Le Strasbourgeois DJ Nelson, spécialiste du scratch, auréolé de plusieurs titres de champion de France et champion du monde DMC, se passionne pour la culture Hip Hop dès le milieu des années 90. DJ redoutable en battle, il pose ses scratches dynamiques dans le monde entier et collabore avec des artistes aussi divers qu’Onyx ou DJ Q-Bert en faisant partager au plus grand nombre ses influences musicales variées mises en valeur dans des routines souvent étonnantes. Il revient pour T-Rexmagazine sur son parcours qui a fait de lui un tueur aux platines.
Bonjour DJ Nelson peux-tu te présenter ? Pourquoi ce pseudo ?
DJ Nelson aka NelsonScratch ! Un ancien du quartier m’avait donné ce surnom en faisant référence à Nelson Mandela car il trouvait que j’avais quelque chose de rassembleur en moi, plutôt que de diviser j’ai plutôt tendance à rassembler les gens. Et la deuxième raison est qu’il n’arrivait pas à retenir mon prénom, Amédomé, qui est d’origine Togolaise.
Quel a été ton premier contact avec la culture Hip Hop ?
Les groupes d’eurodance comme Snap, Technotronic, Dr. Alban, etc. avaient toujours une partie rap qui attirait mon attention, je devais avoir 7-8 ans. Ensuite grâce à ma sœur plus âgée de deux ans, j’écoutais 2 Live Crew à l’âge de 9-10 ans, elle avait la cassette, je ne sais pas où est-ce qu’elle l’avait trouvée, bref, ne comprenant rien mais ressentant déjà la vibe je sentais que cette musique était faite pour moi. À ce moment j’écoutais un peu de tout, de l’eurodance, Michael Jackson, Whitney Houston, Black Box, MC Hammer, Milli Vanilli, mais aussi Nirvana, Rage Against The Machine, Offspring… Ensuite en 1993 Wu-Tang Clan a pris toute mon attention. Au même moment il y’avait Wordcup, une émission Hip Hop sur VIVA une chaîne musicale allemande avec laquelle j’ai appris ce qu’était la culture Hip Hop : rap, danse, graffiti et bien sûr le DJing.
Qu’est-ce que représentait la culture Hip Hop pour toi à l’époque et que représente-t-elle aujourd’hui ?
À l’époque c’était une culture qui m’attirait pour sa liberté de pensée, sa musique, ses sapes, la compétition (je parle de celle qui est sportive) de confronter les opinions dans un battle et grâce à ça d’évoluer ensemble, la façon de parler, de se comporter et d’accepter tout le monde peu importe la nationalité, l’orientation sexuelle ou la religion. Aujourd’hui c’est ma culture, le Hip Hop m’a accompagné toute ma vie et m’a amené où je suis aujourd’hui. Qui aurait cru que de pousser des bouts de plastique en avant et en arrière sur un tourne-disque m’aurait amené à vivre ici à New York. Le Hip Hop est un de mes moteurs au quotidien.
Comment as-tu débuté le DJing ? Et pourquoi ?
J’ai toujours tilté sur les scratches : le scratch dans Jam de Michael Jackson par exemple ou quand j’achetais des mixtapes. Il y avait également le guitariste de Rage Against The Machine, Tom Morello, qui scratchait littéralement avec sa guitare. Ça me faisait kiffer de fou. Dans les boums (rires) c’était toujours moi à la chaîne Hi-Fi qui mettait les cassettes ou les CD’s pour que tout le monde danse. Finalement pas grand-chose n’a changé depuis mes 8 ans (rires).
Tu te souviens de ton premier mix ?
Non je ne m’en souviens plus, je me souviens plutôt des premiers skeuds que j’avais et que je mixais. J’avais l’album de Wu-Tang en CD dès qu’il est sorti, Brand Nubian en vinyle, quelques Dirt-Style des Invisbl Scratch Piklz, quelques vinyles de couleur de DJ Rectangle et des vinyles dérobés dans la collection du daron : James Brown, Midnight Love de Marvin Gaye, Legend de Bob Marley, l’album Legalize It de Peter Tosh,…
Quels étaient les DJ’s qui t’ont inspiré ou influencé à tes débuts ? Et maintenant ?
J’ai découvert le championnat DMC et le championnat ITF [International Turntablist Federation devenu maintenant IDA International DJ Association – NDLR] en 1997, du coup tous les DJ’s sur la cassette VHS DMC-97 et ITF-97 pour en nommer quelques-uns : A-Trak, Craze, Crazy B, Pone, les Scratch Action Heros, Q-Bert et les Invisbl Scratch Piklz, les Executioners, Babu et les Beat Junkies, Kentaro… Mais aussi des DJ’s français comme Cut Killer, Goldfingers et Kost… Je ne m’inspire pas uniquement des DJ’s mais aussi des rappeurs, des danseurs, des réalisateurs, des peintres,… L’art en général m’inspire. Actuellement je suis inspiré par la nouvelle génération et par tout ce qui est frais et innovant mais aussi par des films de la fin des années 80 et 90.
Te considères-tu comme un DJ Hip Hop ou simplement DJ ? Est-ce important de le préciser ?
Je suis un DJ issu de la culture Hip Hop donc oui c’est important à mes yeux.
En 2003 tu remportes ta première compétition, qu’est-ce qui t’a motivé à participer aux battles de DJ ?
L’envie de me prouver que je peux le faire. Le côté Hip Hop battle m’a toujours parlé.
Ton palmarès est impressionnant, plusieurs fois champion de France, 2 fois vice-champion du monde, puis tu deviens le champion DMC World Supremacy en 2011, qu’as tu ressenti à ce moment-là ?
Un moment exceptionnel dans ma vie, pur bonheur, fierté et humilité du fait d’être capable d’accomplir ce que j’avais visualisé.
Est-ce que tu continues à faire des compétitions ?
Oui je continue à faire de la compétition mais je ne peux pas en dire plus pour le moment. Depuis mon statut de champion du monde cela m’a ouvert des portes et offert des opportunités tel que jury dans diverses compétitions (DMC, IDA…).
Certains DJ’s parlent avec nostalgie du temps où il fallait être le premier à jouer tel disque quitte à mettre des bâtons dans les roues des autres DJ’s, est-ce que cette rivalité existe toujours ? Est-ce que c’est toujours primordial d’avoir un titre en exclusivité ?
Plus autant qu’avant mais la rivalité existe toujours. Par contre aujourd’hui c’est plus la bonne playlist, la conviction avec laquelle tu la joues et si t’as des prods/morceaux auto-produits ça peut faire la différence d’avoir des exclusivités. Aussi ta régularité de diffusion et ta mise en marché, ça compte.
Tu préfères accompagner un artiste sur scène ou mixer en soirée ? Quelles sont, pour toi, les différences entre ces deux activités ?
Je préfère mixer en soirée car il y a plus de liberté personnelle, mais j’aime également être sur la route avec d’autres artistes, tu apprends beaucoup en étant entouré d’autres passionnés.
Avec quels rappeurs as-tu aimé collaborer ?
Je viens de travailler avec Rockin Squat pour son dernier album Prison Planète, ça s’est bien passé. Sinon avec Fredro Starr et Sticky Fingaz de Onyx, Rocca et Vicelow pour n’en nommer que quelques-uns.
Et le rappeur/la rappeuse dont tu aimerais être le DJ ?
Personne en particulier, j’aime bien collaborer avec des gens dont je respecte le parcours ou que je trouve fort artistiquement parlant.
En parlant des soirées, ça t’arrive de jouer des titres que tu n’aimes pas forcément mais dont tu connais le potentiel ?
Non, si je le joue c’est que je le kiffe. Ça pouvait m’arriver à mes débuts ou quand le patron du club te demande de jouer son titre préféré du moment mais heureusement m’a carrière a évolué au point de ne plus être obligé de faire ce genre de courbettes.
Si tu devais organiser une grosse soirée avec ton line-up de rêve tu prendrais qui comme DJ ?
A-Trak et Craze en duo, Q-Bert, DJ Rafik, les Birdy Nam Nam avec Pone, C2C, Skrillex, DJ Snake et DJ Duke (rip).
Actuellement tu es installé aux États-Unis après avoir vécu en France et en Allemagne, quelles différences entre chacun de ces pays as-tu remarqué au niveau de la culture Hip Hop ?
Après quelques années à New York je me rends compte qu’on copie beaucoup en Europe mais sans comprendre certaines composantes importantes, peut-être à cause de la barrière de la langue. Il y a aussi une incompréhension de l’aspect business, ici la culture Hip Hop est plus comprise par la population… Normal ça vient d’ici on va me dire.
À quel moment dans ton parcours tu t’es dit que ta passion pour le DJing allait devenir ton métier ?
Quand j’ai touché mes premiers 50 francs [environs 9€ – NDLR] pour une soirée quand j’avais 17 ans, je me suis dit que c’était possible d’en vivre un jour.
Ça fait pas mal d’années maintenant que tu pratiques le DJing, quel est ton recul sur ce métier maintenant ? Les avantages, les inconvénients ?
Le métier a beaucoup changé depuis que j’ai commencé, le matos, la clientèle, l’accès à la musique… L’avantage c’est de faire ce que t’aimes et ce qui te passionne, de rendre des gens heureux grâce à la musique. L’inconvénient ? C’est que tu ne pourras plus jamais écouter de la musique ou un autre DJ comme avant d’avoir été DJ toi-même.
Tu donnes des cours de DJing à la jeune génération, c’est important pour toi ce travail de transmission ?
Oui j’ai fait des ateliers DJ dans les quartiers dit difficiles à Strasbourg pendant les vacances d’été durant 5 ans. Ensuite j’ai été amené à donner des cours aux DJ’s Amira & Kayla ici à New York. J’aime bien transmettre et la jeunesse me motive.
Quels conseils donnerais-tu à un(e) jeune qui souhaite devenir DJ ?
Travaille tes sets à fond mais aussi tes réseaux sociaux, et sois patient.
La question qui fâche : Serato ou vinyles ? Tu te souviens de ton ressenti à l’arrivée de Serato ?
Oui au début j’étais réfractaire mais j’ai vite changé d’avis quand chez un pote qui l’avait avant tout le monde j’ai enregistré ma voix et je l’ai scratché. J’ai tout de suite compris que c’était le futur. Le feeling Serato ou Traktor est plutôt bon et précis mais ce qui me manque c’est le côté analogique du son et le toucher du vrai vinyle ; ce qui me manque aussi c’est le temps passé dans les magasins de skeuds à fouiner et à échanger avec d’autres passionnés en vrai, pas uniquement via le net.
La platine Technics MKII c’est toujours la meilleure platine pour le DJing ?
Pour moi oui, toutes les autres ne sont que de la copie ! (rires). Après la Vestax PDX 2000, la Stanton ST-150 ou la Numark TTX sont de bonnes alternatives.
Les innovations comme le Phase Ultimate c’est quelque chose qui te branche ?
Oui carrément, ça ouvre des portes à plein de nouvelles idées.
Tu pratiques le beat juggling dans tes sets, tu peux nous expliquer ce que c’est ?
Oui je pratique le beat juggling dans mes sets, je pousse un peu moins la technicité en club qu’au DMC. Il s’agit de créer une nouvelle mélodie avec deux vinyles, identiques ou pas, en passant d’une platine à l’autre et parfois les deux en même temps, à l’aide des faders de la table de mixage. C’est vraiment fun !
Peux-tu nous raconter comment tu as eu l’idée de la fameuse routine Break Ya Neck ?
Break ya Neck m’est venue après avoir été chez Q-Bert à San Francisco et que pendant une session il me dit : « Nelson tu scratches comme un rappeur ». Eklips faisait Break ya neck en beatbox, A-Trak et Tigerstyle suivait un instrument à la perfection donc je me suis dit qu’il fallait suivre le flow de Busta Rhymes à la perfection aussi mais en scratch !
En plus d’être DJ, tu es aussi beatmaker, est-ce un passage obligé pour tous les DJ’s ?
Je pense que c’est un passage naturel mais pas obligatoire.
Qu’est-ce qui t’as donné envie de créer des sons ? Envie d’un nouveau challenge ?
Une envie de créer ses propres sons soi-même, de les passer en soirée et voir d’autres gens kiffer dessus ou bien tout simplement scratcher/pass-passer son propre son, c’est un kiff indescriptible.
Pour quels rappeurs/rappeuses as-tu fait des sons ? Et pour qui aimerais-tu en faire ?
Je n’ai placé aucun son avec des rappeurs pour l’instant mais ça ne saurait plus trop tarder, pour l’instant c’est plus pour mes DJ sets.
Quelles autres disciplines artistiques du Hip Hop as-tu pratiqué ? Est-ce que tu t’intéresses au graffiti ou à la danse par exemple ? Quels artistes apprécies-tu ?
Je kiffe toutes les disciplines mais en plus approfondi je dirais le beatbox, j’ai fait un peu de graffiti mais j’étais très mauvais ; j’ai fait de la danse et du rap vite fait mais les platines on vite prit le dessus. En graffiti et light painting j’aime Ogre et Marko93 par exemple ; en danse c’est clairement les Twins ! En beatbox c’est Eklips. En rap, il y en a beaucoup mais je dirais Booba, Oxmo, Orelsan, Vald, PNL, Freeze Corleone, Damso… je m’arrête là sinon on en a pour une heure !
Que penses-tu du fait que les disciplines autres fois liées à la culture Hip Hop s’en soient détachées maintenant ?
Perso je pense que la danse et le graff sont restés Hip Hop, le DJing aussi, par contre certains raps n’ont plus grand chose avoir avec la culture Hip Hop mais ce n’est pas très grave : l’origine restera à jamais Hip Hop.
La crise sanitaire a mis un frein à beaucoup d’événements musicaux et culturels, comment est-ce que tu as gardé le cap ?
Je suis un Shaolin des platines, représentations ou pas, je continue à m’entraîner, à produire… Pour garder mon kung-fu vif.
Comment imagines-tu le métier de DJ dans une vingtaine d’années ?
Je pense que les DJ’s les plus populaires seront SIRI et ALEXA.
Quelles sont les innovations pour les DJ’s qui t’intéressent ou au contraire celles que tu redoutes ?
J’aime beaucoup la TTM (Turntablist Transcription Methodology). Je ne redoute pas l’avenir, j’accepte le progrès inévitable. Rien n’éteindra ma passion pour la musique, le mix, le scratch ou les platines en général.
Quels sont tes prochains projets ?
Je travaille sur différentes choses en ce moment, m’établir musicalement aux États-Unis en est un par exemple mais je suis patient avec ça. Je viens de finir quatre mois de travaux dans mon studio son ici à New York du coup la 14th Chamber est enfin opérationnelle pour faire du son à fond !
Et ton futur à toi ? Dans 20 ans ?
En bonne santé et heureux. Reconnu mondialement pour mon son. Jouer et produire des films/documentaires sur divers sujets notamment sur la culture Hip Hop.
Peux-tu nous donner ton top 5 de tes DJ-Beatmaker/producteur favoris ?
DJ Premier, Alchemist, Muggs, Dr. Dre, Kanye West, Timbaland et J-Dilla … désolé je n’arrive pas à 5, il y en a beaucoup plus mais bon ça nous prendrait une heure à nouveau !
Un mot de la fin, une dédicace ?
Peace love & having fun ! Dédicace à Specta pour m’avoir contacté pour l’interview, à la France, en particulier Strasbourg… à DJ Kozi (RIP) et DJ Duke (RIP).
Bonus Track – Questions Spéciales DJ
Quel est le titre que tu as le plus joué ?
Je ne sais pas mais j’ai beaucoup joué Masta Ace – Beautiful
Quel est le titre que tu as toujours plaisir à jouer ?
Jump Around, Insane In The Brain et Shimmy Shimmy Ya !
Quel est le titre que tu n’as plus du tout envie de jouer ?
Gucci Gang
Avec quel titre es-tu sûr de faire bouger la foule ?
Tu n’es jamais sûr de rien
Quel style de sons tu aimes jouer en soirée ?
Hip Hop, soul, afrobeat, bass, trap, drill music.
Ton titre préféré pour débuter un set ?
Je n’en ai pas, c’est souvent au feeling.
Et parmi tous les sons, quel est celui que tu préfères ?
Il y en a trop, ça dépend de mon humeur mais si je devais en choisir un c’est Toucher l’horizon d’ Oxmo Puccino produit par DJ Duke.
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Interview réalisée par Specta et Mayleen.