1984, Loréa is watching you. C’est cette année-là, qu’elle a rencontré le Hip Hop. Depuis c’est une grande histoire d’amour puisqu’après presque 25 années à rapper, Loréa partage aujourd’hui son savoir et ses acquis et ne cesse de construire et de faire vivre cette culture… Rencontre avec une amoureuse du Hip Hop.
Bonjour, peux-tu te présenter en quelques mots?
Je suis Loréa, rappeuse, productrice, intervenante en ateliers d’écriture de chansons et coach d’artistes de musiques urbaines. J’ai commencé à rapper dans les années 90 avec un groupe de rap de Sarcelles, où j’étais au lycée à l’époque. Assez rapidement le groupe 1 Bario 5 S’Pry a pris forme et ça a lancé ce que je suis et ce que je fais aujourd’hui.
Est-ce qu’il y a une signification particulière à ton pseudo?
Loréa c’est la forme phonétique de lauréat qui rappelle un succès ou un prix gagné dans un concours ou un examen. J’ai appris plus tard que c’est également un prénom basque qui signifie « fleur ». J’en suis ravie, c’est très féminin.
En 1984, tu es « tombée amoureuse du Hip Hop » quel a été le déclic ?
J’avais 6 ans, j’ai rencontré un moniteur de colo qui m’a mis dans les mains le premier album des Jungle Brothers et m’a fait découvrir les Native Tongues (Jungle Brothers, De La Soul, A Tribe Called Quest, Monie Love), ça a été un coup de foudre musical et même bien plus encore ! Ces artistes étant très liés à la Zulu Nation, je m’y suis intéressé et cela m’a bouleversé. Puis il y a eu le film Break Street 84 et les émissions H.I.P H.O.P de Sidney à la télévision. Tout cela dans la même période de ma vie, ça a eu pour effet de me donner une direction à suivre et un sens à ma vie.
Quelles ont été tes influences dans le rap à tes débuts ? Et quelles sont celles d’aujourd’hui ?
Jungle Brothers, De La Soul, Monie Love et Queen Latifah ont longtemps été mes références, j’étais très influencée par les artistes East Coast, de Big Daddy Kane à KRS–One en passant par mon idolâtrie pour Gang Starr !
Puis il y a eu aussi le rap français avec IAM et NTM que j’écoutais énormément ainsi que toute la scène française de l’époque de Soon E MC à Fabe en passant par tous les artistes présents sur les tapes et compiles de Jimmy Jay, Cut Killer ou encore Logilo. Ils m’influençaient tous, X-Men, Lady Laistee ou encore Puzzle, Harcèlement Textuel… tous avaient leur style et une qualité exceptionnelle dans leurs messages, leur flow, leur musicalité, leur approche du rap.
Aujourd’hui, je ne me sens pas influencée par un artiste en particulier mais si je devais en citer je dirais Flynt, Casey, Nekfeu ou Orelsan qui savent encore allier le fond et la forme comme je l’apprécie.
Comment définirais-tu ton style artistique ?
Mon style est clairement boom bap et sensé. Old school diront certains car c’est un style qui s’est un peu perdu.
À l’époque, tu as lancé ta carrière avec le groupe 1Bario 5 S’pry, ça a bien fonctionné pour vous, comment analyses-tu votre succès à cette époque ?
L’originalité des textes et du flow, toutes ces assonances et allitérations que mon acolyte Séar faisait rimer, notre musicalité et la créativité de DJ Rody, notre beatmaker, qui sublimait les morceaux. Le fait aussi que nous soyons un groupe mixte nous démarquait clairement des autres. Puis il y a eu différentes compiles et mixtapes qui nous ont bien mises en avant car diffusées massivement sur toute la France, comme les tapes de Cut Killer ou Logilo. Puis le morceau Exercice de style sur l’album Détournement de son de Fabe nous a permis un succès plus affirmé.
Quelles ont été tes collaborations les plus marquantes et pourquoi ?
Fabe, K.Reen, Murs (du collectif californien Living Legends, ndlr), Dany Dan et Kohndo, dans un premier temps parce que je suis fan d’eux, très admirative de leur talent, de leur travail et donc collaborer avec eux est juste très gratifiant pour moi. Je remercie l’Univers pour ça. Ensuite chacune de ces collaborations a sa petite magie mais toutes m’ont permis de grandir artistiquement.
Que représentait la culture Hip Hop pour toi à l’époque ? Et maintenant ?
Le Hip Hop est non seulement une culture mais surtout une grande famille avec des valeurs fortes. Des valeurs positives et bienveillantes avant tout, comme aller dans le sens de ses convictions, faire avancer les choses, aider son prochain… Je vais être sectaire mais tout ce qui ne va pas dans ce sens pour moi n’est pas du Hip Hop. Je suis tombée amoureuse de cette culture aussi parce qu’elle était liée à celle de l’Universal Zulu Nation dont les principes « Peace, Love, Unity and Havin’ fun » faisaient échos à mes valeurs.
Et cela lui donnait du sens, quelle que soit la discipline, le rap, la danse, le graff, le deejaying, le beatboxing. Dans mon enfance je m’étais essayée à toutes ces pratiques que je chérissais mais j’étais bien plus douée en rap.
Plus tard, en 2011, on m’a « adoubée » en tant que membre de la Zulu Nation France. C’était comme un rêve d’enfant qui se réalisait et surtout cela a donné du sens à ma personne en tant qu’artiste et à mon travail. C’était de ce Hip Hop là dont j’étais tombée amoureuse à l’âge de 6 ans, preuve que je lui ai été fidèle, et le Hip Hop a reconnu mon travail comme faisant partie des siens. Gratitude !
Au moment de 1bario 5s’pry, tu dis en interview que vous n’attendiez pas que le rap vous rapporte de l’argent, cette opinion vous a-t-elle aidée à pratiquer cette discipline autrement ? Valait-il mieux penser comme ça ?
Avec 1 Bario on n’était clairement pas orientés business, on faisait ça par passion. Je pense aussi que c’est ce qui a fait que notre carrière n’a pas duré. Avec une vision plus stratégique on aurait surement été plus productifs et on aurait eu encore plus de notoriété et de longévité. Enfin, avec des « si »….
Aujourd’hui pour « réussir » dans ce domaine que faut-il de plus (ou moins) qu’à l’époque ?
Aujourd’hui il y a toute la notion de l’image à gérer, du business, du nombre de vues sur les réseaux sociaux. Le talent artistique est moins prédominant mais la créativité reste importante pour réussir aujourd’hui ! Il faut aussi une bonne équipe, savoir s’entourer de coachs, de top liners, de monteurs vidéos voire de community manager. Si on n’a pas les moyens de s’offrir tout ça, il faut avoir beaucoup de temps à soi pour tout gérer et être polyvalent sur des logiciels de son (pour s’enregistrer en mode home studio) et sur des logiciels vidéo (pour faire ses clips et vidéos soi-même) à l’heure où l’image est primordiale.
Il y a 20 ans, quelles étaient tes attentes en tant que rappeuse ? Et quelles sont-elles maintenant ?
La reconnaissance. J’avais juste envie qu’on dise de moi que j’étais une bonne rappeuse et que j’avais du talent. Ça n’allait pas plus loin. J’ai obtenu cette reconnaissance et donc j’ai pu avancer en accompagnant d’autres artistes, en les aidant à écrire et à évoluer dans leurs projets. C’est ce que je fais aujourd’hui et depuis maintenant plus de 10 ans. J’en suis très fière. À 43 ans je me vois d’avantage comme coach que comme rappeuse.
Dans une interview pour Madame Rap, tu expliques qu’avant de commencer à rapper tu écrivais déjà des poèmes, est-ce que tu penses que l’écriture de textes, la capacité à être un bon lyriciste pour les MC’s dans le rap se perd dans la nouvelle génération ?
En effet, le message, la qualité d’auteur, le travail des rimes sont beaucoup moins d’actualité. Lors de mes ateliers écritures avec des jeunes, je remets tout ça à l’ordre du jour. Certains ne savent même pas qu’il faut écrire des rimes ! La plupart des adolescents pensent que se faire une place dans le rap c’est avoir du style, faire du buzz sur les réseaux sociaux et que ce qui se dit dans les textes n’est qu’artificiel ou secondaire. Ils n’ont pas tort car c’est ce que l’on constate lorsqu’on écoute bon nombre de rappeurs d’aujourd’hui. Ça leur fait tout drôle de travailler avec moi car ma méthode recentre tout sur le fond et la forme dans l’écriture.
À l’heure où tout le monde peut s’exprimer, est-ce que tu penses que le rap engagé a toujours sa place ?
Je pense qu’il aura toujours sa place car l’art est cyclique. Il existe toujours des artistes engagés mais ils sont simplement peu mis en avant et restent dans l’underground. S’il n’est plus à la mode aujourd’hui, il le redeviendra demain.
Peux-tu nous parler de Rapmakers ?
C’est une formation en ligne que j’ai créée pour apprendre l’écriture de textes de rap ou s’y améliorer. Rapmakers est le fruit des 13 ans d’ateliers d’écriture que j’ai menés. J’y aborde l’écriture évidemment, le flow, la rythmique et même le mental pour réussir dans son projet.
L’avantage de cette formation c’est qu’elle permet à tous de se lancer ou d’améliorer son rap, quel que soit son âge, son emploi du temps, on suit la formation à son rythme et dans n’importe quel endroit du monde (seule une connexion internet est nécessaire). Il y a plus de 30 vidéos explicatives dans lesquelles j’ai mis tout mon cœur et tout mon savoir-faire, il y a aussi des exercices à faire et des études de textes. Le rappeur Sinik aux multiples disques d’or est venu m’épauler sur ce projet et il a également contribué en faisant une vidéo sur le chapitre des punchlines !
La formation est payante mais je l’ai voulue à un prix très attractif afin qu’elle soit accessible au plus grand nombre. Les retours de mes abonnés sur cette formation sont très positifs !
Pourquoi as-tu eu envie de créer cette formation?
L’idée est née de personnes me sollicitant pour assister à mes ateliers écriture alors qu’ils sont complets ou que les personnes se trouvent en province… Il y a peu d’ateliers écriture de rap en France mais maintenant avec Rapmakers, tout le monde peut suivre ces cours !
Que permettent ces ateliers aux participants, mais aussi à toi même en terme d’échanges ?
J’ai démarré les ateliers écriture en 2008 grâce à la Maison du Hip Hop et j’y travaille encore aujourd’hui toutes les semaines. Les séances sont hebdomadaires depuis 13 ans, avec des jeunes adultes (de 18 à 35 ans environ). Depuis 2018, j’ai développé et élargi mes ateliers à toutes formes de structure (écoles, mairies, centres culturels, SMAC, etc…) je travaille avec des enfants, des adolescents et aussi des universitaires. C’est très enrichissant ! Cela me permet d’avoir une vision différente du rap en fonction des générations avec lesquelles je travaille donc je m’adapte à mon public. Toutefois mon travail et ma méthode restent quasiment les mêmes, ce n’est que l’exigence demandée qui va être revue selon si l’élève à 10, 15 ou 25 ans. Les échanges sont très riches, tout le monde apprend, moi y compris. Les jeunes me font découvrir de nouveaux rappeurs tous les jours ! Souvent les élèves ressortent avec des textes dont ils ne se seraient pas crus capables avant l’atelier, ils sont très fiers d’eux et moi aussi. C’est un très bon équilibre entre donner et recevoir.
Tu es aussi chargée de production, en quoi cela consiste ?
J’ai en effet obtenu mon diplôme de Chargée de Production en musiques actuelles en 2018. Le chargé de production est la personne qui gère quasiment tout de façon administrative, comptable et organisationnelle lors d’un événement ou projet artistique. Dans la musique c’est le backstage de l’artiste, la personne qui va tout gérer derrière pour qu’un projet puisse voir le jour. J’ai eu envie d’obtenir ce diplôme pour compléter mon expérience en tant qu’artiste et productrice afin de m’engager davantage dans l’accompagnement artistique et le développement des projets que je propose aux artistes. Entre mon expérience perso en tant que rappeuse et productrice et cette formation, je suis retournée à l‘école pendant presque un an, maintenant je connais bien les rouages de l’industrie musicale.
Plus jeune, aurais-tu aimé avoir ce genre de formation ?
Pour dire vrai, l’apprentissage que je donne est celui que j’ai moi-même reçu étant jeune rappeuse. J’ai été coachée par mon beatmaker durant des mois avant de revenir en solo suite à l’aventure 1 bario. Ce coaching m’a permis d’écrire en toute confiance entre autres mon album Loréa joue avec les lettres sorti en 2013. Avec ma propre expérience et les tonnes de textes que j’avais, j’ai travaillé ma méthode qui s’est peaufinée tout au long de ces années d’ateliers que j’ai menés. Une formation en rap n’est pas une fin en soi mais permet d’accélérer le processus d’apprentissage et d’éviter certaines erreurs qui font perdre un temps fou.
Est-ce que tu penses que les anciens du Hip Hop ont échoué dans leur mission de transmission aux générations suivantes ?
Beaucoup d’anciens se sont essayés à la transmission au travers d’ateliers écriture, et avec succès, j’en suis sûre. Pour poursuivre dans ce sens, il est nécessaire d’avoir envie de le faire d’une part mais aussi de vouloir s’engager à développer une certaine pédagogie d’autre part. Et ça, ce n’est pas toujours évident.
Je ne crois pas qu’il y ait eu un échec dans la transmission mais plutôt une forme d’évolution de la musique complètement indépendante de tout cela.
Justement maintenant tu es surtout dans la transmission, est-ce que tu aurais envie de refaire un album et de le défendre sur scène ?
Oui et non, j’y pense parfois mais plus comme un fantasme (rires). J’ai toujours cette envie d’écrire, de créer, mais je n’ai plus le temps dans mon planning de m’y investir pleinement. Et j’ai beaucoup moins d’énergie qu’avant pour la scène. Mon avenir est clairement dans le coaching et la transmission aujourd’hui.
Tu as été également influencé par des rappeuses dans le passé, selon toi la société, masculine a encore du mal à concevoir qu’une femme puisse être rappeuse ou ça y est, c’est acquis ?
Je pense que c’est acquis. Simplement, même s’il existe beaucoup de rappeuses, elles restent toujours beaucoup moins nombreuses que les hommes donc elles sont moins visibles et moins entendues.
Dans la culture Hip Hop, le rap a pris une place plus importante que les autres disciplines, il y a une séparation entre les différents arts (graffiti, danse, etc.), que penses-tu de cette évolution ?
Le rap c’est de la chanson donc plus médiatique et plus commercial qu’un autre art comme le graffiti ou la danse. Le rap est partout et est hyper accessible. Concernant les autres disciplines Hip Hop, il faut être davantage amateur pour s’y intéresser de près.
Et toi, quelles sont les autres disciplines du Hip Hop que tu aimes ou que tu pratiques ? Cite-nous des artistes que tu aimes bien ?
Je ne pratique pas d’autres disciplines même si je les avais toutes essayées quand j’étais ado (beatboxing, deejaying, danse, graffiti). Je ne m’y connais d’ailleurs pas vraiment aujourd’hui mais je peux citer quelques graffeurs.ses que j’admire beaucoup comme Yellow et Thia qui sont des amis. Chez moi j’ai aussi des tableaux aux murs de Jonone et Mode2 qui sont des icônes du graffiti depuis les débuts.
Quel serait ton TOP5 de rappeurs/rappeuses préféré-e-s ?
Peux-tu nous parler de tes projets futurs ?
Je continue de développer mon activité de coaching pour les artistes amateurs que ce soit au niveau musical (ateliers écriture, scénique et studio) et en développement de projet/carrière.
Cette année j’anime toujours des ateliers rap/slam dans un collège à Saint-Denis, une université dans le 77 à Champs sur Marne, des écoles et centres culturels (Sarcelles, Saint-Denis, Noisy le Grand …) et à Paris à la Maison du Hip Hop. Et bien sûr ma formation en ligne Rapmakers. Ceux et celles qui sont intéressés peuvent me contacter via mon site : www.jeveuxdeshits.com. Il y a aussi ma chaîne Youtube Moonlight Cardinal sur laquelle on peut voir des vidéos de coaching ainsi que mes clips…
Un dernier mot pour la fin ? Une dédicace ?
Le Hip Hop est une grande famille qui ne cesse d’évoluer, j’encourage vivement les plus jeunes qui s’intéressent au rap à faire leurs recherches aussi sur ses origines et sur l’histoire de cette culture en général car la nouvelle génération l’ignore complètement ! Et surtout ne jamais oublier que sa devise est « Peace, Love, Unity & Havin’ Fun ! »
J’embrasse et je remercie toutes les personnes qui me soutiennent, m’ont soutenue et me soutiendront ! À bientôt !
Retrouvez Loréa sur son site et les réseaux sociaux : Facebook, Instagram, Youtube. Formation Rapmakers
Interview réalisée par Zoé Lebarbier