Plongé dans la musique par son univers familial, Skullo développe très tôt un talent pour l’écriture et un appétit pour la lecture. C’est ce qui l’amène aujourd’hui à partager son nouvel album « Peau Noire, Masque Noir ».
Entretien avec un artiste conscient à la plume observatrice.
Bonjour Skullo, peux-tu te présenter un peu ?
Bonjour, je m’appelle Skullo, je suis membre du groupe Fôshen (Bobby Ban), et du collectif Underground Conspiration. Je rappe depuis pas mal d’années et je viens de sortir mon premier projet solo Peau Noire, Masque Noir. Sinon je vais plutôt bien malgré le contexte actuel.
Pourquoi as-tu choisis ce nom de scène?
Ce surnom me vient d’une époque, bien avant le rap, où je passais beaucoup de temps à jouer aux jeux vidéo. Il nous arrivait avec les frères de jouer à Street Fighter et j’aimais me faire taper (je ne gagnais pas souvent faut l’admettre) avec le pseudo Skullomania. Avec le temps, le surnom m’est resté.
Fôshen, ça vient de Foshan, qui est une ville de sud de la Chine. Dans la plupart des films de kung-fu que l’on regardait, les grand maîtres venaient de là. Notamment IP Man, le maître de Bruce Lee, donc forcément, on venait tous de Foshan (on prononçait Fôshen).
Comment s’est passée ta rencontre avec la culture Hip Hop ?
Il y avait toujours de la musique à la maison quand j’étais plus jeune. Mon père, qui était DJ à l’époque, récupérait les derniers vinyles à la mode et nous les faisait découvrir . Un jour, il nous a offert le Mama Said Knock You Out de LL Cool J. Ça changeait des autres sons Hip Hop plus mainstreams de l’époque. Je crois que ça m’a touché et depuis j’suis resté scotché.
Tu as sorti ton premier album, Peau Noire, Masque Noir, il y a peu, pour ceux qui ne l’ont pas écouté, peux-tu nous le présenter, le résumer ?
C’est un projet dans lequel j’ai voulu montrer une première image de mon univers musical en abordant des sujets qui me tiennent à cœur. J’observe beaucoup et j’aime parler de ce que je vois, donner mon ressenti par rapport à la façon dont le monde évolue. C’est un peu ce que j’ai voulu mettre en avant sur cet album.
Il n’y a qu’une dizaine de sons, onze plus précisément, cela laisse de la marge pour envisager une suite. Il y a encore tant de choses à dire.
Le titre de ton album fait référence au livre Peau noire masques blancs de Frantz Fanon, pourquoi cette référence ? C’est un écrivain qui t’as marqué ?
Frantz Fanon est un écrivain et un homme marquant dont les luttes et les écrits devraient être enseignés au plus grand nombre. Dans son livre Peau noire, Masques Blancs , il aborde le thème de la hiérarchisation entre noirs et blancs suite à la colonisation, l’impact psychologique et les conséquences sur le vivre ensemble.
Aujourd’hui encore, les thèmes abordés par Frantz Fanon sont toujours aussi présents, quoi qu’en disent certains groupes humains stupides et trop pressés d’oublier leur histoire.
Mon titre Peau noire, Masque noir est comme un phare, une ligne de conduite que je m’ impose. Je veux être et rester moi-même sans céder à l’hyper adaptation que l’on demande toujours aux mêmes personnes. À croire qu’un bon noir est un noir bien intégré.
Cette vision ne s’applique pas qu’aux noirs, il y a trop de personnes touchées par cette pression ambiante et cela ne fait qu’accroître le malaise.
À vrai dire, je n’ ai aucune envie de « tendre vers l’autre pour être respecté » (Nat Turner).
Tu as beaucoup rappé en groupe, duo ou sur les projets des autres. Qu’est ce qui t’a donné envie de sortir un album solo ? Et pourquoi maintenant ?
Je pense qu’il était temps que je me concentre sur une façon plus personnelle d’aborder la musique. Je souhaitais explorer certains thèmes qui me tenaient à cœur sans avoir à composer avec l’énergie d’autres artistes, avec une plus grande liberté dans le choix des beats. Prendre de nouvelles directions lyricales.
Les projets en équipe développent une capacité d’adaptation qui aide énormément et rend plus efficace lors des séances studio et d’écriture.
En tout cas, je remercie grandement Sitou Koudadjé, Kaiman Lanimal et Bobby Ban pour leur participation sur les titres où leur présence me semblait évidente.
J’ai pu lire que les sonorités jamaïcaines et celles des scènes Hip Hop new-yorkaise étaient une source d’inspiration pour toi, qui sont les artistes qui t’ont le plus influencé ?
Je viens de la Caraïbe, les sonorités jamaïcaines, reggae, raggamuffin et dancehall sont très populaires aux Antilles et en Guyane (j’ai vécu en Martinique et en Guyane française avant de venir dans l’Hexagone pour mes études). Les artistes qui m’ont le plus frappé sont Sizzla, Capleton, Buju Banton… Jah Mason. Après pour la scène new-yorkaise, j’écoutais du Public Enemy, LL cool J, Kool G Rap ou Special Ed dans un premier temps. Ensuite, j’ai découvert le Wu-Tang. Je n’étais pas du tout préparé à ça. Je me souviens de la première fois que j’ai entendu ODB rapper, Method Man, le GZA … Avec mes frangins, on était dingues, des vrais gamins.
En parallèle, tu avais des groupes qui défonçaient tout et amenaient des flows toujours plus variés comme le Boot Camp Clik et MOP.
Tu écris beaucoup, tes textes notamment, et tu as même participé à un concours littéraire dans ton enfance, qu’est-ce qui anime cette envie d’écrire ?
J’étais un boulimique, j’enchaînais les livres étant petit et je relisais ceux que je possédais déjà en attendant d’en avoir des nouveaux. Il fallait que je lise constamment. À l’école, je passais pour un type étrange à cause de ça. Mais je m’en fichais, j’aimais beaucoup la façon dont les personnages et leurs émotions étaient décrits, les enchaînements de mots, les différents rythmes. J’ai trouvé que l’écriture collait à mon tempérament et je m’y suis mis.
Ce n’est que plus tard, vers 97 ou 98 que Bobby et moi on s’est mis au rap, au retour de notre grand frère. Il nous a transmis sa passion, j’ai donc trouvé aisé d’écrire mes propres textes et de les interpréter.
Pour ceux qui ne savent pas, tu peux nous expliquer ce que c’est un MC ?
MC = Maître de Cérémonie. C’est à la base celui qui prend le micro et chauffe la salle aux côtés du DJ qui passe les sons. Avec le temps, le mec est devenu plus gourmand et s’est mis à parler de plus en plus, en développant son propre style et son flow pour se distinguer des autres. Le rap est né de cette façon en fin de compte.
Dans le son Dégoutée tu parles de rap conscient, ce n’est pas un concept évident pour tout le monde, tu peux nous donner ta définition ?
Je pense que le rap conscient a pour but de véhiculer un message social ou éducatif, voire politique. Un rap prétentieux comme dirait certains. De nos jours, ce type de message peut en effet paraître prétentieux, en mode « t’es qui toi pour me dire ce qui est bon, pas bien ou m’ informer sur ce qui se passe ?! ». Le rap engagé, conscient, c’est aussi ne jamais oublier que des gens vont écouter ce que tu fais et que cela pourra avoir un impact, même minime sur leur réflexion, leur façon de voir, donc…à chacun de voir.
Qu’est-ce que le rap t’a apporté ? Dans ta vie personnelle et professionnelle ?
Du plaisir. Je me souviens d’une époque où on rappait partout, sans honte. On se croisait en pleine rue, l’un d’entre nous partait en beatbox et les lyrics pleuvaient. Pas de caméra, pas de réseaux sociaux, juste du partage entre passionnés. Maintenant, si t’as plus la passion ça se complique : il faut coller aux attentes et faire le buzz. Je pense que le blues du rappeur sans « vues » va devenir le mal du siècle. Je rigole bien sûr…enfin, à moitié.
Tu penses quoi du rap d’il y a 20 ans et de celui dit « d’aujourd’hui » ?
J’entends souvent « le rap c’était mieux avant ».
Quand on y pense, il y avait aussi de la merde avant, et les médias trouvaient quand même le moyen de leur donner un maximum d’exposition.
Maintenant, ce sont les quantités qui sont extraordinaires. Il y a pas mal de bons et encore bien plus de sons complètement nuls.
De plus, avant il y avait des « écoles » mais tu ne pouvais pas trop calquer le style d’un autre artiste sans te sentir mal. Ta réputation en prenait forcément un coup. Chaque rappeur cherchait à se démarquer. De nos jours, il faut soit coller à une mode pour être entendu et avoir de l’attention, soit être extrêmement talentueux et ne laisser aucun doute à chaque sortie, mettre tout le monde d’accord comme on dit…
Qu’est-ce que le Hip Hop représentait pour toi à l’époque et que représente-t-il pour toi aujourd’hui ?
Le Hip Hop représente toujours la même chose pour moi. L’essence même du Hip Hop n’a pas changé, c’est toujours un moyen d’expression pour ceux comme moi qui ressentent un besoin d’extérioriser une énergie enfouie au fond d’eux.
Ce qui change avec le temps c’est la perception que les gens ont de la culture Hip Hop et ce qui est inclus à tort dans cette culture et ne devrait pas l’être…selon moi.
Selon toi, le Hip Hop est-il démocratisé ? Qu’est-ce que tu penses de son influence dans le monde ?
Tout dépend, comme je le disais tout à l’heure, de ce que l’on met dans le Hip Hop. La danse se démocratise car il y de plus en plus de médias permettant d’en voir les talents. Pareil pour le graff et le DJing. Les disciplines font donc de plus en plus d’émules à travers le monde mais je ne sais pas si la vision générale sur le Hip Hop change. En tout cas, je pense que c’est le besoin de reconnaissance du plus grand nombre qui souvent prend le pas sur la reconnaissance des pairs et des vrais passionnés et à partir de là, c’est davantage ceux qui sont dans le Hip Hop qui sont influencés par le monde que l’inverse.
Est-ce que tu t’intéresses aux autres disciplines du Hip Hop (Djing, graffiti, danse) ? Qui sont les artistes graffiti, les danseurs ou les DJ’s dont tu apprécies le travail ?
Pas trop, non. En allant en soirée forcément tu entends des DJ’s et tu en connais quelques-uns. Pour la danse, j’aimais bien le délire de BBoy Junior à un moment et j’ai aussi suivi les Twins.
Que pense-tu de l’éloignement entre les disciplines phares du Hip Hop (MC, DJ, danse, graffiti) au cours du temps ?
Chaque discipline attire des adeptes différents et chacun d’eux emporte son art dans des directions diverses. Certains se sont rendus compte (notamment dans le rap) qu’il n’était pas forcément nécessaire d’être un passionné pour t’en sortir dans ce délire, et faire de l’argent.
Quand tu vas dans un festival Hip Hop, tu vois des passionnés et tu te rends compte qu’au fond, les disciplines savent se retrouver et cohabiter dans certains contextes.
Tu penses quoi de la direction que prend le rap actuellement ?
Il part dans tous les sens. Des fois, il part tellement loin que je ne le vois plus. Et c’est pas plus mal. Souvent j’entends parler de rap et je me dis qu’on ne parle pas vraiment de la même chose. Les codes ont vraiment trop changés.
Donc, comme j’aime le dire : quand tu n’aimes pas ce qui se fait, fais toi-même !
Tu es engagé dans plusieurs causes et particulièrement contre les violences policières, penses-tu que le rap actuel est moins conscient de ce genre de choses que dans les années 90 ?
Moins conscient ? Non, je ne pense pas. Il y a beaucoup plus de rap conscient qu’ à l’époque. Il est juste noyé dans la multitude mainstream et attire donc beaucoup moins l’oreille.
Et il n’y a rien de surprenant à cela quand tu vois à quel point il est facile de sortir un projet de nos jours. Tu peux rendre ta musique audible sans même bouger de ta chambre donc forcément…ça partira dans tous les sens.
C’est plus difficile dans un contexte comme ça de dénicher le rap conscient.
Lorsqu’on se retrouve sur scène pour des événements (j’ai forcément une pensée pour toute l’équipe de BBoyKonsian et le collectif Angle Mort), je suis toujours agréablement surpris de voir l’engagement des intervenants et des artistes. Ils pourraient et devraient être plus nombreux. Mais ils sont là, bien présents. C’est ce qui compte.
D’ailleurs dans pas mal de textes actuels, c’est un peu la course à la punchline, d’une phrase à l’autre ça change complètement, tu penses quoi de ce phénomène ?
Je pense que le phénomène suit un peu la logique générale : les gens ont tellement de contenus différents à suivre qu’ils n’ont plus le temps de s’attarder longuement sur des choses. Une punchline c’est vif, précis et incisif. Ça peut être en complet décalage avec le reste du texte mais ça fait le boulot. J’ai plus de plaisir à écouter un bon texte qui prend aux tripes, cohérent d’un bout à l’autre, mais je comprends l’attrait pour les punchlines.
Quand les “vines” sont arrivées, c’était pareil : un message court, net et précis. Rien à voir avec un long métrage et les gens pouvaient les enchaîner sans s’en rendre compte…Et surtout sans décrocher. Tout est une question de temps d’attention.
Certains rappeurs actuels savent très bien passer des messages forts en utilisant des punchlines. Donc si c’est bien fait, pourquoi pas.
Comment imagines-tu ton avenir dans le rap, et celui du rap en général ?
Mon avenir dans le rap dépendra du plaisir que je prendrai à en faire dans le futur. Comme je le dis dans un texte, « quand j’aime pas ce qui se fait, je fais moi-même ».
Le rap continuera d’évoluer et de suivre plusieurs directions et moi de mon côté j’irai là où je me sentirai à l’aise. Le jour où je n’aurais plus l’envie, j’aviserai mais pour l’instant, ça va.
La musique et ses moyens de diffusion en ces temps de Covid tu en penses quoi ?
Mettre sa musique à disposition du public est de plus en plus facile. Il faut beaucoup moins de moyens qu’ avant pour concevoir un home studio, de plus en plus de studios offrent une qualité intéressante, les beatmakers sont nombreux et de plus en plus talentueux et les plateformes d’échanges sont multiples. La diffusion n’est plus trop le problème. Surtout que le succès musical passe par le streaming de nos jours.
Par contre, les amateurs de scène sont tenus à la gorge. Et quand tu aimes la scène, ça crée un réel manque.
L’album vient de sortir mais peut-être as-tu déjà d’autres projets , tu peux nous en parler ?
Oui des projets à venir avec l’Underground Conspiration. On travaille également sur une autre mixtape avec Kaiman Lanimal qui fera suite à celle sortie en 2012 : Pour l’instant, ça va.
Et forcément un nouveau projet solo à venir. Restez attentifs !
Si tu devais faire un top 5 de tes rappeurs/rappeuses préférés, tu citerais qui ?
Forcément je devrais commencer par Sean Price (Heltah Skeltah) puis Rapsody. Il y a beaucoup de rappeurs /rappeuses que je trouve très forts mais c’est dur de faire une liste. Je resterai vraiment sur ces deux noms-là aux States. Puis, Busta Rhymes car le type est capable de faire le job sur n’importe quelle prod.
Enfin, en France, je suis obligé de citer Shurik’n notamment sur son solo Où je vis, Casey, et Specta.
Un dernier petit mot ? Une dédicace ?
Déjà, écoutez le projet. Une pensée pour tout ceux qui m’ ont soutenu durant la conception de l’album : Sheety Cellarist pour toute la partie technique et sa patience, Lalita Santana pour la pochette, les photos et les conseils, les invités Kaiman Lanimal, Sitou Koudadjé ( Dangereux Dinosaures) et Bobby Ban, mon frangin. Les beatmakers Sheety, Alex Zel, Bobby. Forcément une pensée pour l’Underground Conspiration et les membres de Fôshen qui me poussent à toujours faire plus fort.
Ma famille, bien évidemment, et ma mère, qui veille sur moi d’où elle est.
Love
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Interview par Zoé Lebarbier