais hyper précis et ça permettait de comprendre comment il travaillait ses samples. Plus facile à étudier pour un profane que les fous furieux du Bomb Squad qui superposaient des dizaines de samples.
Même chose pour ses scratches, Premier est de l’école des 80’s, quand le scratch ajoutait à la mélodie du morceau même si c’est que du « baby scratch ». Un DJ sur disque il faut qu’il habille le track avec style, si c’est pour faire une démo technique sans groove, ça sonnera comme un mec qui cisèle un solo de metal en acier sur du reggae.
J’ai étudié un paquet de producteurs seul ou avec mon frère MC Zombi. J’ai aussi acheté des albums horribles uniquement pour le track de Premier dedans. Ça ne m’est jamais arrivé pour aucun autre. Premier c’est le héros.
Celui dont tu aimerais atteindre le niveau ?
Sincèrement aucun. Je ne veux marcher sur les traces de personne, ni être une sorte d’héritier d’un son spécifique. De toute façon je pense que ce n’est pas possible. Les temps sont différents, les légendes de la production ont évolué dans une forêt vierge, une forêt d’émeraude, ils cueillaient les samples au pied des arbres. L’industrie payait le reste. Pour nous cette forêt est maintenant une jungle surpeuplée et dangereuse, on prend tous les risques, on doit grimper très haut pour espérer goûter des fruits inconnus qui sont peut-être empoisonnés, pendant que tes concurrents appuient leur tronçonneuse sur le tronc ! Je me bats contre moi-même et contre mes influences pour ne pas les laisser me posséder, c’est très difficile. Mais il faut de l’amour-propre et garder les yeux sur sa voie, celle qui te mènera au pic de ta destinée. À travers la vallée du diable.
Un beatmaker trop sous-estimé selon toi ?
Fredro Starr, il a produit tout le deuxième Onyx comme une bête (avec l’aide de 8Off/Agallah, ndlr).
Quelle est votre inspiration commune avec tes compères Kyo Itachi et Azaia ?
La vision qu’on partage est surtout basée sur la passion pour cette culture qui a marqué et sauvé nos vies.
On veut laisser des traces de notre passage dans le Hip Hop avec le moins de compromis possible. Nous sommes aussi liés par une amitié forte. Quand l’un de nous sort un disque on veut le voir gagner.
Tu travailles sur MPC ? Plutôt à base de samples ou en composition pure ?
Pas de MPC pour moi, mais deux machines Ensonic ASR-X et EPS 16+, ainsi que mon 1er sampler le EMU ESI 2000.
Je reste un disciple du sampling pour toujours et à jamais, faire un beat improbable, rugueux comme Freddy Krueger avec un sample de Roger Rabbit, c’est magique.
Est-ce que tu joues d’un instrument ? Tu aimerais t’y mettre ?
Ma tragédie c’est ça, je rêve tellement de jouer de tous ces instruments à la fois, batterie, sax, piano, basse, que j’en suis encore à analyser la hauteur du mur.
L’instrument que tu préfères sampler pour tes beats ?
Le saxophone, celui des 80’s, celui que Tackleberry tiens dans Police Academy, médusé par les seins nus qui dansent devant lui sur la plage !
Si tu devais faire un top 5 de tes beatmakers préférés ?
Aujourd’hui je dis Jimmy Jay, DJ Premier, DR Period, Clark Kent, Erick Sermon.
Hier c’était Easy Mo Bee, Q-Tip, 45King, K-Def et Jay Dee.
Demain ce sera RZA, Marley Marl, Trackmasters, Kay Gee, Teddy Riley…Ça change chaque jour.
Quel est le sample que tu aurais aimé avoir trouvé ?
Dynasty – Adventure In The Land Of Music que Ski a utilisé pour Camp Lo.
Tu peux nous citer 3 albums qui, pour toi, sont des « mines » à samples ?
Bob James – One, Minnie Ripperton – Adventure in Paradise, 24 Carat Black – Ghetto : Misfortune’s Wealth. Ils sont biens connus de tous et me semblent ultimes.
Quel est le rappeur/la rappeuse pour qui tu aimerais ou aurais aimé produire ?
Redman
Si tu devais créer un « super-groupe » de rap, tu sélectionnerais qui ?
Un groupe de femmes puissantes et actuelles : Rapsody et Princess Nokia au rap et Solange Knowles au chant.
J’adore les voix de femmes dans le Hip Hop, j’ai d’ailleurs produit Femme Fatale un album avec Ninjustice (groupe de production formé de Kyo Itachi & Venom) pour une nana de New York. Elle s’appelle Marquee, une ancienne protégée du DITC et de Queen Latifah.
Quel est le MC dont le talent mériterait de meilleures prods selon toi ?
Rockness Monsta de Heltah Skeltah. Kyo Itachi et moi en parlons souvent .
Il y a un album que tu aimerais remixer entièrement avec tes propres beats ?
L’album de Sauce Money – Middle Finger U. Toutes ses apparitions étaient imparables, All Night Party avec Dennis Scott en 94, Bring It On sur Reasonable Doubt de Jay-Z, Against The Grain, ou encore Action. J’avais des hautes attentes pour ce disque mais quasiment tous les beats du disque étaient fades.
Tes instrus possèdent souvent une dimension cinématographique, quel est ton top 3 pour les bandes originales de films ?
Ne jamais révéler ses sources, une règle ancestrale !
Quel est le film dont tu aimerais « refaire » la bande originale ?
Coup Pour Coup un film que j’adore avec Van Damme, j’ai toujours pensé qu’il aurait mérité une BO avec plus de caractère que ces nappes de synthé faciles. Une BO Hip Hop comme pour Désigné pour Mourir avec Steven Seagal ou Prof & Rebelle, ça aurait tout arraché.
Quel titre tu choisirais dans ta discographie pour faire découvrir ton travail à quelqu’un qui ne le connaît pas ?
The Revenge feat. MED de mon album Ruff N Tuff.
Le nom de ton label Marvel Records reprend le nom de la célèbre firme de BD, qui serait pour toi le super-héros du rap ?
Rakim. C’est Serval ! Les griffes toujours affûtées depuis 40 ans, il s’auto régénère constamment, et sans rien sortir.
Pour finir, quel est ton GOAT Album (Greatest Of All Time) ?
Michael Jackson – Thriller. J’aime bon nombre de disques bien plus que celui-ci mais je ne peux rien mettre au-dessus de ce monstre parfait.
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