Manyak a commencé à s’intéresser au tag et au graffiti à la fin des années 80. Aujourd’hui il peint essentiellement des pièces en 3D et des anamorphoses spectaculaires qui s’emparent d’un lieu ou d’un espace faisant ainsi partie intégrante de l’œuvre composée par le graffeur. Manyak élabore ses graffs en 3D tel un architecte des lettres, son style « hors cadre » mais très construit à la fois, donne une dimension impressionnante à ses lettrages créant une illusion de volume et de gigantisme.

Bonjour, peux-tu te présenter en quelques mots ? Pourquoi ce pseudo « Manyak » ?
Bonjour ! Je suis un graffeur de la région parisienne, je suis polyvalent mais plutôt spécialisé dans les lettrages 3D. J’ai choisi le pseudo MANYAK pour le côté méticuleux, méthodique et mon attachement aux détails mais aussi pour le côté obsessionnel du geste. Je graffe depuis plus de 30 ans et j’ai débuté en l’écrivant « Maniac ». À partir de 1991, j’ai remplacé le I et le C par un Y et un K qui me permettaient plus de flows, d’enchaînements et de variations. J’ai depuis gardé l’orthographe MANYAK et j’ai la chance de ne jamais avoir été contraint de changer de blaze malgré mes quelques GAV. Je ne suis pas un gros vandale mais j’aime taguer ou sortir faire un chrome de temps en temps, ce sont les vieilles habitudes et l’esprit originel auquel je suis attaché. Depuis quelques années j’essaye aussi de développer un travail d’atelier où je produis des toiles et des sculptures qui sont une continuité ou une déclinaison de mon travail sur mur.

Quand et comment as-tu découvert le Hip Hop et plus particulièrement le graffiti ? Est-ce que tu étais déjà attiré par le dessin ou la calligraphie avant de découvrir le graffiti ?
C’est en 88, lors d’un échange linguistique. J’ai eu la chance d’avoir un correspondant londonien qui m’avait été attribué grâce à nos intérêts communs pour le skate et le dessin. Il avait dans sa valise Spraycan Art et Subway Art (ouvrages de Henri Chalfant et Martha Cooper, ndlr) qui sont les « bibles » du graffiti new-yorkais des années 80. Il avait aussi l’album de Public Enemy It Takes A Nation Of Millions To Hold Us Back qui venait de sortir, ce fut une révélation pour moi à tous les niveaux. Il avait un train d’avance et j’y suis monté. Plus jeune, j’avais kiffé sur l’émission de Sidney qui passait quelques morceaux de rap et qui faisait apparaître des tags ou des graffs. Je ne comprenais pas tout ce qu’il se passait mais ils avaient capté mon attention. Pourtant le déclic s’est produit plus tard, au contact de cet ado anglais.
J’ai toujours aimé dessiner mais je n’ai pas toujours eu de thème précis : des voitures, des personnages, des titres (les prémices du lettrage graffiti peut-être ?). En découvrant le graffiti et sa richesse graphique qui pouvait se décliner à l’infini, j’y ai plongé immédiatement et il est devenu mon cheval de bataille.

« Pour moi, le graffiti est par essence même une discipline non appropriable et non monnayable. »

Tu te souviens de ton premier tag ou graff ?
D’après mes souvenirs, mes premières actions en 88 en tant que « toy » (comme tout débutant dans ce milieu) n’étaient pas très brillantes : quelques tags dans mon coin du 91 avec des bombes récupérées dans des garages de potes, des marqueurs onyx ou des « baranes » encore remplis de cirage… Je n’avais aucune connaissance du matériel ou des codes, je faisais n’importe quoi. Mais heureusement je passais plus de temps à m’entraîner sur papier que dehors.
On a vite formé un groupe avec des copains du collège : ABS, qu’on a changé en DKP quand on s’est rendus compte qu’il y avait des ABS à Choisy lors d’une vidée sur la ligne C. On a fait notre premier mur en couleurs ensemble en 90 après avoir négocié un budget avec le lycée où certains d’entre nous étaient entrés. Il nous est resté un peu de peinture, ce qui nous a permis d’en faire d’autres de notre côté. On a rencontré Dyfuze à cette époque, il était plus âgé que nous et déjà en place dans le milieu, il nous a expliqué beaucoup de choses que nous ignorions et qui nous ont permis d’évoluer dans le bon sens.
En 92 j’étais le seul rescapé de ce premier groupe et je rencontrais Korey et Reo. Ils m’ont d’abord présenté les MCA dont j’ai rapidement fait partie puis nous avons monté les ELM l’année suivante, notre activité est devenue de plus en plus soutenue, le vol de peinture aussi… il fallait bien subvenir à nos besoins (rires)

Quels sont les graffiti artists qui t’ont particulièrement inspiré à tes débuts ?
Au début j’ai été marqué par Mode 2 ou les BBC mais aussi Seen, Bio, Gnome et j’en passe. Ensuite les AEC ou les PCP/TW m’ont marqué chacun à leur façon, les premiers dans un style plus classique et les autres vraiment débridés. Delta ou Daim m’ont traumatisé et révélé une nouvelle vision de la lettre vers 94/95 à travers l’illusion de volume, ce qui a transformé mon graffiti.

Qu’est-ce que le Mouvement Hip Hop représentait pour toi à tes débuts et que représente-t-il pour toi aujourd’hui ?
Au départ j’y ai vu un courant novateur, un état d’esprit, un véritable mouvement artistique qui pouvait fédérer différentes disciplines autour d’une passion commune, sans discrimination d’âge, d’origine, de classe sociale, et sans volonté commerciale. Et qui en plus véhiculait une volonté de faire les choses avec ses tripes sans attendre la reconnaissance du plus grand nombre, l’approbation par nos pairs suffisait. Il y avait une énergie positive et unificatrice même si un climat de compétition et d’affrontement planait, ce qui nous poussait à nous dépasser. À 13 ans je ne te cache pas non plus que j’étais en pleine crise d’identité et faire partie de cette aventure m’a donné de l’assurance et m’a probablement aidé à trouver une place dans la société (même si nous étions plus montrés du doigt qu’appréciés). Je me suis construit à travers cette culture, ce qui est probablement à l’origine de ma position tranchée aujourd’hui sur le sujet.
À présent le Hip Hop a été récupéré car certains ont réalisé à quel point ce mouvement était riche et porteur donc on assiste à toutes les dérives commerciales comme le street-art ou le rap « inconscient » qui se consomme à grands coups de lyrics vides de sens et d’auto-tune. Peut-être aussi que c’est une manœuvre pour décrédibiliser un mouvement qui cherchait à éduquer et à tirer les choses vers le haut, ce qui peut faire peur à ce système qui aimerait que la population arrête de réfléchir pour mieux se faire bananer.
Je suis donc très déçu de ce qui est arrivé à « mon » Hip Hop mais aussi très fier de voir que malgré tout il existe toujours après 50 ans d’existence… Quel mouvement artistique digne de ce nom peut aujourd’hui se targuer d’une telle longévité ?

Tu fais partie des crews OPC, W73, MCT et OTM : tu peux nous expliquer en quoi ça consiste ? Comment on devient membre d’un crew de graffiti et pourquoi tu en as autant ?
Il y a différentes façons de faire partie d’un groupe : en le créant, en y étant invité ou en demandant d’en faire partie (ce que je n’aime pas trop). Les rapprochements peuvent se faire par les amitiés (la meilleure manière à mon avis), la localisation (par quartier, par ville, etc…), le style ou même par intérêt genre « untel est super actif, il nous le faut avec nous » (ce que j’aime encore moins).
C’est vrai que j’ai beaucoup de groupes mais après autant d’années et de rencontres je pense que c’est logique.

manyak graffiti

W73 c’est ELM à l’envers, créé en 97 avec Jaye et Kube suite à la séparation du groupe, on ne voulait plus continuer avec eux mais on ne voulait pas abandonner complètement ce qu’on avait construit. À cette époque nous n’avons pas été les seuls à faire comme ça : les BZ ont switché vers 132, les EF en 73, etc…
OPC c’est 75020 : Zaek, Riske, Clone, Cashe, etc… Rencontrés en 96 suite à mon installation sur Paris. La famille.
MCT c’est pour Djuk, on se croisait régulièrement et à force de me demander de poser MCT j’ai intégré le groupe. Une belle bande de déconneurs, bonne ambiance assurée avec eux.
OTM c’est le groupe de Meres, le graffeur qui gérait 5Pointz à New-York. Il m’a fait entrer dans son groupe après mes 2 semaines passées là-bas en 2011 pendant lesquelles on s’était particulièrement bien entendus.
MCZ, Vizion et les narvalos de Montreuil où j’ai habité 15 ans.
CTC, les crémiers, le groupe créé par High5 et Crise, des bons copains.
GM, une grosse bande de mecs un peu barrés, avec Alexone, Ciel, Siao
PZ les PredatorZ, le « noyau dur » des OPC avec un style parisien acéré.
.FR, le Frelon crew avec les potes Neok, Oesch

Terrain d’aventures Montreuil avec Seyb – 2019

Que penses-tu de la séparation des différentes disciplines du Hip Hop ? (On ne voit plus beaucoup de danse ou de graffiti dans les clips de rap par exemple). Certains graffeurs célèbres ne se revendiquent même plus du Mouvement Hip Hop, pourquoi cet éloignement à ton avis ?
Je crois que le Hip Hop n’est plus vraiment représenté aujourd’hui car il ne doit pas être considéré comme suffisamment lucratif. Il a attiré et plu dans les années 90, il a été exploité et essoré jusqu’à en produire du rap (juste pour le phrasé) ou d’autres formes dérivées qui ont perdu l’esprit qui caractérise le Hip Hop. Il y a eu l’âge d’or et c’est un peu retombé mais dans l’ombre il y a encore beaucoup d’activité. En ce qui concerne le graffiti c’est un peu particulier car les graffeurs n’ont pas toujours écouté de rap. À New-York dans les années 80, beaucoup écoutaient de la soul, du funk ou des musiques latines, dans les années 90 les allemands étaient plutôt branchés rock, les espagnols étaient dans les musiques électroniques, etc… Quand cette culture est arrivée en France, le graffiti était intimement lié au rap et à la danse, Stalingrad en est le témoignage.

« À présent le Hip Hop a été récupéré car certains ont réalisé à quel point ce mouvement était riche et porteur donc on assiste à toutes les dérives commerciales. »

Et toi est-ce que tu t’intéresses aux autres disciplines artistiques du Hip Hop tels que le rap, la danse ou le DJing ? Si oui quels artistes aimes-tu ?
Oui, le Hip Hop c’est vraiment mon truc depuis plus de 30 ans. Au début, j’ai essayé la danse avec des amis, j’ai aussi tenté le beat-box ou le rap mais j’ai vite compris que ce n’était pas pour moi, je ne suis pas à l’aise devant un public, je déteste me donner en spectacle. Le graffiti était définitivement ma discipline, même en présence de public, je leur tourne le dos donc je peux continuer à faire mes affaires sereinement.
Je ne saurais te citer des DJ’s ou des danseurs que j’aime particulièrement même si des noms comme Crazy Legs ou Pete Rock sont des incontournables. Par contre en rap US (car j’ai arrêté d’écouter du français à la fin des années 90, quand Skyrock a commencé à se prétendre premier sur le rap et que Génération a noyé ses programmations de sons commerciaux et de pubs) je peux te citer du classique comme Souls of Mischief, Smif-n-Wessun ou Rakim mais aussi des plus récents comme Tha God Fahim, Eto, Rome Streetz, Flee Lord ou l’équipe Griselda.

Maison de l’architecture – Installation pour les journées nationales de l’architecture – 2019

Je sais que tu as une formation d’architecte mais quand as-tu réalisé que cette passion pour le graffiti deviendrait aussi ton métier au détriment de celui d’architecte ?
En fait, j’ai commencé à graffer bien avant de me lancer dans l’architecture et je n’ai jamais lâché même si j’ai eu des périodes plus ou moins actives. Avant d’intégrer l’école d’archi de Belleville je rêvais de devenir peintre, et pas forcément dans le graffiti, mais on me répétait que « ce n’est pas un métier » alors comme la fac d’archi m’acceptait après le bac j’ai pris cette voie. J’y suis entré en 95 et j’ai vite compris que j’aurais du mal à m’identifier et à m’inclure dans cet univers mais je suis allé jusqu’au diplôme pour assurer mes arrières, sachant que je suis devenu deux fois papa pendant mes études…. Les responsabilités !
Alors après avoir gratté 10 ans en agence et attendu que mes enfants aient grandi, je prends le risque de me lancer à 100% dans ma passion mais ce n’est pas gagné, il faut se battre et ne pas laisser toute la place aux street-artists qui n’ont pour la plupart aucune légitimité mais qui déboulent avec leurs plans de carrière sur le terrain que nous travaillons depuis des décennies.

« Beaucoup n’ont toujours pas compris que le graffiti commence par le tag et se décline jusqu’à la fresque monumentale qui les fait kiffer. »

Est-ce que le fait d’être architecte t’as influencé pour la création de ces superbes lettrages 3D dont tu as fait ta spécialité ? Pareil pour tes « anamorphoses » qui sont vraiment impressionnantes ? Comment choisis-tu les lieux à peindre et comment sais-tu quel sera le rendu ? 
L’archi m’a sûrement aidé à mieux voir dans l’espace et à construire les volumes mais je ne pense pas que cela m’ait vraiment influencé au moment où j’ai tenté mes premières œuvres 3D.  J’ai découvert les premières pièces de Daim au moment où je rentrais en archi et je pense que les prods graffiti de l’époque m’ont plus marqué que l’architecture. Disons que les circonstances se sont bien combinées pour me mettre dans cette voie. En plus, je trouvais que je tournais en rond avec les lettrages classiques, je n’aimais pas chercher des motifs de remplissage pour faire du coloriage à l’intérieur d’un tracé. Avec la 3D le remplissage est défini par la lumière et les ombres, ça m’a bien arrangé.

Peace Syrie Manyak

Pour les anamorphoses, c’est le travail de Georges Rousse qui m’a marqué au début des années 90 mais c’est autour de 97 que j’ai mis cette technique en application en prenant des places bizarres dans les terrains (angles, escaliers, murs cassés ou moisis, etc.), ces places que personne ne voulait à part pour taguer et donc qui restaient aussi intactes plus longtemps avant un éventuel repassage. C’est comme ça que j’ai commencé à m’intéresser aux murs bruts, aux sites en cours de destruction et aux supports vierges. Le mur ou même le lieu dans son ensemble me servent de fond et j’essaye de jouer avec en y posant mon lettrage. La photo devient alors une étape importante du process. C’était aussi un moyen pour peindre de grandes surfaces avec peu de matériel.
Le rendu final est toujours une surprise, il peut évoluer en cours de route, surtout si j’y reviens pendant plusieurs jours comme ça peut m’arriver.

Time Laps de l’escalier en anamorphose à Bagnolet – 2016

La typographie reste ton univers de prédilection mais est-ce qu’il y a d’autres thématiques qui t’intéressent ? Et qu’en est-il des personnages ?
Même si c’est la lettre qui m’éclate je peux m’intéresser aussi à l’abstrait, aux textures et à la composition. Le plein et le vide finalement c’est ce qui te permet de gérer une surface. Je pars parfois d’une composition abstraite pour en faire sortir ma pièce. Mais je peux faire aussi du figuratif comme dans les gros murs qu’on réalise avec Seyb depuis une dizaine d’années. Au moment où je suis passé de la lettre classique à la 3D j’ai fait beaucoup de personnages et de décors, ce qui m’a beaucoup aidé à travailler les volumes, les lumières et la technique de la bombe. Avec les W73 j’étais le préposé aux personnages… Au début des années 90 j’avais fait des grands portraits monochromes de Miles Davis, Marcus Miller ou Bob Marley en vandale sur la N20, je me rappelle en avoir tiré d’énormes bénéfices sur l’assurance de mon geste et pour appréhender le grand format. Il m’arrive d’en refaire occasionnellement, plutôt des portraits réalistes comme Mars ou Marco la photo lorsqu’ils nous ont quittés (RIP).

marco la photo manyak
portrait de Marco La Photo par Manyak

Quels sont les supports que tu préfères utiliser pour peindre ?
Pour être honnête j’ai peint très peu de trains ou de camions donc mes supports de prédilection sont plutôt les murs. Un beau mur qui porte les traces du temps, avec de la signalétique usée ou de la rouille ça m’irait très bien, ou un bout de chantier de démolition avec du béton déchiré et des ferraillages en pagaille. Mais un mur d’autoroute en speed ou un terrain à la cool avec des potes c’est parfait aussi.

manyak graffiti

Est-ce que tu utilises d’autres techniques que la bombe ? Tu aimerais varier tes pratiques ?
Sur mur j’essaye d’introduire la patte de lapin ou les pulvérisateurs mais c’est encore compliqué, surtout quand tu viens de l’école du « graffiti à l’ancienne » : 100% bombe, alors que scotch et caches sont bannis sous peine d’être un toy. C’est dur de changer ses habitudes mais j’essaye de m’ouvrir et d’évoluer sans trahir mes convictions.
Par contre en atelier je m’autorise toutes les expérimentations possibles, je ne me sens plus bloqué par les codes comme je les ai intégrés puisque pour moi, une fois sur toile il ne peut plus s’agir de graffiti. Depuis quelques années j’ai même franchi le pas vers la sculpture, mes pièces en 3D m’ont donné envie d’aller voir au-delà du support plat.

Quel est ton plus beau souvenir en tant que graffeur ?
Il y en a plein, comme peindre un wagon de fret à New-York avec l’Empire State Building illuminé qui se dresse dans la perspective des voies, les crises de rire sur les voies ferrées ou les autoroutes, les course-poursuites qui finissent bien, et j’en passe. Le graffiti c’est ça aussi, tu partages des trucs incroyables avec tes potes.

Le Vezinet 2015 avec Ozer, Neok et Defco

Après toutes ces années de pratique ce n’est que récemment que tu t’es mis à faire des toiles ? Comment s’est effectué le passage du mur à la toile ? As-tu changé de style ou de thèmes pour tes œuvres sur toile ? Tiens d’ailleurs comment est-ce que tu définirais ton art : existe-t-il un style « Manyak » ?
Je n’arrivais pas à me défaire du graffiti pur, bloqué par nos codes et par la taille du support. On me disait de faire des toiles depuis très longtemps mais je n’étais pas motivé et je les faisais au compte-goutte pour des amis après des mois de harcèlement. Aujourd’hui j’ai 45 ans, plus de 30 ans de graffiti derrière moi et l’envie de peindre, de produire des œuvres plastiques qui découlent de mes années de pratique, essayer d’autres choses et me préserver un peu plus (le graffiti c’est physique). De plus, je vois qu’il y a un marché mais que ce ne sont pas forcément les bonnes personnes qui croquent alors je me suis dit que moi aussi j’avais ma place et que, sans me travestir, je pourrais peut-être y prendre une part…
La lettre me poursuit quel que soit le support mais j’arrive à faire le distinguo entre graffiti et peinture en atelier donc j’arrive à me faire plaisir avec ces deux disciplines même si pour l’instant elles sont encore très liées graphiquement. Il paraît que mon style est reconnaissable, je ne m’en rends pas compte, il faudra poser la question à ceux qui connaissent mon travail, mais aller dire qu’il y a un style « Manyak », je ne suis pas sûr..

Comment abordes-tu le graffiti sur ces différents supports ? Est-ce que le graffiti sur toile est toujours du graffiti selon toi ou faudrait-il lui trouver un autre nom ?
Pour moi, le graffiti est par essence même une discipline non appropriable et non monnayable. Je l’ai intégré de cette manière donc si on sort de ces contraintes, on ne fait plus de graffiti, c’est une autre forme d’expression qui peut y ressembler dans sa forme mais s’en dissocie dans le fond.
Il faudrait donc trouver un autre nom mais je ne valide pas « street-art » qui est une étiquette fourre-tout purement commerciale, je ne comprends pas le mot « pressionisme » qui sent le maniérisme en voulant adopter un terme qui ressemblerait aux mouvements antérieurs comme impressionnisme, cubisme, pointillisme, etc. Peut-être que « Post Graffiti » serait le plus adapté parmi les termes que j’ai entendus. Il indique effectivement que ses protagonistes ont fait du graffiti et l’ont transformé en autre chose qui pourrait s’en approcher ou s’en inspirer.

Manyak Graffiti

À son origine le graffiti était un art éphémère très décrié et pénalisé… Maintenant chaque ville de France « veut » son festival de graffiti, les œuvres sont souvent protégées au lieu d’être effacées. Que penses-tu de cet engouement actuel pour le graffiti ?
Je pense que le graffiti dans sa forme originelle est toujours décrié et pénalisé mais avec les années il s’est démocratisé et est mieux apprécié. Il est toujours nettoyé mais il y a souvent des vagues comme le grand nettoyage de Paris au début des années 2000 ou le périph qui est démonté en ce moment alors qu’avant il était systématiquement buffé. Avec la mode du street-art et le business qu’il peut engendrer, le graff suscite plus d’intérêt qu’avant. Pourtant les gens sont toujours largement allergiques au tag, beaucoup n’ont toujours pas compris que le graffiti commence par le tag et se décline jusqu’à la fresque monumentale qui les fait kiffer. Ce sont les mêmes qui se cachent derrière ces signes. Le public réclame du beau, du consensuel, de la couleur mais surtout du facile à consommer, ce qui le rend facilement compréhensible et appropriable. Je ne vois pas tellement de personnes en dehors du monde du graffiti s’extasier devant un beau tag ou les murs du périph… Donc tout est relatif quand on parle d’engouement.

Mural Fest Kosovo – 2018

Depuis quelques années il y a une tension dans le milieu artistique à cause du street art ? Ton avis sur cette situation ? Et sur le street art en général ?
Comme tu l’as compris, je n’aime pas ça. Pour moi le street art est une mode, un truc consommable servi par des arrivistes qui veulent faire carrière avant d’avoir fait leurs classes. Ils veulent du monumental, de l’extravagance, certains ne savent même pas dessiner et beaucoup n’hésitent pas à utiliser le rétroprojecteur pour esquisser. Alors suis-je réactionnaire ? Je pense qu’il faut au moins se donner la peine de savoir tracer à main levée et gérer le passage de l’échelle du papier à celle du mur. Gagner du temps est une chose (quand on maîtrise les bases) mais griller les étapes par appétit, je n’encourage pas. Après, je ne suis peut-être pas la meilleure personne pour parler de ça, je ne sais même pas monter un volume sur un ordinateur, je suis un « traditionnel ».
Le street art est vendu par des gens qui ont senti le potentiel commercial de ces images et en profitent tant qu’ils se remplissent les poches au détriment de ceux qui ont travaillé dur dans l’anonymat. Aucune déontologie, aucune connaissance des codes qui ont permis au graffiti d’évoluer avec un certain respect, établissant un cadre qui tient compte de ce qu’est vraiment « la rue » et ses caractéristiques.
Graphiquement il peut y avoir des qualités que je ne peux remettre en question mais malheureusement pour eux c’est souvent pauvre. Pour moi le street art c’est comme Jul qui débarque de nulle part avec un projet fast-food et se place au top des ventes pendant que la Scred Connexion qui travaille dur depuis longtemps sort difficilement de l’ombre alors que leur travail a du sens. À l’image de notre société de consommation, où l’ignorance devient une vertu.
Bref, je ne vais pas m’étendre plus sur le sujet, il y a sûrement une thèse à écrire si on veut en faire le tour…

Quel est ton top 5 d’artistes graffiti ?
5 c’est très peu alors je vais essayer de bien choisir…
Does pour sa créativité, sa productivité, les différents styles qu’il a développés, son évolution.
Daim le maître de la 3D, pour sa propreté, ses compositions, le réalisme de ses rendus.
Dare pour ses lettrages équilibrés, pour son efficacité et sa fluidité.
Mode2 qui a toujours été techniquement pointu et sa touche identifiable.
Mad C pour sa productivité, sa polyvalence et son flow.
Mais j’aurais pu t’en citer d’autres comme Toast, Delta, Ekto, Ces, Loomit, Popay, Vizion, Dystur, etc…

Comment imagines-tu l’avenir du graffiti dans 20 ou 30 ans ? Et le tien en tant que graffeur ?
Je pense que le graffiti sera toujours le même : subversif, identitaire, illicite. Mais j’ai peur que le street art lui cause du tort, ainsi que la culture de la facilité et de la médiocrité et l’esprit d’auto-suffisance qui ne cesse de grandir avec les réseaux sociaux. Je pense cependant qu’il y aura toujours des talents émergeants pour redonner un peu de fraîcheur et des artistes confirmés pour enfoncer un peu plus le clou. Il ne s’agit pas d’une mode, après un demi-siècle d’existence je crois que cet art est le plus crédible de notre époque contemporaine, il n’est pas près de disparaître.
Pour ma part je me vois continuer tant que j’en serai physiquement capable et advienne que pourra, l’atelier finira peut-être par prendre une plus grande place dans mon travail, l’âge avançant.

Ton mot de la fin ? Une dédicace ?
J’espère pouvoir continuer encore longtemps pour pousser plus loin ce que j’ai commencé et pouvoir partager plus de ces ambiances avec ceux que j’apprécie.
À tous mes groupes, ceux que j’ai cités dans l’interview (c’est pas pour rien), Hamadi, Akhine, Ozer, Brok (et les 3HC), Twons, Snake, Xoer (et les 3DT), Noair, Batsh, Wozer (et les AOA), Jack2, Pseye, Adit, FullColorsCrew, Ursa Major, Killabiz, PropaGanza, ICI Montreuil.
Mes enfants, Virginie.
RIP Mars, Marco, Hipy…
À tous ceux que j’ai oublié…


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