Originaire de Tarbes, Yellow, est un graffiti artist actif depuis le milieu des années 9O, il a une prédilection pour les grandes fresques murales sur le terrain mais son art s’expose aussi sur toiles, en déco de façades et par le biais de customisations d’objets et de vêtements. Adepte des lettrages wildstyle et des B-Boys emblèmes de la culture Hip Hop, Yellow a le respect des anciens tout en pratiquant un style moderne et ultra coloré. Les murs de Paris, Berlin, Casablanca, Londres, Saïgon, ou encore du 5Pointz à New York, entre autres, peuvent en témoigner. Rencontre avec ce passionné, autoproclamé : dessinateur de Hip Hop !


Bonjour Yellow peux-tu te présenter en quelques mots ? Pourquoi ce pseudo ?
Salut, je suis natif de Tarbes dans le Sud-Ouest de la France. Je vis en banlieue parisienne depuis 2012. Mes crews sont 65ERS de Tarbes, 3AD en région parisienne et les OurZ, collectif Hip Hop dans le Sud-Ouest issu de la Zulu Nation. Si tout se passe bien, j’aurai 41 ans avant la fin du confinement ! À l’époque, mes potes d’enfance m’avaient trouvé le pseudo de « Yellow Boy » mais j’ai enlevé « Boy » 6 mois plus tard pour m’appeler « Yellow ». J’ai commencé sur les murs en 1994 mais c’est devenu sérieux à partir de 1996.

Quand et comment as-tu découvert le Hip Hop et plus particulièrement le graffiti ? Est-ce que tu as pratiqué le tag « vandal » ?
Mon modeste parcours a débuté lorsque j’ai commencé à écouter du rap vers 1992 au collège et découvert les premiers graffitis dans ma ville. Je voulais contribuer au truc. J’étais reconnaissant envers la culture Hip Hop et je voulais en faire partie. M’épanouir en étant différent des autres, c’était ça que je voulais. Les fanzines étaient plus que rares mis à part quelques photocopies en noir et blanc qu’on se démerdait à trouver… Vers 94/95, je m’entraînais sous un pont d’autoroute entre Tarbes et Pau à écrire des « Peace », des « Yellow Boy » mais je galérais beaucoup trop. Puis en 96, mon ami Shad me dit que Tilt va passer pour un projet avec des jeunes dans un foyer de quartier. J’avais décidé de m’y pointer, même si ma fierté me retenait. Ça a allumé la flamme et m’avait beaucoup motivé à peindre. Bien avant tout ça, j’ai commencé par acheter des bombes, au Bricomarché de Tarbes, qui coûtaient excessivement cher alors que je n’avais même pas 2,50 francs pour m’acheter une chocolatine. Puis j’ai vite compris que les voler valait plus le coup ! Notre « Stalingrad » à nous c’était Les Abattoirs de Laubadère dans les quartiers nord de Tarbes. J’ai pu y voir des prodiges tels que Snake, Maze et 93Eska, Wize, Rim, Aero, Reso de Toulouse, Brok de Paris, Noe de Toulouse pour ne citer qu’eux et me lier d’amitié avec la plupart des graffeurs locaux qui avaient la même vision du graffiti que moi. J’ai eu une activité nocturne régulière sur murs et roulants, sous le nom de MIAM, entre 1997 et 2004 environ mais j’ai dû stopper net à cause de ma sixième arrestation par les flics ! (rires).

Graffiti Yellow Les Ourz

Qu’est-ce que le mouvement Hip Hop représentait pour toi à tes débuts et que représente-t-il pour toi aujourd’hui ?
L’espoir de sortir du lot, de me construire une éducation que je n’avais pas eue incluant de vraies valeurs qui me ressemblaient sans que je m’en aperçoive. La claque c’était de voir les Boys New Skool (crew de Snake, Maze et cie) qui graffaient, rappaient et dansaient sur Tarbes… Je me souviens aussi très bien du livre La Culture Hip Hop de Hugues Bazin. Je détestais lire tous les bouquins sauf celui-là ! Comme quoi le Hip Hop peut faire des miracles… Je découvrais « Peace Unity Love and Having Fun » d’Afrika Bambaataa dans un chapitre. C’était l’aboutissement de mes recherches. Une espèce d’utopie qui m’aidait à avancer. Ça m’a motivé à construire en collectif. Rassembler les gens, avancer en équipe et que chacun brille grâce à l’autre, c’est beau et c’est vraiment ce que j’aime. Quant à aujourd’hui, je pense et vis Hip Hop encore comme au premier jour grâce aux valeurs de la Zulu Nation qui ont fait de moi ce que je suis.

Quand as-tu réalisé que cette passion pour le graffiti deviendrait aussi ton métier? As-tu œuvré dans ce sens ou ça s’est fait naturellement ?
Cela s’est fait vraiment naturellement. J’ai été animateur puis éducateur en foyers et bien sûr, j’animais des ateliers graffiti. Des centaines même. On parlait de Hip Hop par la même occasion et on s’amusait beaucoup à freestyler. D’ailleurs, certains ont continué le rap, d’autres le graffiti par le biais de mes ateliers et j’en suis plutôt fier. Par la suite, j’ai bossé durant 5 ans dans un centre d’accueil pour personnes dans le besoin sur Pantin. C’était usant. En parallèle je rêvais d’exposer dans un joli lieu sur Paris. Comme il m’était impossible de faire les deux en même temps, j’ai dû mettre un terme à mon activité professionnelle pour préparer à plein temps une belle série de tableaux. C’était à La Place, centre culturel Hip Hop en plein Châtelet-les Halles. Quel pied ! Malheureusement, à cause de l’incompétence de celle qui s’occupait de la communication à l’époque, l’expo n’a fait de bruit que durant son vernissage. Mes tableaux ont quand même bougé sur Toulouse, Tarbes et Albi. Je remercie entre autres, Soraya et Alexandre qui ont beaucoup travaillé pour que ça se fasse d’ailleurs… Puis un pote m’a demandé si ça m’intéressait de bosser dans la customisation pour une boîte de renom. Ça fait environs deux ans que je travaille dans ce domaine et je prépare ma deuxième série de tableaux en parallèle.

Graffiti yellow Hip Hop

Est-ce que tu étais déjà attiré par le dessin avant de découvrir le graffiti ? Quels ont été les graffeurs qui t’ont marqué à tes débuts ?
J’ai commencé à dessiner dès que mes doigts ont poussé. J’ai eu la chance que mon daron m’offre un Chevalier du Zodiaque pour Noël : Le Chevalier d’Or du Lion. Le problème, c’est que je me servais plus de la boîte pour copier les dessins que du jouet dedans ! Je rappelle qu’en 1988 on n’avait ni internet, ni de magazine sur les mangas. Mon père n’avait pas kiffé parce qu’au prix où c’était, ça faisait cher la boîte en carton ! À partir de la seule base que j’avais, je m’amusais à créer d’autres chevaliers ou des combattants prêts à sauver l’univers… Quelques années plus tard, je me suis mis à dessiner des lettres qui étaient en lien direct avec ce que j’écoutais. Je dessinais dans mon coin et je passais souvent deux bonnes heures à gommer et regommer juste pour une seule lettre, ça pouvait prendre deux jours pour sortir un vrai sketch. À part les murs que je voyais en vrai, je n’avais aucun bouquin ou magazine pour m’inspirer mis à part quelques rares photos que j’arrachais dans des magazines de société… Le seul vrai modèle du genre était le « Boys New Skool » en face de la mairie et le « LAUBAD’R » de Snake que je refaisais à toutes les sauces en restant devant le mur… Bien entendu lorsque ma culture s’est étoffée, j’ai connu Lokiss, Bando, Jayone, Mode2, Nasty, Daim, Seen, les FX, les bibles Spray Can Art et Subway Art. Par la suite, j’ai découvert les fabuleux murs de la Truskool de Tilt, Der et Ceet sur Toulouse ou bien encore les MAC sur Paris… Wahou !

Ça fait maintenant plus de 20 ans que tu graffes, quelles ont été tes influences artistiques? Comment est-ce que tu définirais ton style ?
Je pense à la Truskool pour leur génie et leur créativité, les MAC pour Kongo, Juan et Orus (RIP) et le surdoué Alex (Akhine), SharP pour son flow, Mode2 pour l’excellence qu’il représente, Can Two et Jayone pour leurs lettrages qu’ils accompagnent toujours de leurs B-boys, Nasty et CES pour la beauté de leurs lettres, Reso pour son style énervé et son côté rassembleur, Snake et Maze pour m’avoir permis de démarrer… Ça a été un mélange de tout ça durant mon parcours. Je les admire autant pour le fond que pour la forme. Tous ont marqué l’histoire du Hip Hop par leur art et leur façon de voir les choses. J’aurais aimé être le parfait mélange de tout ça mais ça n’est que du Yellow finalement (rires) !!! Je suis adepte du wild style qui consiste à rendre les lettres presque illisibles grâce à des phases et des flèches sortant de la base des lettres pour se croiser avec les autres. J’aimerais dire que mon style n’est pas old school car j’essaye vraiment de proposer autre chose malgré tout… Mais mes bases sont old school, la charpente de mes pièces est old school et vu que j’aime rajouter un B-boy ou un personnage ben ça sonne old school ! En revanche, je fais tout pour y mettre du style et complexifier l’ensemble sans dénaturer les lettres. J’aime rendre mes graffs plus compliqués, moins lisibles et donc plus techniques. Comme je ne prépare jamais mes murs, je peux mettre beaucoup de temps parfois. Mais il faut que ça soit carré et que ça claque à la fin. Alors avec tout ça, je préférerais qu’on ne dise pas de mon style qu’il est old school mais plutôt « classic » ou même « boom bap », comme un bon vieux DJ Premier !

Graffiti Yellow 65ers

Tu reprends les codes des premiers graffeurs, surtout le B-boy bien structuré, pourquoi t’être spécialisé dans ce style au contraire des nombreux graffeurs qui s’en éloignent ?
« Style is the message ! ». La plupart aiment peindre leur blase, ça c’est propre au graffiti. D’autres aiment raconter une histoire ou dénoncer des choses, qu’elles soient politiques ou autres. Ça peut m’arriver de le faire également. Mais encore une fois, j’aime le Hip Hop et je trouve que beaucoup de graffeurs en parlent de moins en moins. Faire du « fresh » avec tout ce que comportent les codes du Hip Hop des 80/90’s c’est top. Je ne dis pas que c’est le vrai Hip Hop et qu’il faut rester coincé là-dedans, bien au contraire ! Mais voilà, peindre un B-boy est l’élément du graffiti qui garde le mieux un lien fort avec le rap, la danse ou encore le DJing et c’est ça qui me motive encore à peindre. Et puis, le B-boy, on en fait ce qu’on veut et il y a vraiment moyen de s’éclater. Faudrait que je me remette à crayonner ça d’ailleurs… Il y a encore des graffeurs qui en peignent de façon remarquable comme Diksa, Hest, Wuna, Comer, K.SON, Badypnose, les 7FA7, entre autres… ça me parle.

« Je préférerais qu’on ne dise pas de mon style qu’il est old school mais plutôt classic  ou même boom bap, comme un bon vieux DJ Premier ! »

Comment s’est effectué le passage du mur à la toile ? C’était une envie de proposer une autre approche de ton art ou as-tu succombé à la pression des galeries, très demandeuses d’art graffiti et de street art ?
Il y a ce besoin de créer autre chose, d’aller encore plus loin. Pour moi peindre un mur c’est de la bombe, des lettres, des persos, du décor autour et du gros kiff, point barre. Je vois tellement de belles choses autour de moi ou dans les médias que ça me chauffe à faire pareil. La toile te permet d’aller plus loin et de dépasser les limites du graffiti et du Hip Hop. Oui, les galeries sont demandeuses, mais sans vouloir faire le jaloux, elles sont demandeuses de noms déjà connus ! Tu sais, c’est comme le mec qui va en boîte de nuit et qui se fait refouler car ce n’est pas un habitué, et bien j’en suis à peu près à ce stade ! Mais il y a un truc à faire mais pour ça, j’ai besoin d’être à jour dans mes projets, sans quoi je ne peux pas commencer à peindre. Je ne suis pas capable de faire deux choses en même temps malheureusement, ce qui me freine, mais c’est dans ma nature. D’ici la semaine prochaine, je démarrerai, enfin j’espère…

Heaks65 – Yellow – Diksa – Pesa / Graffiti Paris 2016

Tu peins donc sur murs, sur toiles et tu fais aussi de la customisation d’objets, de vêtements ou de sacs, est-ce important pour toi d’utiliser autant de techniques différentes ? Comment abordes-tu le graffiti sur ces différents supports ?
Alors pour être franc, l’expérience de la customisation, c’est de l’alimentaire. Mais c’est quand même un vrai kiff. Quand tu te dis que tu es payé pour faire un graff sur un sac Vuitton ou Hermès, c’est la classe ! J’ai eu la chance d’aller taffer deux fois à Londres et à New York grâce à ça. Bien sûr, ça me permet également de faire de belles rencontres. Après malheureusement, tu as des gens qui te proposent des projets de merde, que tu t’en bats les couilles de dessiner un Picsou avec des dollars et des coulures de peinture genre street art pourrave. Les gens qui me disent : « Vous êtes taggeur ? Moi j’adore le tag et surtout Alec Monopoly » putain mais ta gueule nom de dieu… !!

Puisque tu abordes le sujet du street art justement, depuis quelques années il y a une tension dans le milieu graffiti à cause du street art ? Ton avis sur cette situation ? Et sur le street art en général ?
J’ai un problème avec ça. Les « street artists » peuvent être des artistes de la rue au même titre qu’un graffeur ou un taggeur. Ils en ont le droit car la rue est à tout le monde, l’art est pour tous. Je pense à des pointures comme Jérôme Mesnager, Space Invaders ou Banksy pour ne citer qu’eux. Le souci, à mon sens, est le fait que les deux tiers, je dis bien les deux tiers, s’en servent pour s’incruster dans les galeries en proposant des choses qui ne leur appartiennent même pas. Ils sortent d’écoles d’art ou de graphisme à 10 000 euros l’année, ils ont fait un store de merde autour de la place de la République ou dans le quartier du Marais et te pondent du Basquiat à la sauce sexuée de Keith Haring, avec des coulures à la mode pour faire le mec de la street qui pue le bitume. Et c’est tellement chic pour beaucoup ! Et en parlant de rue, est-ce qu’on voit ces gens dans les banlieues ou dans certains quartiers populaires ? Non ! La rue, c’est notre école et peut importe d’où l’on vient. C’est là que tout s’apprend. Les trains, les voies ferrées et compagnie en ont même le parfum. T’apprends ton style, à aller vite, t’apprends à être vigilant, tu fais gaffe aux dangers éventuels comme les flics ou certains passants qui peuvent faire chier… Ce n’est souvent pas rose mais ça apporte cette petite adrénaline qui te permet de vivre ton moment. À la rigueur, peu importe l’œuvre ou le tag que tu auras exécuté tant que tu vis le truc. Il faut des années de pratique pour le comprendre. Si tu n’as pas vécu ça, ne te prétends pas « street artist » mais artiste tout court, à la limite. Tout est question d’état d’esprit en fait. J’ai pas mal de potes graffeurs qui ne font que du terrain, comme je le fais aujourd’hui d’ailleurs, qui ne revendiquent rien à part kiffer peindre un bon gros mur sans la moindre prise de tête et ce sont de véritables tueurs. Il y en a pour tout le monde donc chacun son kiff ! Ça me fait chier ces types qui se la racontent et qui arrivent à vendre. Regarde Alec Monopoly (encore lui !). T’as vu les merdes qu’il pond ? Et ça se vend 50 000 euros bordel ! La réalité est que ces types vendent leurs bouses un bras alors que Mode2 est moins cher, c’est grave ! En revanche, je reconnais qu’il y en a des bons aussi. Des excellents même. J’admire ceux qui font leurs pochoirs entièrement juste avec un cutter comme Miss-Tic ou Beton Spirit. Les façades et les tableaux de Obey The Giant et de Inti me régalent quant aux œuvres de Banksy, elles relèvent du génie.

Est-ce que tu utilises d’autres techniques que la bombe ? Tu aimerais varier tes pratiques ?
J’utilise énormément la bombe et les marqueurs type Posca ou Molotow. J’ai un vrai souci avec le pinceau, mais vraiment. Je rêverais de faire une formation de peinture d’art tellement j’ai de lacunes là-dedans.

Tu as exporté ton art aux quatre coins du monde, quel est le pays (ou la ville) qui t’a le plus marqué au niveau du graffiti ?
Je dirais clairement l’école berlinoise. Je me souviens de mon premier voyage où j’ai vu de loin un graff avec un B-boy coloré de partout. Jamais le même contour pour les lettres, des bubbles roses, marrons, bleues, des flèches partout… C’était Mr Ice aka Jack des crews GFA et RTZ. Je ne le connaissais pas. Moi qui suis tout le temps connecté, je ne l’avais jamais vu ailleurs qu’en vrai. Quelle puissance, quelle folie !!! Toutes ses pièces qu’on ne voit ni sur Instagram ni sur Facebook sont fabuleuses à mes yeux. D’où l’intérêt de voir les pièces en vrai plutôt que sur les réseaux sociaux. On sent tout de suite la différence. J’ai vu également des killers comme Dejoe, Pekor, Rism et Sader qui sont maintenant de supers bons potes. J’en ai de la chance, je sais.

À son origine le graffiti était un art éphémère et surtout très décrié, certains ont payé des lourdes amendes et ont même fait de la prison. Maintenant il y a de nombreux festivals de graffiti partout en France, des quartiers entiers de Paris sont mis à la disposition des graffitis artistes, les œuvres sont maintenant protégées au lieu d’être effacées et pénalisées, on ne parle plus de dégradations mais d’art : que penses-tu de cet engouement actuel pour le graffiti ?
Je trouve ça génial ! Aujourd’hui, on est même invités pour peindre au Vietnam, en Guadeloupe, au Luxembourg, en Suisse, en République Tchèque et on nous paye le voyage, l’hôtel, la bouffe et compagnie juste pour peindre des lettrages et des B-boys ! Ah c’est sûr qu’on est plus à l’époque du tribunal de Versailles et de sa guerre totale contre le graffiti il y a plus de 15 ans ! Je me souviens d’avoir pris de la prison ferme avec 5 ans de sursis plus une lourde amende juste pour un graff de 3 m² sous un pont à Tarbes alors qu’en fait on avait peint tout le mur d’en face entièrement. C’était un chrome d’environ une vingtaine de mètres de long sur 3 mètres de haut, imaginez ce que j’aurais pris bordel ! Aujourd’hui, apparemment ce sont de simples amendes à payer. Si c’est vraiment le cas, je pense que la justice a peut-être compris qu’elle a autre chose à foutre alors qu’il y a tellement plus grave, il était temps de s’en rendre compte !

Pendant des années la RATP et la SNCF ont fait la guerre aux graffeurs et aux taggeurs et maintenant on voit ces deux institutions qui financent ou sponsorisent des événements autour du graffiti et qui paient même des artistes pour peindre leurs trains, qu’est-ce que tu penses de cette récupération ?
C’est bien pour se faire du blé ! En revanche, en ce qui concerne ces boîtes, c’est chelou… Il y a un côté masochiste que je n’arrive pas à comprendre là-dedans, je sais pas…

En parlant de récupération j’aimerais aussi avoir ton avis sur la multiplication des ventes aux enchères et des galeries d’art qui se spécialisent maintenant dans le graffiti ? Pour toi, est ce que le graffiti sur toile c’est toujours du graffiti ?
Les avis sont partagés. Il y a 20 ans, je t’aurais dit que je ne ferai jamais de graffiti sur toile car certains anciens disaient ça. Aujourd’hui, je te dis que t’as le droit de faire ce que tu veux sur toile…mais pas sur les murs. Si tu prétends faire du graffiti, jette-moi tes bouts de cartons et montre tes vrais skills. Pour moi la toile, contrairement au mur, c’est limité au niveau de la surface à peindre mais c’est réellement une liberté totale. Ce qui n’est pas le cas pour les murs car il y a des codes que tu dois respecter sinon, c’est la fête à neuneu. Et quand c’est la fête à neuneu, ça devient du street art ! (rires)

« Finalement, c’est ça le Hip Hop : partager des moments avec des gens d’où qu’ils viennent et qui vivent la même chose que toi. »

Que penses-tu de la séparation des différentes disciplines du Hip Hop ? On ne voit plus beaucoup de danse ou de graffiti dans les clips de rap par exemple. Certains graffeurs célèbres ne se revendiquent même plus du Mouvement Hip Hop, pourquoi à ton avis cet distance entre les 4 disciplines historiques ?
Le problème vient à mon sens du fait qu’il y a eu un chaînon manquant dans la transmission et le partage. Les anciens nous ont apporté tous les outils pour construire notre propre histoire dans le Mouvement. Mais beaucoup d’entre eux en sont encore à n’écouter que leur parcours dans le passé, en dénigrant les générations suivantes. Il y avait déjà de quoi dégoûter certains de ce fameux « esprit Hip Hop ». Et puis il y a aussi les festivals et autres battles rémunérant tous les artistes mais n’offrant que du taboulé et des chips pour les graffeurs. Il y avait déjà un souci à ce niveau-là, les graffeurs se sentant mis de côté… En même temps, on n’est pas là pour se montrer mais simplement pour être reconnus en tant qu’artistes, au même titre que ceux qu’on voit sur scène et ça, ça passe par l’équité. Soit tu payes tout le monde, soit tu payes personne. Après il y a ceux qui se revendiquent artistes libres de tous codes et de toute appartenance. Je comprends ça. Chacun voit sa vie comme il l’entend. La Zulu Nation n’a pas fait que rassembler non plus, elle a aussi fait naître le côté punk de certains à vouloir sortir de cette « famille » qui est vue comme une fumisterie ou de l’hypocrisie peut être… C’est vrai que c’est triste de ne plus voir cette unité, ça donne une légère impression d’un début d’extinction du Mouvement et j’ai l’impression de ne voir cette situation qu’en France d’ailleurs… Malgré cela, je tiens à dire que j’avais organisé deux années d’affilée un jam graffiti pour célébrer l’anniversaire du Hip Hop au canal de Bobigny. Et bien je peux te dire que les deux événements avaient rassemblé plus de 70 graffeurs d’Île-de-France, du Luxembourg, de Hollande, Toulouse, Marseille, Tarbes ou encore Berlin. Et je ne te dis même pas le nombre de gens qui venaient chiller avec nous. Il faut savoir aussi que tout le monde était venu par ses propres moyens et avec ses propres bombes. C’était formidable ! « Hip Hop Graffiti Will Never Die » comme disait NoeTwo.

Que penses-tu de la nouvelle génération de graffiti artistes ? Penses-tu qu’ils ont encore cet esprit Hip Hop ? D’ailleurs, est-ce que le graffiti est toujours Hip Hop ?
Il y a du bon et du très mauvais. C’est marrant car beaucoup d’entre eux vont te dire que le street art c’est de la merde alors qu’ils font la même… Sans vouloir passer pour un aigri, je vois que beaucoup ne respectent rien. Et voilà qu’ils te repassent sans faire de fond, laissant ton graff visible dessous… Et après ils vont te dire que ce n’est qu’un « terrain » … Le souci est que je ne peins pratiquement qu’en terrain aujourd’hui justement et que je prends très au sérieux ce que je fais car c’est ce que je kiffe vraiment. Qu’on me repasse ne me pose aucun problème. Par contre le gadjo qui fait le choix de repasser mon graff que j’ai fait en 5 heures plutôt que celui d’à côté qui a été fait à l’arrache, ce n’est pas un bon choix. J’ai eu aussi l’occasion de parler Hip Hop avec certains jeunes qui aiment vraiment ça. Parfois ils se perdent un peu à cause d’un manque de culture évident mais ils accordent une importance à l’histoire, les valeurs et le respect pour les « architectes ». Et encore une fois, chacun le voit comme il veut. Mais quand on voit qu’en Suisse, en Allemagne, en Hollande ou encore en Asie, les mecs font des uprocks, ou tapent un freestyle rap devant le mur, tu peux être sûr que les disciplines historiques resteront indissociables pour encore très longtemps.


« Je pense et vis Hip Hop encore comme au premier jour grâce aux valeurs de la Zulu Nation qui ont fait de moi ce que je suis aujourd’hui. »


En parallèle de ton travail d’artiste, tu es aussi Zulu King, membre de la Zulu Nation France et tu as fondé ton propre chapter Zulu dans le Sud-Ouest, les OurZ, tu peux nous raconter cette aventure ?
Je ne fais plus partie de la Zulu Nation France depuis belle lurette. On ne partage pas la même façon de penser. C’est comme ça. C’était soit on quittait le navire définitivement, soit on en construisait un autre. D’où la création des OurZ (en référence aux ours des Pyrénées), association fondée en 2011. Avec les OurZ on avait réussi à fédérer la plupart des associations Hip Hop du grand Sud-Ouest. On faisait des événements labellisés Zulu Nation au moins une fois par mois et réunissant des centaines de gens. On proposait des ateliers aux jeunes dans les structures sociales, scolaires et même pénitentiaires.
Dans cette dynamique, j’étais speaker pour la plupart des battles dans le grand Sud-Ouest, de Toulouse à Mont-de-Marsan, Bayonne, Tarbes, Pau, jusqu’au Battle Of The Year de Metz ou le Battle de Beebeesh à la Seyne-sur-Mer. Je me souviens aussi avoir animé deux soirées dont un anniversaire Zulu Nation au Batofar sur Paris. C’était assez fou. Notre énergie créait beaucoup d’émulation dans le monde. Les chapters du Benelux menés par les légendes Phil Fourmi et Timski nous encourageaient à continuer nos actions. Le chapter de San Francisco et les Black Spades du Bronx nous soutenaient également. Certaines structures culturelles et sociales faisaient appel à nous pour les conseiller ou les aider. Car la mission était bien là : aider la communauté et lui proposer des choses concrètes, quelle que soit sa taille. De Bayonne à Toulouse, en passant par Lourdes, Bordeaux ou encore Mont-de-Marsan, tu pouvais être sûr qu’on nous connaissait. Malheureusement comme dans tous les groupes, il y a toujours des crevards et des traîtres pour saboter ton Mouvement. Certains ont voulu faire leur carrière minable partie aux oubliettes sur notre dos et ont réussi à décourager la plupart d’entre nous. Et pour ne rien arranger, les problèmes internes de la Zulu Nation aux States devenaient de plus en plus sombres et douteux. On a donc fait le choix de s’en éloigner. Mais quoi qu’il en soit, nous restons les OurZ et nous garderons toujours les valeurs « Peace, Unity, Love and Having Fun ». Nos amitiés avec d’anciens Zulus à l’étranger restent solides et chaleureuses. D’ailleurs, j’en place une pour Joe Conzo du Bronx, DJ Leva 57 d’Italie, B-Boy Bojin de Taiwan pour ne citer qu’eux… En même temps on doit penser à nous-mêmes avant de penser à l’associatif. Donc ça nous a permis de prendre du recul et de construire nos vies un peu plus sereinement. En parallèle les OurZ continuent de bosser aux 4 coins de la région. Il y a de la nostalgie et de l’amertume dans cette histoire qui me permet de me dire que ce n’est peut-être pas fini car tant qu’il y a de l’amour… À suivre !

Yellow Jam Graffiti 40 ans du Hip Hop

Quelle était ton implication dans la Zulu Nation France ?
Mon activité était de faire connaître la Zulu Nation en organisant un maximum d’événements de qualité. Et comme je n’avais peur de rien, j’ai foncé tête baissée tout en étant sûr de mes coups. C’est comme ça que j’ai réussi à fédérer autant. On a organisé de belles block parties, de superbes soirées où on a pu faire venir Dee Nasty, Dj Kozi, Yoshi, DJ Jim, Lorea, les beatboxers Johnny Madness, Fabulous Wadness du groupe Berywam, Busta Flex, Les Sages Po’ et j’en passe… Avec tout ça, j’étais persuadé de construire une passerelle entre le Sud-Ouest et Paris. Chose qui malheureusement n’a pas marché et qui au final n’a abouti à rien.

Les personnes impliquées dans le Hip Hop sont souvent appelées « activistes » mais les non-initiés ne savent pas trop ce que recouvre ce terme, peux-tu nous donner ta définition ? Te considères-tu comme un activiste ?
Je me suis tout simplement considéré comme activiste lorsque Dee Nasty m’a dit que je l’étais. De sa part, c’est un honneur et une fierté. Avec du recul, je définis ce terme comme étant une personne impliquée dans son art, dans sa discipline tout en œuvrant autour d’elle. Elle doit apporter un style, un vrai niveau, un état d’esprit et toucher les gens. De manière factuelle, tu peins, tu rappes, tu danses, tu scratches tout en fédérant le peuple avec ce que tu sais faire et ce que tu aimes et quand le public apprécie c’est génial ! Je ne parle pas des organisateurs de soirées véreux, prétendument Hip Hop, qui ne pensent qu’à gagner du fric sur le dos des passionnés, non surtout pas eux ! Tu dois combattre avec ton art et ton âme parce que tu as des valeurs à défendre contre les inégalités, les fachos, les racistes de tous bords et toutes ces conneries. Pour moi, c’est l’essence même de l’activisme.

Yellow 40th Birthday / Graffiti Toulouse France – 2019

Est-ce que tu t’intéresses aux autres disciplines du Hip Hop telles que le rap, la danse ou le DJing ? Si oui quels artistes aimes-tu ?
Bien sûr ! J’essaye d’ailleurs de sortir de mes « classiques » pour m’ouvrir sur d’autres choses. J’aime le travail du groupe de rap lillois La Jonction, la technique de DeadI, mon ami Enz, je vénère les productions de DJ Premier, j’aime beaucoup Sa-Roc, Westside Gunn, le dernier album plein de positivité d’IAM. En danse, le popping de Aaron Evo et de mes amis du Sud-Ouest comme Dapop des OurZ, Kader et Ahmet me touchent beaucoup, la jeune Pocahonstyle et son mec forment une complémentarité de ouf aussi. Je kiff le break de Benji qui ne vieillit pas et qui est de plus en plus énervé on dirait, celui de mon bro OurZ, Fonky Jowz de Bordeaux est plein de surprises et de groove. Mon frère OurZ, DJ Kris est pour moi le spécialiste du funk, je ne m’en lasse pas. Il y a aussi DJ Cleon qui a ce petit plus pour les battles. DJ Reverend P mixe à merveille la Motown que j’aime tant. DJ Fab pour son combat et sa culture. Et puis, techniquement, je ne vais pas être chauvin mais le champion du monde DMC est de chez nous et il s’appelle DJ Skillz ! Et la mixtape Party Jam de Cut Killer, tu t’en rappelles ? Putain !

Quel est ton plus beau souvenir en tant que graffeur ?
J’en ai plein. Peut-être mon premier graff à Hanoï puis à Saïgon au Vietnam dont je suis originaire. Grosse pensée à ma mamie là-haut !

As-tu d’autres passions en dehors du graffiti ?
J’adore la peinture, la musique soul me fait beaucoup de bien et me calme parce que je crie beaucoup (!), rencontrer des gens Hip Hop durant mes voyages et surtout le basket que j’ai pratiqué pendant plus de 20 ans. Bon ça se voit pas (rires) ! À cause de pépins physiques je me suis reconverti à la boxe thaï. Dédicace à King Jaïd, fondateur du Superbad Chapter, qui est un excellent entraîneur au passage. J’aime beaucoup les robots Transformers première génération ou encore les « meccas » de la même époque. Je ne rigole pas !

Ton top 5 d’artistes graffiti ?
Mode2, Ces , Doves , T-Kid , Reso, Sader , Mr. Ice aka Jack, Alex (Akhine) Et Totem

Ok tu m’en as donné beaucoup là, je sais que le choix est dur, mais si tu ne devais en garder que 5 ? 
Bon alors : Mode2, Mr. Ice aka Jack, Sader, Reso et Alex (Akhine)

Comment imagines-tu l’avenir du graffiti dans 20 ou 30 ans ? Et le tien en tant que graffeur ?
Certains donneront toujours plus d’effets, de 3D incroyables et d’autres continueront à faire dans le classique. En espérant que les imposteurs disparaissent à jamais. D’ailleurs je me demande si certains continueront quand même si les réseaux sociaux disparaissent un jour (rires). Quant au mien, ça sera comme la plupart des graffeurs : je me fais plaisir depuis 25 ans alors j’espère peindre dans le même état d’esprit pour les 25 prochains !

Ton mot de la fin ?
Je dédicace ce moment de lecture à mes groupes 65ERS, 3AD et les OurZ. Je souhaite le meilleur à toutes celles et ceux que j’aime et qui me le rendent bien. Une pensée à Nathalie de la Maison Du Hip Hop, à toutes les personnes authentiques, aujourd’hui des amis, que j’ai pu rencontrer lors de mes voyages à travers le monde grâce au graffiti, au Hip Hop et à la Zulu Nation. Finalement, c’est ça le Hip Hop : partager des moments avec des gens d’où qu’ils viennent et qui vivent la même chose que toi. À tous ceux qui respectent et aiment le Hip Hop, j’espère que vous avez apprécié cette interview et que ça vous donnera un peu de force ! Big Up et longue vie à T-Rex Magazine!


Graffiti - Top 5 graffeurs par Yellow : Mode2, Mr Ice, Sader, Reso et Alex Akhine.

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