Rencontre avec Siba Giba, MC et producteur de Get Open, groupe new-yorkais actif depuis les années 90 dont le troisième album Front & Center est sorti le 29 octobre 2020. Estampillés « boom bap » et basés à Brooklyn, ils sont peu connus des français bien qu’ils aient collaboré avec des légendes telles que KRS-One ou IAM.

teaser FRONT & CENTER – nouvel album de GET OPEN – octobre 2020

Bonjour Siba Giba, tu es l’un des membres de Get Open, peux-tu nous présenter le groupe et ses membres ?
Hello, je suis le fondateur du groupe qui s’est formé à la fac de SUNY Purchase (à 90 mn au nord de NYC) début 90. Étant dans une fac artistique, j’avais eu l’idée de former un collectif de MC’s mais sans DJ, avec des musiciens qu’on recruterait sur place. Après quelques mois j’avais trouvé les artistes et on a commencé à organiser des showcases. Chaque artiste se produisait avec des musiciens en backing band qui jouaient des morceaux connus du moment en accompagnement. La base du groupe s’est formé là.
Kiambu, Von Meista, Zook et moi-même Siba Giba aka SBG, on faisait tous des études différentes. J’étais dans le département musique, en composition, et c’est dur à croire même aujourd’hui mais je composais du son pour mes devoirs. Pendant que d’autres composaient blues, jazz, rock, folk, house et moi c’était du Hip Hop (rires). Quelle expérience ! On avait des studios superbement équipés pour l’époque.
Je remercie ce prof avant-gardiste, Jim McElwaine, qui m’avait personnellement appelé en France pour me féliciter d’être rentré dans son département. On avait tout sous la main, les musiciens, le studio d’enregistrement, des artistes visuels, etc.… C’est là qu’on a produit notre premier maxi Here & Now en 1996. Aujourd’hui cette fac accueille plus d’une centaine de compositeurs digitaux chaque année.

Get Open – Here & Now 12″ (1996)

Qu’est-ce qui vous a amené à créer ce groupe et pourquoi ce nom ?
Quand j’ai commencé organiser des showcases, après un an et demi, on a commencé à enregistrer des morceaux concrets. Get Open, c’est venu juste en délirant à la fac, on vivait sur un campus donc t’imagines les fiestas. C’est devenu une expression entre un groupe de potes : « C’mon let’s get open ». C’est plus un état d’esprit, rester ouvert, culturellement, socialement, psychologiquement. Quand on a sorti notre premier maxi, on a gardé le nom.

Quel a été ton premier contact avec la culture Hip Hop ?
Ça remonte à 1976, quand mes parents m’ont amené voir The Last Poets qui font partie des précurseurs du rap et du slam.
Mais c’est en 1981 que j’ai découvert The Message de Grand Master Flash & The Furious Five. J’étais à NYC à l’époque et avec mes parents on a vu le clip et on a flashé instantanément. Ma mère disait : « Tu vois c’est la continuation des Last Poets »
Mon premier concert Hip Hop fut en 1982, NY City Rap au chapiteau de la Porte de Pantin à Paname. Dans ce fameux show il y avait Fab 5 Freddy et Ramelzee pour les MC’s, le Rock Steady Crew pour le breakdance, Futura 2000, LEE, Dondi pour le graff, Afrika Bambaataa et Grand Mixer DST pour les DJ’s et les Double Dutch Girls (saut à la corde). Je n’ai pas lâché depuis (rires).

Que représentait le Hip Hop pour toi à tes débuts et que représente-t-il à tes yeux aujourd’hui ?
Il y avait cette unité, ce respect établi par la Zulu Nation, issue de l’époque des gangs de NYC des années 70. Les jeunes en avaient marre de s’entretuer et de la misère et grâce à certains acteurs comme DJ Kool Herc, cette culture s’est développée en venant de rien, on voit le résultat aujourd’hui.
Musicalement ça a énormément changé, il y a très peu de sampling pour des raisons de droit. Du coup, je trouve que ça manque de groove aujourd’hui. J’apprécie des artistes comme Anderson Paak ou mon producteur préféré, 9th Wonder qui font évoluer cette musique. Faire du son est à la portée de tout le monde aujourd’hui. Quand on a débuté, les studios coutaient 100$/heure, les work stations coûtaient une blinde, et tout le monde ne pouvait pas se payer une SP1200 ou une MPC 2000. Aujourd’hui pour quelques centaines de dollars tu peux faire du son et de qualité. Ce qu’il reste c’est bien ça, la qualité sonore. Beaucoup de jeunes bâclent trop leur taff, veulent sortir un album demain sans vrai mix, sans mastering. Mais tu entends la différence avec ceux qui prennent leur temps.
Visuellement et au niveau du contenu on a pas beaucoup évolué depuis début 2000. Le style trap a envahit la planète. Beaucoup rappent sur les mêmes styles de sons.
J’avais cocréé une association en 2009, Hip Hop Loves Foundation et je donnais des master class de composition digitale aux jeunes des quartiers de Harlem. Je disais toujours qu’il fallait penser en dehors des paramètres donnés, en anglais on dit « Think outside the box ».

La distance qui s’est installée entre les différentes disciplines artistiques du Hip Hop, à l’origine assez proches les unes des autres, c’est une fatalité selon toi ?
Non, c’est une réalité. Faut bien réaliser que le graffiti a toujours été une « sous-culture » du rap, break et DJ. Ça a commencé avant le DJing et le rap. On parle de Cornbread qui aurait tagué les murs de Philadelphie en 1969. Je pense que c’est le New York City Rap Tour en 1982 qui a fait penser aux européens que ces 4 disciplines du Hip Hop étaient toujours liées. Mais quand je suis arrivé à NYC, début 80, ce n’était pas toujours le cas. T’avais des graffeurs qui écoutaient du Led Zepellin, du AC/DC et qui n’aimaient pas le Hip Hop. Mais d’autres comme le graffeur DEZ sont de bons exemples. DEZ est devenu DJ KaySlay car pendant qu’il bombardait les trains, il collectionnait les disques et jouait dans des block parties du South Bronx.

Et toi ? Tu pratiques ou tu t’intéresses aux autres disciplines artistiques du Hip Hop ? Peux-tu nous citer des artistes (graffiti, danse, beatbox par exemple) dont tu aimes bien le travail ?
En graffiti j’en admire beaucoup mais celui qui continue à évoluer, c’est Futura 2000. Tellement en avance. J’adore aussi le taff de CES et Lokiss le frenchie. Énorme.
En danse c’est très limité mais je suis très fan d’un pote, Mr. Wiggles du Rock Steady Crew.
Pour le beatbox, j’adore l’ancien champion de France Alem qu’on voit dans ce super documentaire, Boom Bap Beat Box de Pascal Tessaud et bien sûr Rahzel, le vétéran du beatbox, sans oublier un de mes favoris de l’époque Doug E Fresh.

Quels étaient les artistes qui vous ont inspirés ou influencés quand vous avez commencé ?
C’est une longue liste : Grand Master Flash & the Furious Five, Cold Crush, Run-DMC, LL Cool J, Public Enemy, Eric B & Rakim, Big Daddy Kane, KRS-One/BDP, EPMD, Kool G Rap, Biz Markie, Roxanne Shanté, Jungle Brothers, ATCQ, Wu-Tang, De La Soul, N.W.A., Stetsasonic, Ultramagnetic MC’s, Queen Latifah, Devin The Dude, OutKast, Lauryn Hill.

Vous avez été en quelque sorte « adoubés » par de nombreux anciens du rap US avec qui vous avez joué sur scène (KRS-One ou De La Soul pour ne citer qu’eux), il y en a qui vous ont impressionné ?
KRS One a toujours été une bête de scène même aujourd’hui. Un vrai Maitre de Cérémonie.
Busta Rhymes & KRS One sont les plus impressionnants en live. Public Enemy à l’époque était le groupe le plus fort sur scène. De La Soul est fabuleux aussi. Ils ont tellement de morceaux à jouer, impressionnant le catalogue, comme leur facilité sur scène, leur jeu avec la foule. Simple et efficace et des gars super humbles.

Le tout premier maxi de Get Open est sorti en 1996, il a été pas mal joué par les DJ’s de la Côte Ouest, ce qui était assez innovant pour l’époque, à ton avis pourquoi ? C’est parce que le rap new-yorkais était un peu saturé ou parce que votre rap était moins agressif que celui de vos collègues ?
On a eu un peu de succès sur la Côte Est mais comme tu dis aussi et surtout à l’Ouest. Je pense que c’est parce que bien nous venions de NYC, les DJ’s de la Côte Ouest étaient eux aussi a l’affût de nouveaux morceaux. Ça a pris peu de temps. C’est T-Love la MC de L.A. qui à l’époque taffait pour le magazine URB, elle avait écrit une superbe chronique sur notre maxi. Étant connectée avec toute cette scène locale, elle nous a branché mais le pool de DJ’s Heavyweights de DJ Truly Odd nous a aussi énormément boosté. C’est là que des DJ Numark ou Mix Master Mike, et bien d’autres, ont reçu le disque et l’ont souvent joué !

Get Open est un groupe de musiciens accomplis, tu es rappeur, compositeur, batteur et producteur : avec le côté compétitif inhérent au rap, je suppose que la technique occupe une part importante dans ta création musicale. Comment définirais-tu votre technique et comment se retranscrit la compétition dans le groupe ?
Très bonne question. Il y a le coté technique de la compo des sons mais aussi des paroles.
N’étant pas né aux US, j’ai tendance à penser en français mais aussi en anglais. Bien que j’ai vécu ici pendant plus de 30 ans, j’ai un petit handicap par rapport aux autres de ce fait, mais au fur et à mesure je suis devenu plus à l’aise, à l’impro et à l’écrit. Par contre, côté musical, Von et moi nous produisons donc il y a une petite compèt’ mais vraiment amicale car on s’entraide bien sûr, à tous les niveaux, que ce soit plug-in, work station, matériel son, etc.…
Si on parle technique de compo, ça part très souvent d’un sample ou d’une mélodie. Étant batteur depuis tout jeune, j’ai des notions assez naturelles sur le placement de programmation/pattern de batterie. J’ai acheté une batterie électronique l’année dernière pour me remettre à taper un peu (rires). Mais ça aide, bientôt je vais jouer par dessus des batteries programmées. Ça va donner une autre couleur, un coté plus acoustique.
Von travaille un peu différemment, il joue de la guitare donc des fois il part sur des mélodies perso ou des samples. Ça dépend de l’ambiance. On travaille tous les 2 sur Maschine de Native Instrument. Je suivais AKAI avec la S950, la S5000, la MPC 2000XL mais j’ai changé !

Vous êtes présents sur la scène rap US depuis le début des années 90, vous avez senti un changement dans l’état d’esprit des artistes rap depuis cette époque ?
Le changement a été flagrant. Ça a été l’invasion du Dirty South et de la trap style music. Ça dure depuis presque 20 ans, la Nouvelle-Orleans avec Master P, Cash Money et le son de Mannie Fresh.
La scène d’Atlanta, Ludacris, T.I., Young Jeezy et maintenant Migos, Future… dingue comme ils sont su maintenir ce style musical aussi longtemps. Hehe ça a même traversée la planète entière. En France, PNL, Booba, etc…tout le monde a suivi et ça n’a pas l’air de refroidir. Après, c’est un choix musical. Depuis un moment, c’est le son OVO de 40, le producteur de Drake, qui domine. Noah « 40 » Shedid est un audio geek, il étudie le son, ça se voit qu’il est passionné. Il a créé son monde musical et a trouvé l’artiste parfait pour compléter sa formule. Eux aussi ça ne s’arrête pas, Drake a battu le record de chanson #1 au billboard, il a dépassé des artistes comme les Beatles, Elvis, Michael Jackson ou Madonna. Impressionnant au niveau de la machine qu’ils ont créé.

Chez T-Rex Magazine on a bien aimé votre dernier EP The Week-End et tout particulièrement le titre Churrasco & Micheladas. Peux-tu nous raconter l’histoire derrière cet EP et ce titre en particulier ?
The Week-End était notre premier vrai album, 17 titres qu’on a conçus après être revenus d’Allemagne. Notre collaborateur allemand de longue date, Glam, de 58 Beats Records, nous avait proposé quelques sons. Suite à un concert à Munich, on avait quelques jours de plus dans la ville donc on a écrit et profité pour enregistrer les titres Get Open et 58 Tweets. En revenant à NYC on s’est posé et après un brainstorming, on a trouvé le titre The Week-End pour le projet. Qu’est-ce qu’il se passe durant un week-end pour quatre membres d’un groupe de Hip Hop ? Les titres sont liés aux différentes situations, activités, rencontres, évènements. Musicalement on traverse les différents univers et influences qu‘on rencontre dans la Grosse Pomme. La couverture représente bien la vie nocturne de NYC… Elle a été conçue par le peintre Jerome Lagarrigue qui avait fait la couv’ de Faf La Rage (C’est Ma Cause), des X-Men et la superbe couverture de Reflection Eternal (Talib & HiTek)
Churrasco & Micheladas est un titre qui a été super fun à écrire. Zook vivant en Californie s’est concentré sur les activités du week-end chez lui, particulièrement dans sa famille mexicaine (celle de sa femme). Et moi je me suis remémoré les moments fabuleux passés au Brésil, Rio pour être plus précis. J’ai passé beaucoup de temps dans cette ville dont je suis tombé amoureux, grâce à ma mère Desdemone Bardin (sociologue française ayant beaucoup travaillé sur le Hip Hop, ndlr) qui a vécu à Rio De Janeiro dans les années 50-60 et qui me l’avait fait découvrir. La boîte de production Pilotos Film est venue de Rio à NYC pour produire le clip, tourné en partie dans le Bronx à Tuff City Tattoo, et où on voit un graff de la légende WEN du COD crew.

Get Open – Churrasco & Micheladas (extrait de l’album The Week-End)

On qualifie souvent votre musique de « old school », tu penses que le style boom bap que vous pratiquez est le plus pertinent pour évoquer les problèmes de l’Amérique de Trump ?
Il n’y a pas de style particulier pour évoquer les problèmes de Covid-45. Folk music, country, hard metal, Hip Hop, ça peut se passer sur tous types de musique. Après dans le style Hip Hop, quand on pense à des titres politiques, on pense a Fight The Power de Public Enemy ou Fuck the Police de N.W.A. et là ça vient de l’époque boom bap.

Vous frappez fort pour votre retour sur le devant de la scène avec le titre Tale Of The Tape et son clip. Selon toi le rap est-il toujours un instrument de propagande révolutionnaire, voire une arme de guerre, pour les victimes du système comme a pu le concevoir Public Enemy à l’époque ?
Oui dès que c’est diffusé, ça contribue à la lutte. C’est venu organiquement. On avait un tout autre concept pour ce nouvel album. Les évènements, Covid-45 (ndlr : surnom donné à Donald Trump) et George Floyd, ont tout remis en question. Ça a donc aussi influencé notre vision musicale. Sachant que nous avions pas mal de titre engagés déjà enregistré, on a décidé de partir vers ce concept, plus politique, mais l’album propose aussi des titres qui n’ont aucune dimension politique, c’est très varié !

Peux-tu nous expliquer la conception musicale de ce titre et la réalisation du clip ? Pourquoi ces images du mouvement Black Lives Matter ?
J’ai composé ce son en 2019. Dans un mood très sombre, une ambiance de l’inconnu. Quand on choisissait des sons pour cet album, on était intrigués par celui-là. Après plusieurs heures de discussion, on a trouvé le titre Tale of the Tape. C’est un terme utilisé en boxe, le jour avant le match les boxeurs sont mesurés, ils ne peuvent pas tricher et dire qu’ils font une certaine taille ou poids.
Grâce au réalisateur Pascal Tessaud qui a filmé notre troisième clip, Where I’m From, on a rencontré d’autres réalisateurs comme Nicolas Milteau et Salim Hamzaoui qui a réalisé le prochain clip Fake News.
Nicolas a choisi Tale of the Tape pour son ambiance bien glauque et ces paroles virulentes envers le système. Nicolas avait carte blanche pour faire ce qu’il voyait et imaginait, il a inclus sa fille comme seule actrice. C’est notre star ! Notre espoir, notre futur…
Les images proviennent de pas mal de sources différentes. On a vraiment aimé le rythme et la sélection des images. Avec la mort de George Floyd, les activités BLM se sont multipliées et en vivant aux USA, c’est impossible de ne pas sentir cette tension. À NYC, qui est une autre planète, on le ressent un peu moins, bien que le NYPD (services de police de la ville, ndlr) ait une très mauvaise réputation. Mais dès que tu sors des grandes villes, c’est chaud.
Sur le Covid-45, Trump a réussi à vraiment diviser le pays avec ces actions et commentaires déplacés. Et le virus a poussé les politiciens à créer une division entre ceux qui portent un masque et ceux qui refusent. Incroyable ! La santé c’est ni Démocrate, ni Républicain.

La portée sociale du Hip Hop semble être primordiale pour toi et ton groupe, tu penses que le rap se doit d’être revendicatif ?
Le rap a commencé comme un simple complice du DJ, présent pour agiter les foules. Il s’est transformé en racontant des histoires comme dans Rapper’s Delight et commentaire social comme dans The Message donc ça dépend comment tu vois l’affaire. Get Open croit que c’est plus intéressant quand il y a du contenu, une histoire. Le MC provient des griots d’Afrique, les compteur d’histoires.

On a peut-être eu l’impression ces dernières années que le rap était moins revendicatif, moins axé sur le social, mais que depuis la présidence de Trump, puis malheureusement le meurtre de Georges Floyd, il y a comme un regain de rap plus « conscient ». C’était important pour vous de vous inscrire aussi dans ce « renouveau » conscient et revendicatif face à l’Amérique de Trump ?
On a toujours parlé politique et social depuis nos débuts. Ce n’est rien de nouveau ni pour nous, ni dans le pays. Ce qui est fou c’est que le résident de la Maison Blanche a ouvert le bal pour que tous les suprématistes blancs, racistes et autres fachos de droite se donnent le droit de maltraiter les minorités, manquer de respect aux femmes, etc…
À certains moments, on se sentait seuls car à part certains artistes comme Public Enemy, Mos Def, Pharoahe Monch, Talib Kweli ou TheRoots, très peu parlent des problèmes constants dans ce pays. Et ce n’est pas comme si le problème avait disparu, c’est un fléau, une vraie maladie.
Donc là on a ressenti qu’on était bien placés pour sortir un nouvel opus. Regardez notre clip Reason de la mixtape IAM Open, c’était en 2014, vous verrez le message.

Get Open – Reason (extrait de la mixtape IAM Get Open)

Quel a été le déclic pour la conception de ce nouvel album ?
Le Covid45 et George Floyd.

Est-ce que vous êtes personnellement impliqués dans le mouvement Black Lives Matter ?
On milite pour des causes. On a participé à des manifs. On est actif en ligne pour propager l’info.

Le fait que vous regroupiez des artistes aux origines raciales multiples est-ce que ça influence les thématiques de vos albums ?
Absolument. On parle de comment les gens réagiraient à nos idées. Comment va être perçue la musique. On est humains avant d’avoir une couleur, et puis on se connaît depuis presque 30 ans donc on sait ce que chacun pense. C’est vrai qu’on pourrait se poser des questions avant d’attaquer certains sujets. On est assez confiants, on assume.

Cette ouverture d’esprit sur le monde et sur les autres c’est quelque chose qui te vient de ton éducation ? La volonté de transmission doit être primordiale également pour toi, non ?
C’est sûr que ça vient en partie de moi et de mes expériences en France, en Europe et bien sûr aux USA. Les voyages sont tellement importants, aux États-Unis c’est perçu comme un luxe de voyager à l’étranger. En Europe c’est comme si on passait d’état en état (rires). C’est sûr que les distances ne sont pas les mêmes mais c’est pas une excuse. C’est un problème d’éducation, la géographie n’est pas enseignée à l’école, j’en suis témoin. Ça n’excuse pas le manque de curiosité et n’empêche pas de tenter de découvrir un autre pays, d’autres traditions, une autre langue, coutumes et rythme de vie. C’est un énorme problème aux USA, Chuck D de P.E. l’a souvent dit mais une majorité n’a pas de passeport, les gens n’ont pas idée de comment vivent les autres en dehors du pays. Je dirais que 30% voyagent à l’étranger.
Cette ouverture d’esprit, je l’ai rencontrée à la fac de SUNY Purchase. Une université artistique d’où sont sortis Wesley Snipes, Ma$e (Bad Boy Records) ou la chanteuse Regina Spektor…et Get Open (rires). Donc il y avait une énergie créatrice et surtout des moyens que je n’avais jamais rencontré en France. Je te parle de 1992. En tant qu’étudiants on avait accès à des studios d’enregistrement pro. C’est là que j’ai ouvert le bal, en étudiant la composition mais aussi le métier d’ingénieur son. Ça m’a donné beaucoup d’envies musicales et m’a permis de faire des superbes rencontres et surtout de former ce groupe.
La transmission est importante mais difficile je trouve. Malgré les réseaux qui sont des outils de promos gratuits, c’est dur de se faire entendre, surtout avec un message positif. Le plus souvent on entend : « C’est lassant, on en a marre des gens qui se plaignent, parlez d’autres choses… ». Mais on garde la confiance et on crée de notre côté !

Avec le parcours universitaire assez atypique de ta mère, notamment dans sa volonté d’utiliser le rap comme instrument éducatif, on imagine que la portée élévatrice et émancipatrice du Mouvement est importante pour toi ?
Absolument, il faut que ça se développe, c’est comme ça qu’elle a attiré tous ces jeunes dans ses cours. Oui, une dame atypique, en effet, (rires) comme Juan Massenya a dit dans la web série sur Arte de Pascal Tessaud, Paris 8, La Fac Hip Hop, « elle était loin en avance sur nous tous, elle parlait déjà des Last Poets ». Elle avait développé une méthode d’enseignement où elle utilisait le rap pour le rythme de la langue anglaise US. Elle était docteur en lettre et linguistique et non pas prof de rap (rires) comme beaucoup de médias l’avaient, mal, décrite.
Un outil ou un instrument, comme tu dis. Elle utilisait aussi beaucoup d’éléments politiques comme les discours de Martin Luther King ou Malcolm X mais aussi des vieux poèmes, des articles, tout ce qui pouvait intéresser ses étudiants.

Travailler en indépendant, c’est une nécessité pour être libre artistiquement selon toi ou vous subissez en quelque sorte le « système » ? Si vous aviez le choix vous préféreriez être signés en major, avec les moyens mis en œuvre mais aussi les contraintes que ça implique ?
Très bonne question. On préfère l’indépendance pour être au contrôle de notre carrière, des masters, etc… mais on ne peut pas ignorer la machine des majors car quand elle est avec toi et te soutiens, tu peux vraiment créer un vrai buzz et un vrai succès. Quoi qu’il arrive, il faut bosser dur, créer des liens et avoir un minimum de budget. Tout se paye. Avant c’était un peu moins flagrant car on n’avait pas internet. À l’époque il y avait une vraie différence et tes chances de succès étaient minimes, sauf si tu avais une super stratégie comme Too $hort qui vendait ces CD’s depuis le coffre de sa caisse. Ou Darius Rucker, le chanteur de Hooty & The Blowfish qui a fait pareil sur les campus universitaires et avec son groupe il sont devenus des méga stars.
Mais bien sûr, le summum de tout ça, c’est le Wu-Tang. Totalement indé, au contrôle de ses masters, sept artistes signés sur différents labels tout en étant une équipe soudée. RZA & GZA et toute l’équipe du Wu ont accompli ce qu’aucun groupe n’a pu faire dans le passé. Même pas les Beatles, les Stones, Michael Jackson, Rihanna ou autres. Un vrai hijacking de l’industrie… Bravo Wu-Tang !

Parle-nous un peu de ton expérience de directeur artistique chez Def Jam, c’était comment de bosser avec une légende comme Dante Ross ?
J’ai eu la chance de travailler pour le label No Doubt/Def Jam grâce à un de mes plus vieux potes à NYC, Dagan Ryan.C’était lui l’assistant de Dante et moi l’assistant de l’assistant (rires). Après quelques mois, je suis passé en assistant D.A., je m’occupais des démos, de pas mal de trucs administratifs, depréparer les sorties… Le label avait les artistes Trigger The Gambler, frère de Smooth da Hustler de Brooklyn et DV Alias Khryst de Brooklyn aussi. Un des premier MC à chanter et à rapper, avant Ja Rule, et les autres. Il y avait même la rumeur que Irv Gotti, le D.A. de Ja Rule avait été impressionné après avoir entendu les titres que nous avions de DV Alias Khryst.
Travailler avec Dante m’a donné beaucoup d’expérience dans le business de la musique. J’ai découvert le procédé d’enregistrement d’un disque, la préparation marketing et le lancement d’un projet. Mais c’était les prises de décisions exécutives qui était intéressantes à observer. Quand Everlast a demandé à Dante Ross d’être D.A. pour son album, je suis un des premiers beatmakers à qui il a fait appel. J’étais très touché.

Tu as travaillé sur le premier album d’Everlast, à l’époque les sons plus influencés par le folk que par les bloc parties ont un peu surpris les fans de son premier groupe (House of Pain), c’était voulu ou c’était juste dans l’air du temps ?
L’histoire est assez marrante et soudaine. Quand il a commencé son album, en composant des morceaux à base de samples (on avait par exemple fait le morceau Ends avec des samples d’Eurythmics), il avait enregistré quelques autres titres et un jour je reçois un coup de fil de Dante qui me dit « viens au studio, Everlast vient de nous jouer un nouveau morceau, passe écouter ». J’arrive au studio et là Erik (Everlast) est là avec une guitare, en rigolant il me dit « Écoute ça ! ».Il nous joue et chante What It’s Like. J’étais sur le cul :
« – Mortel ! ça fait longtemps que tu joues de la guitare ?
Ça fait un moment mais je n’ai jamais tenté en live… »
L’album a alors pris une autre tournure et est devenu un mélange rap/folk. J’y ai placé le titre Painkillers.

J’ai lu que vous étiez partie prenante dans les mythiques soirées Lyricist Lounge (open mic new yorkais de la fin des 90’s où la fine fleur du rap de la ville s’est retrouvée pour croiser le micro, ndlr), ça devait être assez fou cette émulation constante dans l’underground rap US ?
C’est vrai que c’était dingue comme époque, des open mics de partout, des showcases de tous les côtés. Souvent la foule était uniquement des MC’s là pour juger, il y avait beaucoup de pression (rires), donc ce n’était pas très objectif comme feedback. Beaucoup de gars étaient là pour se foutre de ta gueule… (rires) On a vécu des super expériences, vraiment, une époque unique dans le Hip Hop new-yorkais.

Est-ce qu’il y a des MC’s actifs à cette époque qui n’ont pas eu la carrière qu’ils méritaient selon toi ?
Un paquet ! Un qui me vient en tête, c’est Supernatural. Un vrai assassin de l’impro mais ensuite on a vu qu’il avait des difficultés à composer de bons morceaux. Et l’impro, c’est pas du tout le même taff que l’écrit. Beaucoup de ces MC’s ont coulé a pic…triste.

Est-ce qu’il y a un rappeur ou un beatmaker en particulier avec qui tu aimerais bosser dans le futur ?
Nas, Black Thought…et collaborer avec 9th Wonder serait super.

Si tu devais faire un top 5 des rappeurs/rappeuses ou groupe de rap favoris tu citerais qui ?
Aïe aïe aïe, c’est dur… Public Enemy, Big Daddy Kane, KRS-One, Rakim, Outkast.

Vous avez collaboré avec l’association française One Two Three Rap, qui aide les jeunes à apprendre l’anglais via le rap en France. Ça rappelle un peu l’enseignement de ta mère… ce genre d’initiatives est une part essentielle dans la vie du groupe ? Et pour toi personnellement ? Que retiens-tu de votre collaboration avec cette association ?
Grave. Ça m’a confirmé que ma mère avait eu une idée et un concept génial. On adore travailler avec des plus jeunes. Avec mon asso Hip-Hop Loves Foundation on avait pour but de donner des cours de DJ, MC, graffiti, yoga, nutrition et production sonore quand on a reçu, le mail de One, Two, Three Rap. J’étais très touché qu’ils nous choisissent comme intervenant avec leur groupe de jeunes. On a été très étonnés par leur niveaux d’anglais. Pour des jeunes des quartiers, avoir appris avec le Hip-Hop, c’est énorme. « Brian est fatigué d’être in the kitchen » (rires). Superbe expérience. On a même enregistré un titre ensemble, Borders.

Tu es d’origine française mais tu as passé ta vie principalement aux États-Unis, est-ce que tu vois des différences fondamentales entre les deux côtés de l’Atlantique concernant la manière d’être Hip Hop, que ça soit du côté des artistes ou du public ?
Aux USA, ça fait partie de la matrice aujourd’hui, c’est accepté. Tout le monde écoute du Hip Hop. Je trouve qu’en France, y a encore beaucoup de gens qui nient l’importance et l’implantation de cette culture. La France est beaucoup plus en avance au niveau danse et graffiti que les USA par exemple. Mais musicalement, tout vient d’ici. Les influences, les flows, les styles. Même les styles vestimentaires viennent d’ici. Une chose qui m’a toujours fait rire c’est qu’on voit que pas mal de gens ne cherchent pas à connaître les sources des styles. Le pantalon qui tombe de la taille et montre tes fesses, c’est une coutume en prison, pour ceux qui cherchent un compagnon pour la soirée. C’est devenu une mode globale mais peu connaissent la source (rires).

En parlant du public justement, à ton avis : qui est le plus connaisseur ? Le public français ou américain ?
Ah là c’est méchant comme question (rires). Ça dépend. En boom bap, je dirais la France mais en jazz ou en soul, c’est les USA. La France apprécie beaucoup la musique mais c’est un pays de tradition orale, le langage, la tchatche, l’écriture. C’est la présence de la communauté afro-américaine qui l’a amenée au pays avec le blues, le gospel, le jazz, la soul, le rock…le Hip Hop.

Est-ce que tu es toujours proche du groupe IAM ?
Oh oui, c’est la famille. On se connaît depuis presque 30 ans maintenant. Imhotep a produit plusieurs titres pour nous, AKH a collaboré sur un titre (Get That). J’ai d’ailleurs traduit les deux derniers albums du groupe pour leurs clips et autres medias.

As-tu suivi l’évolution du rap français et qu’est-ce que tu en penses ?
Je trouve que c’est similaire aux USA. On est partis d’un rap poétique et engagé à beaucoup de soupes bling bling et business donc ça suit les tendances US. On trouve toujours de bons artistes quand on cherche bien, la différence c’est qu’à l’époque je trouve qu’on avait beaucoup plus de qualité dans le choix. Après c’est sûrement parce que je vieillis (rires). Moi c’est dans le son que ça se passe, si ça groove pas, j’ai du mal.

On te qualifie parfois d’historien du Hip Hop, que penses-tu de la création du musée du Hip Hop à New York et du centre culturel Hip Hop à Paris ? Qu’attends-tu de ces nouveaux lieux ?
Je soutien ces deux nouvelles institutions. Ici le problème ce que UHHM (Universal Hip Hop Museum) n’a pas trop de soutien financier, la ville leur donne l’espace, maintenant il faut voir comment ils construisent la collection.
La Place à Paris est un endroit super, j’y suis passé et j’ai beaucoup apprécié cet espace qui est dispo pour les jeunes avec ces studios de répète mais aussi un lieu de rencontre et d’échange pour les plus jeunes qui souhaitent découvrir cette culture. La différence c’est qu’en France on a des subventions pour la culture, aux USA, il faut des donateurs privés ou des mécènes.

L’expression « esprit Hip Hop » c’est quelque chose qui te parle ou c’est has been selon toi ? Est-ce que tu penses que la nouvelle génération a toujours cet esprit ?
Ça sera toujours là. Cet esprit provient de la Zulu Nation, qui avait imposé une liste de choses à suivre. Pour guider et donner des suggestions bien précises sur comment se sortir de la mentalité des gangs. Par exemple « Respect envers l’autre ». Il y a une charte…
Aujourd’hui je pense que certains artistes suivent et d’autres pas. C’est plus la même énergie, ça a changé. Ça a évolué vers autre chose.

KRS-One disait : « Rap Is Something You Do, Hip Hop Is Something You Live », qu’en penses-tu ?
KRS parle de culture Hip Hop, il inclut les graffeurs, les DJ’s, le beatbox…le rap c’est uniquement l’aspect musical. Comme KRS était tagueur, il a senti que ces sous-cultures étaient bien liées. Donc oui, on vit le Hip Hop et on fait du rap…

Tu organises aussi des visites guidées à NYC autour du Hip Hop, comment t’es venu cette idée ?
Après l’expo Hip Hop au MAC en 2018 dont j’étais un des commissaires, j’ai eu l’idée de monter un tour à Brooklyn sur la culture Hip Hop mais en se focalisant sur la vie de Notorious Big et de Jay-Z. On fait ça à pied quand le temps le permet et on se ballade dans le quartier de Bed-Stuy et je raconte des anecdotes, des faits sur ces deux artistes de Brooklyn mais aussi sur la culture Hip Hop à Brooklyn et NYC.

Quelles sont les initiatives culturelles, hors musique, à venir dans lesquelles Get Open pourrait s’impliquer ? Un film ? Un nouveau livre ?
Un film serait pas mal du tout. Peut-être s’impliquer dans les mouvements sociaux actuels. C’est souvent le souci avec les ONG, elles ont peu de liens avec le monde artistique…
Notre musique est pleine d’ambiances, de situations, donc ça pourrait être intéressant de composer des titres en synchro avec un réalisateur. Pour cet album on travaille avec presque que des réalisateurs de cinéma donc pourquoi pas un film, même un court…

Comment imagines-tu le rap dans une trentaine d’années ? Et plus généralement comment imagines-tu l’évolution de la culture Hip Hop ?
J’imagine plus de fusion avec d’autres styles. Anderson Paak est ce genre d’artiste. Il sait aussi bien faire de la soul, du Hip Hop très lourd mais aussi du disco. Je pense que les jeunes aujourd’hui ne catégorisent pas comme nous on le faisait. Ils sont plus open aux différents styles musicaux (rires).

GET OPEN – Fake News – Septembre 2020

Votre nouvel album Front & Center vient de sortir ( 29 octobre 2020 ), à quoi doit-on s’attendre, en terme de guests et de thématiques ?
Les thématiques sont très variées, on a des morceaux politiques comme Tale of the Tape mais on a un titre comme Where I’m From où on raconte notre jeunesse à NYC. At Ease, lui, est un track pour l’été, super smooth.
On a des invités de marque, Français mais aussi Allemands et des US….

D’autres projets musicaux en plus de ce nouvel album ?
Actuellement, je travaille avec un artiste, Dreux, avec qui j’ai fini un EP qui devrait sortir en fin d’année. C’est un genre d’artistes hybride. Il chante, rappe et joue de la guitare… Après ça je vais me replonger dans mon projet Hip Hop Brasil Jazz que j’avais commencé en 2009. Mais je vais aussi sortir une collection de sons jamais entendus. À suivre…

GET OPEN – Where I’m From – octobre 2020

Un mot de la fin ? Une dédicace ?
Je tiens à remercier T-Rexmagazine pour cette interview très complète, c’est pas souvent que les journalistes font des recherches approfondies sur leur sujet. Bravo pour ça !
Spéciale dédicace à Cypher Film pour le magnifique boulot qu’ils sont en train de faire pour nous et tous les gens qui nous soutiennent depuis nos débuts jusqu’à maintenant. Much Respect !


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Interview concoctée par Mayleen, Michel KDB et Namor. Merci à Pascal Tessaud pour la mise en relation.